Partage d'évangile quotidien
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Aux sources du pouvoir

Lun. 30 Septembre 2013

Luc 9, 46-50 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Il entre une réflexion en eux-mêmes : qui peut être le plus grand d'entre eux ? Jésus sait la réflexion de leur cœur. Il saisit un petit enfant et le met près de lui.  Il leur dit : « Qui accueille ce petit enfant en mon nom, c'est moi qu'il accueille. Et qui m'accueille, accueille qui m'a envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, celui-là, il est grand ! » 

Jean intervient et dit : « Maître, nous en avons vu un qui, en ton nom, jette dehors les démons ! Et nous l'empêchions, parce qu'il ne suivait pas avec nous... »  Jésus lui dit : « N'empêchez pas ! Qui n'est pas contre vous est pour vous. » 

 

 

Le buisson ardent, par He-Qi

 

 

voir aussi : Tout simplement, Profiteurs et accapareurs, Fondement de l'autorité

La péricope sur "qui est le plus grand" se trouve aussi chez Marc au même endroit, juste après la seconde annonce de la Passion, et chez Matthieu à peine décalée. On peut raisonnablement penser qu'elle fait elle aussi partie de l'enchaînement ancien, dont nous parlions avant-hier, qui commence depuis la multiplication des pains pour arriver jusqu'ici. Cette dispute de chiffonniers entre les disciples est effectivement une très bonne illustration de ce que vient de dire Luc, qu'ils ne comprenaient même pas le plus simple avertissement que Jésus essayait de leur adresser. Cet avertissement, comme nous l'avions donc vu, ne dit pourtant pas grand chose, il n'évoque pas la fin tragique, il parle seulement de ce que Jésus ne va plus être maître de la suite des opérations : le fils de l'homme va être livré aux mains des hommes. Mais les disciples, donc, ne peuvent pas l'entendre, c'est inconcevable pour eux. Leur maître leur a montré ce dont il était capable, ils ont vu toutes ces guérisons, ces exorcismes, sans même aller chercher les signes sur la nature qui sont à priori plus douteux. Pierre, Jacques et Jean ont vu aussi son corps métamorphosé, nimbé de lumière, et même s'ils ont suivi les instructions de Jésus de ne pas en parler, ils ont bien dû au moins laisser entendre aux autres qu'il s'était passé quelque chose d'extraordinaire. Alors effectivement, comment pourraient-ils imaginer que ce même être d'exception allait se laisser manipuler par "les hommes", les laisser lui faire ce qu'ils voudraient ?

Ils ne s'en rendent pas compte, mais ils sont en fait les premiers à entrer dans ce jeu, ou du moins à essayer. Aujourd'hui ils n'en discutent qu'entre eux (Luc cherche toujours à atténuer les 'gaffes' des disciples, il ne parle donc ici que de réflexions "en eux-mêmes", mais Marc parle bien de réflexions "entre eux", et même de disputes, sur le chemin qui les ramène à Capharnaüm), et demain, les mêmes Jacques et Jean, qui l'ont vu sur la montagne, vont tenter de lui extorquer ces fameuses premières places du futur gouvernement d'Israël. Ils sont toujours dans ce même paradigme, du Royaume qui ne peut être dissocié du royaume terrestre, politique, d'Israël, sur la terre d'Israël, avec Jésus comme roi et eux comme ministres. Et Jésus pourra essayer tout ce qu'il voudra, ils n'en sortiront pas, pas avant le tsunami que sera sa mort, sa mort effective, réelle, définitive, sur la croix. À ce moment-là seulement ils seront bien obligés d'admettre que décidément, non, ce n'était pas du blablabla qu'il leur chantait, que ce n'était pas un plan plein de ruse qu'il avait suivi et dans lequel il les avait entraînés, qu'il n'avait pas non plus de plan B. Ils seront anéantis, abasourdis, laminés, ils repartiront la queue basse se terrer dans leur Galilée, et il leur faudra passer au travers de cet abîme pour que, peu à peu, la signification de tout ce qu'il avait essayé de leur expliquer vienne à leur esprit.

Pour l'instant, donc, ils en sont loin. La deuxième péricope que nous avons aujourd'hui procède assez de la même idée, et il est intéressant qu'elle nous ait été conservée tant par Marc que par Luc. C'est en effet le même état d'esprit qui préside à la remarque de Jean qu'au partage des postes du pouvoir : ceux qui, demain, feront la loi et le beau temps ne sauraient souffrir que des francs-tireurs puissent agir hors de leur contrôle. Ce qui est intéressant avec cette péricope, c'est qu'une autre maxime va bientôt dire exactement le contraire (Luc 11, 23) : "Qui n'est pas avec moi est contre moi". Alors, qu'a pu dire Jésus : qui n'est pas contre est pour, ou qui n'est pas avec est contre ? Matthieu a choisi son camp, il n'a pas de parallèle à l'option d'aujourd'hui, la plus ouverte, mais il en a de l'autre, la plus restrictive, et nous n'en sommes pas trop surpris : Matthieu est légaliste, il a besoin que des règles et des frontières soient définies. Marc aussi a sans doute choisi son camp, à l'inverse de Matthieu, puisqu'il n'a pas la seconde maxime, et nous n'en sommes pas trop surpris non plus, puisque Marc, le premier à composer son évangile, a écrit à une époque où le souci d'organiser et légiférer ne s'était pas encore trop fait sentir. Et Luc, donc, a les deux options, l'air de nous dire "que chacun en prenne ce qui lui convient" !

Mais le plus intéressant vient maintenant. Puisque l'option restrictive n'est commune qu'à Matthieu et Luc, que Marc ne l'a pas, elle est donc censée faire partie de la fameuse source Q, laquelle, théoriquement, est plus ancienne et authentique que Marc... Comme quoi on ne peut pas définir Q de manière aussi simplette et automatique, comme le font beaucoup. On ne peut pas attribuer à Jésus la seconde maxime, ce serait incohérent avec ce que nous venons de voir, et qui déborde de partout des évangiles : sortir de cette manie de toujours vouloir catégoriser les autres, de les enrégimenter, de leur imposer nos points de vue. C'est contraire avec ce chemin qu'il a décidé de suivre après la révélation qu'il a eue sur la montagne, contraire à la révélation qu'il nous a transmise du Père qui s'adresse personnellement à chacun, contraire à l'obéissance à ce Père dont il nous a montré l'exemple par l'ensemble de sa vie, et malheureusement bien trop souvent conforme à de nombreux comportements des Églises au travers des siècles.