Partage d'évangile quotidien
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Monde sans âme

Sam. 24 Mai 2014

Jean 15, 18-21 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est sien, mais parce que vous n'êtes pas du monde et que moi je vous ai élus en vous sortant du monde, c'est pour cela que vous hait le monde. Souvenez-vous de la parole que moi je vous ai dite : le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur. S'ils m'ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront. S'ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi ils la garderont. Mais tout cela ils vous le feront en raison de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas celui qui m'a donné mission. » 

 

 

Saint François, par He-Qi

 

 

voir aussi : La considération du monde, Ignorance fatale, Un grand incompris, Ignorance coupable ...

Effectivement, quand nous naissons, nous ne connaissons pas le Père ! et comment pourrait-il en être autrement ? nous ne savons déjà pas que nous sommes... Avant de naître, nous n'avons pas vraiment de conscience d'être, en tant qu'être distinct. Nous sommes dans une sorte de grand tout. Il y a vaguement quelque part une frontière entre nous et notre mère, mais en réalité nous sommes un peu les deux côtés de la frontière. Il faut justement la naissance, pour nous forcer à découvrir que le monde n'est pas que nous, notre seule petite personne. Et cette conscience ne nous vient pas immédiatement, c'est déjà un premier apprentissage, avant que nous puissions dire 'je'. Nous commencerons par dire 'maman', 'papa', identifiant ainsi qu'il y a autour de nous plusieurs êtres autonomes, avant de finir par comprendre que nous en sommes un nous aussi. Rien que cette première découverte prend donc déjà beaucoup de temps, et puis nous allons en avoir beaucoup d'autres à faire, avant de nous faire une certaine idée de la diversité du monde qui nous entoure. Cela peut durer toute notre vie ! Nous pouvons effectivement y trouver notre intérêt, sans jamais nous poser la question du 'comment' il se fait qu'il y ait un monde dont nous faisons partie, ni celle bien sûr qui va avec du 'pourquoi'. Sans nous la poser, ou sans y porter d'intérêt réel, ou renonçant à l'approfondir parce qu'elle nous apparaît trop compliquée.

Alors oui, ce monde ne connaît pas le Père. Est-ce pour autant qu'il le hait ? ça c'est la thèse qu'énonce ici Jean. C'est à peu près le seul passage, d'ailleurs, où elle figure : ce n'est pas un thème récurrent de l'évangéliste. Au point qu'on peut se demander si ce passage n'est pas le résultat d'une corruption 'erratique', une main anonyme qui aurait inséré ici sa propre vision des choses, guère corroborée par le reste de l'évangile. Chez Jean, l'opposition provient des 'juifs'. C'est avec eux que Jésus s'affronte, ce sont eux qui sont responsables de sa mort, mais ce n'est pas le monde 'mauvais' qui en voudrait à la communauté johannique. Dans le prologue, il est question de la lumière qui brille dans les ténèbres, et des ténèbres qui n'ont simplement pas compris la lumière. Il n'y a pas de raison de lire ce passage comme un combat des ténèbres contre la lumière, c'est plutôt le contraire, c'est la lumière qui vient dissiper les ténèbres. Le monde résiste à la connaissance du Père, ça ne lui est pas automatique, inné, intuitif, mais il n'a rien contre non plus, et comment le pourrait-il puisque simplement il ne le connaît pas ? De cette caractéristique, nous pouvons conclure que l'évangile de Jean n'est pas complètement gnostique. Jean n'est pas les écrits des esséniens découverts à Qumran, avec leur combat des fils de la lumière contre les fils des ténèbres. Non, chez Jean, l'ennemi a été les juifs, du temps de Jésus, et puis plus tard aussi quand ils les ont considérés comme hérétiques d'identifier Jésus à Dieu. Mais la communauté johannique en a pris son parti. Le monde les ignore ? ils le lui rendent, se préoccupant presque exclusivement de développer leur théologie.

Et nous ? oui, nous : où nous situons-nous ? Sommes-nous encore du monde ? ou avons-nous trouvé le Père ? ou entre les deux ? C'est que le chemin est encore long qui va des premières interrogations sur l'au-delà des simples apparences à la connaissance, non pas pleine et entière à laquelle nous n'atteindrons de toute façon jamais, mais déjà une connaissance qui soit plus qu'un simple savoir intellectuel, plus qu'une déduction raisonnable, plus qu'un sentiment intuitif, plus qu'un héritage culturel. Nous pouvons effectivement fort bien avoir adhéré à un modèle religieux qui nous semble cohérent, évident même, dans lequel nous trouvons notre compte à respecter les obligations qui nous y sont faites, notre plaisir à participer à ses rites, une grande satisfaction à y développer notre sens moral, à devenir de plus en plus altruistes et intériorisés en même temps. Tout ceci est bon, et nécessaire, mais n'est pas encore la connaissance du Père. Ce n'est pas encore une certitude qui résiderait en nous comme une source intarissable, ce n'est pas encore la paix de l'éternité qui viendrait flirter avec notre impermanence, ce n'est pas encore la joie des amants que rien ne pourrait venir séparer. Oui, où en sommes-nous, où nous situons-nous, sur le chemin de la connaissance du Père ?

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