Partage d'évangile quotidien
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Gagner sa vie

Mer. 26 Novembre 2014

Luc 21, 12-19 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Mais avant tout cela, ils jetteront sur vous leurs mains, ils vous persécuteront, ils vous livreront aux synagogues et aux prisons, ils vous emmèneront devant rois et gouverneurs, à cause de mon nom : cela débouchera pour vous sur un témoignage. Mettez donc en vos cœurs de ne pas vous soucier d'avance de vous défendre, car Moi, je vous donnerai une bouche et une sagesse à quoi ils ne pourront s'opposer, ni contester, nul de tous vos adversaires. 

« Vous serez livrés même par parents, frères, proches et amis, et ils en feront mourir parmi vous. Vous serez haïs par tous en raison de mon nom. Mais cheveu de votre tête point ne se perdra. Par votre endurance vous posséderez vos âmes. » 

 

 

Le matin de Pâque, par He-Qi

 

 

voir aussi : Sans souci, S'il n'en reste qu'un, Temps incertains, Comme l'or par le feu, Vérité qui libère

Après l'annonce, hier, d'une hypothétique fin des temps, à venir, correspondant au retour définitif de Jésus — ce qui était en réalité l'espérance, de plus en plus exacerbée, des premiers chrétiens — le discours apocalyptique, chez Luc ici, mais aussi chez Marc (13, 9-13) et Matthieu (10, 17-22), en vient ensuite à la description de ce qui était le présent de ces mêmes premiers chrétiens, du moins de ce qui a pu être parfois leur lot : les persécutions. À priori on pourrait penser que deux types de persécutions sont mentionnées : persécutions religieuses de la part des juifs qui ne croient pas en Jésus comme Messie (les synagogues), et persécutions plus politiques (rois et gouverneurs). Mais il n'est pas vraisemblable que ce texte, commun aux trois synoptiques et provenant sans doute de la source Q, parle déjà des persécutions romaines, celles décidées au niveau de l'empire. Il s'agit plutôt d'évoquer des procédures similaires à celle décrite pour Jésus, où le pouvoir religieux se débarrasse en quelque sorte sur l'occupant de l'exécution de la sentence. L'adoption d'un tel processus de la part des autorités religieuses juives, que ce soit pour les premiers chrétiens comme déjà pour Jésus, signifie notamment que pas plus l'un que les autres n'étaient considérés comme clairement blasphémateurs, faute de quoi ils auraient simplement eu droit à la lapidation, comme Étienne dans les Actes des Apôtres. Autrement dit, dans ces premières communautés-là, Jésus était le Messie, mais certainement pas le Fils de Dieu...

Luc a apporté un changement notable, par rapport à Marc et Matthieu (dont on considérera qu'ils rapportent la version originelle du passage), dans la promesse de ne pas avoir à se soucier du discours à tenir pour se défendre. Les deux autres synoptiques, donc, expliquent que "cela vous sera donné, ce n'est pas vous qui parlerez, mais le saint Esprit". La version qu'a construite Luc ne contredit pas formellement cette description. Là où il était question que ce soit donné, sans qu'on précise par qui, Luc a affirmé que ce serait Jésus qui donnerait : "Moi, je vous donnerai", et là où il était dit que ce don serait l'Esprit, Luc a préféré parler plus vaguement d'une bouche et d'une "sagesse", ce qui n'est pas contradictoire, mais ne mentionne pas clairement non plus le troisième compère de la Trinité... Bref, tout semble indiquer que Luc a voulu mettre ici en avant le rôle de Jésus au détriment de celui de l'Esprit. Ceci est très surprenant de la part de cet auteur, dont c'est justement normalement comme une marotte de mettre l'Esprit un peu à toutes les sauces (voir notamment son récit de l'enfance et les Actes). Est-ce le fait qu'il s'agit spécifiquement de prononcer des 'paroles', qui l'a amené à préférer en attribuer la source à Jésus, empruntant ainsi en quelque sorte à Jean sa figure du 'Verbe' ? Ce n'est pas impossible, il semble que Luc avait connaissance d'au moins une partie de la théologie johannique, sinon d'une version de son évangile, au stade où il en était à l'époque où Luc a rédigé. Peut-être donc est-ce ce qui l'a motivé ici, même si dans les Actes il ne se prive pas de mentionner l'Esprit comme l'inspirateur direct des paroles des uns et des autres...

Second changement notable chez Luc, cette fois dans la morale finale du passage. Marc et Matthieu ont exactement les mêmes mots : "qui endurera jusqu'à la fin, lui, sera sauvé". Luc a donc déjà supprimé le "jusqu'à la fin", pour lui il s'agit de persévérer au travers des épreuves, mais nous savions déjà qu'il ne croit pas trop à ce retour prochain de Jésus, à ces fins dernières imminentes. Ses communautés ont tout un empire à convertir, quand celle de Matthieu, par exemple, stagne déjà depuis longtemps dans un rapport de forces à peu près stable entre juifs convaincus que Jésus était le Messie et juifs convaincus du contraire... Luc n'a pas éliminé complètement de ses perspectives la parousie, mais il ne saurait être question pour lui d'attendre qu'elle se produise pour être victorieux ! Luc distingue le salut universel du salut personnel. Pour Marc et Matthieu, tant que cette fin des temps prochaine ne s'est pas produite, rien n'est gagné, il faut endurer et toujours endurer jusqu'au bout. Pas pour Luc, qui, pour cette raison, change aussi l'expression qui dit cette victoire, et plutôt que d'être "sauvé" préfère parler de "posséder son âme", ou mieux "gagner sa vie". Ici, plusieurs traductions ont voulu réutiliser le "sauver" de Marc et Matthieu, à tort. Elles retombent dans la perspective de ces deux évangélistes où il s'agit en quelque sorte de préserver quelque chose qu'on aurait déjà. La perspective de Luc n'est pas celle-là, pour lui il s'agit bien d'acquérir, soit au sens fort d'acquérir quelque chose qu'on avait pas auparavant, soit au sens plus restreint d'acquérir la pleine possession ou maîtrise de ce qui n'était qu'une potentialité.

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