Partage d'évangile quotidien
<
Enregistrer le billet en pdf

Mais non, mais non

Ven. 25 Septembre 2015

Luc 9, 18-22 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Or, quand il était en prière dans un lieu solitaire ses disciples étaient près de lui. Il les interroge en disant : « Les foules, qui disent-elles que je suis ? »  Ils répondent et disent : « Jean le baptiseur. D'autres : Élie. D'autres : un prophète, des ancêtres, s'est levé. »  Il leur dit : « Et vous ? Qui dites-vous que je suis ? » Pierre répond et dit : « Le Messie de Dieu ! » 

Il les rabroue et leur enjoint de ne dire cela à personne.  Il dit : « Le fils de l'homme doit beaucoup souffrir, et être rejeté par les anciens, grands prêtres et scribes, et être tué, et, le troisième jour, se réveiller. » 

 

 

La crucifixion, par He-Qi

 

 

voir aussi : Qui es-tu ?, Et vous, qui dites-vous ?, Messie ? mais non !, Messie autrement, Esotérisme

Exactement les mêmes "on-dit" qu'hier : Jean Baptiste revenu des morts, ou Élie, ou "un prophète d'entre les ancêtres". Il n'y a pas de raison que les foules aient changé si vite d'avis entre temps, entre le questionnement d'Hérode et maintenant, surtout que maintenant c'est juste après la multiplication des pains. Mais, lors du questionnement d'Hérode, on était resté dans ces formulations qui disent sans dire ; on parle du retour d'un prophète, et pour tout le monde il est sous-entendu que Jésus est donc le Messie, mais on ne le dit pas non plus clairement. Il s'agit peut-être de prudence, de la part des foules : les autorités ne se sont pas encore prononcées, et Jésus non plus d'ailleurs ne s'est pas encore déclaré comme tel. Il y a eu trop de "messies" qui ont surgi au cours de ce premier siècle, prétendant être capables de produire des miracles extraordinaires, qui n'étaient que des tours de passe-passe, et entraînant derrière eux dans des aventures sans lendemain, voire tragiques, trop de malheureux crédules. Que Jésus se revendique lui aussi être le Messie, ou qu'il ne le fasse pas, est donc un élément important pour la suite de son histoire.

Sur les suites immédiates de la multiplication des pains, l'évangile de Jean est le plus radical, qui nous parle de la foule qui voulait emmener sur le champ Jésus, de force, à Jérusalem pour le mettre sur le trône. Cette foule aurait donc franchi le pas ; que Jésus n'ait rien affirmé sur le sujet ne l'a pas empêchée d'être persuadée du fait, Jésus était le Messie, il n'y avait aucune raison d'attendre plus longtemps. Marc, et Matthieu à sa suite, ne nous parlent pas de cette tentative de rapt, mais ne peuvent cacher qu'il y a de l'eau dans le gaz entre Jésus et ses disciples, puisqu'il les force à s'en aller, sans lui. Luc, lui, ne nous dit rien de tout ça ; chez lui, le repas se termine, on ramasse les "miettes", et il enchaîne sur cette scène que nous avons aujourd'hui, que Marc et Matthieu situent nettement plus tard. Mais sur le fond, Luc a parfaitement raison : la question centrale que pose la multiplication des pains est bien celle de savoir si, oui ou non, Jésus est le Messie. Après un tel signe, il faut qu'il se décide.

Or, s'il y a une chose certaine dans les quatre évangiles, c'est qu'aucun ne prétend que Jésus aurait jamais fait une telle affirmation ; aucun ne met dans sa bouche une phrase du genre "je suis le Messie". La messianité attribuée à Jésus repose entièrement sur ce qu'ont pensé : les foules, pendant toute la première période, galiléenne, de son ministère ; et les disciples. Le moins qu'on puisse dire, même, c'est qu'il s'en est plutôt énergiquement défendu. Faut-il qu'on soit particulièrement aveuglé par l'idéologie officielle pour ne pas savoir lire ? Ici : Pierre dit "Tu es le Messie", Jésus le rabroue. Chez Marc, exactement la même chose. Chez Jean : vous voulez faire de moi votre roi, mais c'est uniquement parce que vous avez eu le ventre rempli ! Il n'y a que Matthieu qui prétend que Jésus aurait félicité Pierre ; mais Matthieu est aussi le seul à nous affirmer tout un tas d'autres choses à propos de Pierre. Bref, Matthieu roule pour Pierre, et, derrière Pierre, pour une institutionnalisation du "mouvement Jésus" ; on ne peut pas accorder beaucoup de crédit à ses louanges à Pierre pour avoir affirmé que Jésus était le Messie.

Jésus, le Messie ? il les rabroue, et il commence à leur dire... Luc n'a pas le "commence", mais il est chez Marc et Matthieu, et il correspond bien au sens de ce qui se passe à partir de la multiplication des pains. Jésus a refusé d'endosser l'habit du Messie, et, s'il n'est pas certain qu'il ait su dès cet instant où cela le mènerait, s'il est même certain qu'il n'a pas su tout de suite tous les détails qui nous sont déjà donnés ici, c'est en tout cas la relecture qu'en ont fait, avec raison, les premiers chrétiens après coup : c'est à partir de ce moment, de ce tournant de son ministère, qu'il s'est acheminé vers sa mort dans une impuissance assumée, puisqu'il refusait de s'emparer de ce genre de pouvoir que les foules voulaient lui donner. Ce qu'on appelle le "printemps galiléen", cette première période où les énergies se libèrent, où règne un enthousiasme qui va se révéler quelque peu trompeur, est terminé. Jésus va devenir méfiant vis-à-vis des "signes" qui ne remplissent que les ventres, et les foules vont se détourner d'un bateleur qui n'assure plus le spectacle. Seuls vont rester une petite douzaine de disciples, de moins en moins assurés de savoir ce qu'ils font à traîner encore derrière lui, et qui, à sa mort, lèveront aussitôt le camp pour rentrer chez eux, dégoûtés de s'être ainsi faits avoir par cet imposteur.

Commenter cet évangile