Partage d'évangile quotidien
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Pas touche !

Mar. 7 Avril 2015

Jean 20, 11-18 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Or Marie se tenait près du sépulcre, en dehors, pleurant. Tandis donc qu'elle pleure, elle se penche sur le tombeau et aperçoit deux anges en blanc, assis, un à la tête et un aux pieds, là où était posé le corps de Jésus.  Ceux-ci lui disent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur dit : « Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où ils l'ont mis. » 

Disant cela, elle se tourne en arrière et elle aperçoit Jésus qui se tient là. Et elle ne sait pas que c'est Jésus.  Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Elle croit que c'est le jardinier et lui dit : « Seigneur, si tu l'as retiré, dis-moi où tu l'as mis, et moi je le prendrai. »  Jésus lui dit : « Mariam ! » Retournée, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! » – ce qui se dit : « Maître ! » 

Jésus lui dit : « Ne me touche pas ! Car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va chez mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu. »  Marie la Magdaléenne vient annoncer aux disciples : « J'ai vu le Seigneur ! » – et ce qu'il lui avait dit. 

 

 

Jésus et la Samaritaine, par He-Qi

 

 

voir aussi : Elle a vu, Ah ! cette Madeleine..., La pleureuse consolée, L'amour plus fort, La voix de son Maître

Nous voici dans la version johannique de la première apparition de Jésus. Il faut cependant noter tout de suite que, pour Jean, les apparitions ne sont pas les événements les plus importants qui se soient produits après la mort de Jésus. Ce qui est vraiment primordial, dans cette tradition, c'est ce qui s'est passé juste avant cette scène avec Marie Madeleine, lorsque le "disciple que Jésus aimait", suite à son examen attentif de la disposition des linges dans le tombeau, "vit et crut". Le "disciple que Jésus aimait", c'est le fondateur de cette tradition, celui qu'on peut appeler "Jean" puisque l'évangile basé sur son témoignage est dit "de Jean", mais qui n'est pas le Jean fils de Zébédée et membre du groupe des douze. Le "disciple que Jésus aimait" est un Judéen, qui n'a pas participé à l'aventure galiléenne de Jésus, qui a tendance, comme tous les Judéens, à mépriser les Galiléens, qui avait connu Jésus dans l'entourage de Jean Baptiste, qui lui est resté fidèle en amitié, qui l'a fait se rencontrer avec plusieurs de ses propres amis (Nicodème, Lazare, Marthe et Marie, Joseph d'Arimathie), qui lui a prêté sa grande maison d'aristocrate pour le repas du jeudi soir, et qui sera donc le seul, devant le tombeau vide, à comprendre que le corps de Jésus n'a pas été enlevé, volé, par qui que ce soit, mais "relevé" par Dieu. Le "disciple que Jésus aimait" n'a pas eu besoin d'apparitions pour croire à la résurrection...

Ceci dit, l'évangéliste pouvait quand même difficilement faire l'impasse sur ce langage (les apparitions) utilisé par la tradition galiléenne pour parler de la résurrection de Jésus. Au moment de la rédaction de la première finale de l'évangile de Jean (ce chapitre 20, le chapitre 21 a été ajouté bien plus tard, dans les débuts du deuxième siècle, quand un petit reste de la communauté johannique va rejoindre le courant issu de Paul), Matthieu au moins a déjà parlé de l'apparition de Jésus aux disciples en Galilée sur une montagne. Cette scène, Jean (20, 19-23) la reprend dans ce qui suit immédiatement notre passage du jour avec Marie Madeleine, en la transposant dans le Cénacle, dans sa maison donc, chez lui : c'est l'envoi des disciples en mission, avec les mêmes "pouvoirs" que Jésus. Il est vraisemblable qu'une première version de cette première finale de Jean se contentait de ces trois scènes : la découverte du tombeau vide par les femmes, la venue de Pierre et Jean pour vérifier ce qu'elles ont dit (avec donc la compréhension spéciale par Jean de ce qui s'est passé, mais qui n'en dit rien à Pierre), et l'apparition le soir aux disciples. Mais très vite, cette première apparition collective montre des faiblesses. On le voit particulièrement chez Matthieu, ce n'est presque qu'une idée de Jésus qui apparaît. Jean a bien ajouté que ce Jésus montre d'abord ses mains et son côté, pour s'identifier. C'est un premier pas, qui va vite en être suivi par d'autres, ce qui, chez Jean toujours, va se traduire d'abord par l'apparition à Marie Madeleine, et plus tard encore par la scène avec Thomas.

Nous avons donc maintenant, après ce que nous avons déjà vu samedi sur Marc et hier sur Matthieu, une genèse assez complète des différents récits des apparitions (il nous restera encore Luc, que nous verrons demain, mais il ne perturbe pas l'essentiel de ce que nous pouvons déjà dire) : d'abord chez Marc, seulement la découverte du tombeau vide, avec une annonce que les disciples reverraient Jésus en Galilée. Puis Matthieu raconte cette rencontre, sur une montagne. Ensuite Jean la transpose à Jérusalem, dans le Cénacle, puis ajoute la scène avec Marie Madeleine, et plus tard celle avec Thomas, tandis que Matthieu de son côté ajoute l'apparition de Jésus aux femmes repartant du tombeau. La deuxième partie de la finale de Marc (apparition à Marie Madeleine, pèlerins d'Emmaüs et rencontre avec les Onze), ainsi que la deuxième finale de Jean (chapitre 21) sont, enfin, des ajouts très postérieurs à tout ce qui précède. Il faut redire que cette genèse n'enlève rien au sens profond des raisons qui ont motivé leur élaboration. Les premiers chrétiens ont fait une expérience réelle d'un Jésus qui était devenu pour eux beaucoup plus vivant après sa mort qu'avant. Même si le langage qu'ils ont choisi pour le dire nous apparaît à nous, rationalistes du vingt et unième siècle, être trompeur, il faut noter d'une part qu'il ne l'était certainement pas autant à leur époque, voire pas du tout (il est vraisemblable qu'on comprenait très bien, alors, qu'il s'agissait d'un langage allégorique ; c'est notre évolution culturelle ultérieure qui nous les a fait comprendre, à tort, comme littéraux), et d'autre part nous ne pouvons même pas exclure qu'il y ait quand même eu des apparitions réelles, qu'on veuille les interpréter comme hallucinations ou pas.

Tout ceci étant dit, abordons enfin notre texte du jour. Il concerne Marie Madeleine, seule. Cette femme est toujours mentionnée en première dans le groupe, de composition variable selon les auteurs, des femmes qui sont dites avoir suivi Jésus depuis la Galilée (ce qui signifie un groupe de femmes strictement parallèle aux "disciples", des femmes qui ont été des fans de Jésus et qui l'ont accompagné partout exactement comme les hommes), des femmes dont Luc nous dit de plus que c'est certaines d'entre elles qui finançaient l'aventure "de leurs biens" (on peut supposer que les riches amis judéens de Jésus le faisaient aussi, mais c'est une autre question), des femmes qui sont les seules à être restées au pied de la croix (la mention du "disciple que Jésus aimait" comme présent parmi elles est hautement improbable), des femmes qui sont les seules des Galiléens a avoir été présentes à l'ensevelissement, et enfin des femmes qui sont les seules à s'être rendues de bon matin le dimanche au tombeau et à avoir ainsi découvert qu'il était vide. Nous voyons donc qu'il y avait aux côtés de Jésus un groupe de femmes, certainement aussi important que le groupe dit des douze, et que si la première à être mentionnée dans ce groupe est toujours Marie Madeleine, c'est que celle-ci avait un rôle absolument similaire à celui attribué à Pierre du côté des hommes. Ce n'est pas un hasard si c'est avec elle que se déroule cette scène.

Il est certain que dans tout rapport entre hommes et femmes entre toujours une dimension sentimentale. Nous l'avions déjà vu avec Marie de Béthanie, qu'on ne peut d'ailleurs en aucun cas confondre avec notre Marie de Magdala. Nous n'entrerons donc pas dans les développements fantasmés de mariage de Jésus — d'autant qu'il nous faudrait alors choisir entre au moins deux "amoureuses" —, mais nous ne pouvons pas ne pas remarquer que le "ne me touche pas !" a une dimension charnelle. Sans qu'il n'y ait là rien de scabreux, il y a cependant un appel à Marie, un avertissement, que cette apparition ne signifie pas qu'elle va pouvoir de nouveau manifester sa tendresse et son dévouement comme elle avait pu le faire auparavant, qu'elle va devoir entrer dans un autre mode de relation. Cette dimension est certaine dans l'esprit de l'auteur, il ne s'agit pas d'une histoire que Jésus n'aurait été qu'un ectoplasme et que la supercherie aurait été découverte, puisqu'il va ensuite nous raconter l'histoire de Thomas que, là, il invite au contraire à venir le toucher. Ce qui nous perturbe, c'est la raison donnée pour laquelle Marie ne devrait pas le toucher : "car je ne suis pas encore monté vers le Père". Mais ceci est une mauvaise interprétation du texte, lequel, faut-il le rappeler, n'a pas de ponctuation, à l'origine. Cette proposition de causalité n'est pas liée au "Ne me touche pas !", mais à ce qui suit : "Je ne suis pas encore monté vers le Père, ...va donc le dire à mes frères". Ce "ne me touche pas" est bien propre à Marie, l'invitant à entrer tout de suite dans la nouvelle situation d'un Jésus plus vivant que jamais, mais seulement pour les yeux de la foi.

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