Partage d'évangile quotidien
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Deuxième service

Sam. 27 Septembre 2014

Luc 9, 43-45 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Ils sont frappés, tous, de la grandeur de Dieu. Comme tous s'étonnent de tout ce qu'il fait, il dit à ses disciples : « Vous, mettez dans vos oreilles ces paroles : c'est que le fils de l'homme va être livré à des mains d'hommes. » Ils ne comprennent pas ce mot : il était voilé pour eux, pour qu'ils ne le perçoivent pas. Et ils craignaient de le questionner sur ce mot. 

 

 

L'entrée triomphale à Jérusalem, par He-Qi

 

 

voir aussi : Ils ont des oreilles..., Deuxième avertissement, Manipulations, Grandeur et servitude

Le découpage liturgique nous a encore fait sauter un petit passage dans le récit de Luc, cette fois-ci essentiellement la transfiguration. Et voici à la suite, comme chez Marc et Matthieu, la seconde annonce de la Passion. La première, que nous avons vue hier, faisait suite à l'affirmation par Pierre que Jésus serait le Messie. Il s'agissait de le faire descendre de ses conceptions très humaines d'un Jésus aux super pouvoirs, qui s'emparerait du trône de David et dirigerait la nation, en donnant à tout le monde du pain sorti de nulle part, et supprimant toute maladie et tout malheur. Jésus n'est pas venu pour parler d'un Dieu magicien... Et ici encore, c'est contre la même tentation que l'annonce de la Passion vient mettre en garde. C'est que pendant que Jésus était transfiguré sur la montagne, les disciples restés en bas dans la plaine avaient fait les malins en se croyant capables de guérir un épileptique qu'on leur avait apporté. Il leur a sauvé la mise en guérissant effectivement le malheureux (c'est la "grandeur de Dieu dont tous sont frappés et s'étonnent"), mais, à nouveau, donc, Jésus doit mettre les points sur les 'i'. Les guérisons peuvent être des signes envoyés par Dieu, mais certainement pas des outils pour conquérir un pouvoir quelconque !

La caractéristique de cette deuxième annonce, chez Luc, est qu'il l'a réduite à l'extrême, rendant difficilement compréhensible la conclusion qu'il donne ensuite à l'épisode. Luc parle seulement de ce que Jésus va être arrêté. Si nous ne connaissions pas la suite de l'histoire, nous aurions envie de dire : ah oui ! et alors ? Marc (9, 30-32), dans la version dont Luc s'est pourtant inspiré, ajoute, suivi aussi par Matthieu (17, 22-23), qu'après avoir été arrêté Jésus sera tué, et, trois jours après, "se relèvera" ("se réveillera" chez Matthieu). Luc a donc supprimé la mort, et surtout la résurrection. Or, quand il dit ensuite que les disciples "ne comprennent pas ce mot", le mot en question est précisément ce relèvement ou réveil, que nous avons appelé par la suite 'résurrection'. Les disciples ne comprennent pas le concept d'un mort qui ressurgit ensuite, et avouons qu'il y a de quoi. Ce qui est le plus curieux, encore, c'est que Luc est le seul à faire allusion à cette incompréhension des disciples pour cette idée de résurrection : chez Marc et Matthieu, qui la font prophétiser par Jésus, les disciples ne semblent pas se poser de questions, mais chez Luc qui l'a supprimée de la prophétie, les disciples s'interrogent ! En fait, on trouve exactement la même interrogation chez Marc (9, 9-10), mais attribuée à Pierre, Jacques et Jean, après la transfiguration : Jésus leur demande de ne pas parler de ce qu'ils ont vu avant que "le fils de l'homme se lève d'entre les morts", sur quoi ils se mettent à discuter entre eux : "c'est quoi ça, se lever d'entre les morts ?". Il semble que ce soit là que Luc soit allé chercher sa remarque sur les disciples qui "ne comprennent pas le mot", même si on ne voit pas pourquoi, alors, il a supprimé le mot lui-même... Dans sa troisième annonce de la Passion, Luc (18, 31-34) reprendra exactement la même remarque à propos des disciples : "ils ne comprennent rien, ce mot leur restait caché", mais là la prophétie parle bien de Jésus "se relevant".

Au-delà de la formulation un peu curieuse de cette deuxième annonce de la Passion chez Luc, on peut noter l'ancienneté certaine du principe des trois annonces qui viennent rythmer le récit évangélique des synoptiques après la multiplication des pains, et qui marquent nettement de leur tonalité le changement de perspectives du ministère de Jésus. Jusqu'à la multiplication des pains, tout baigne, pourrait-on dire. Des signes se produisent, Jésus y voit le Royaume en train de venir, déjà là même, sous forme de prémices, et c'est ce que pensent les foules aussi, qui le suivent avec enthousiasme. À la multiplication des pains, cependant, se produit une rupture. Les cinq mille hommes réunis dans le désert veulent marcher sur Jérusalem en le forçant à venir avec eux. Jésus comprend qu'il n'est pas du tout sur la même longueur d'ondes qu'eux, et qu'il va devoir casser cette conception très politique, et pour tout dire matérialiste, qu'ils se font du Royaume. Vous me prenez pour qui ? Mais pour le Messie, évidemment ! Eh bien, non ! vous vous trompez. Je ne suis pas votre Messie. Il est peu probable que Jésus ait alors prédit comment l'histoire se finirait pour lui, surtout pas avec le luxe de détails qu'on trouve, par exemple, dans la troisième annonce. Mais ses réticences très fortes sur la fonction du Messie, elles, ont certainement été retenues, et formulées par la suite, après que la fin ait été connue, sous cette forme des trois annonces que nous avons, explicitant après coup ce qui avait été vraisemblablement dans les faits réels beaucoup plus vague.

Reste donc un Jésus qui doit se battre contre ses partisans, jusque et y compris les douze, pour ne pas se faire mettre sur le dos une défroque dont il ne veut pas, et, derrière la défroque, contre toute une mentalité, en réalité incapable d'entrer dans la vision spirituelle d'un Dieu Père, qui n'agit pas de l'extérieur, qui n'est pas tout-puissant, mais qui se révèle uniquement à l'intérieur de chacun, dépendant alors de notre disponibilité à l'écouter ou non. Il se bat, mais il comprend aussi assez vite qu'il échoue, personne ne comprend de quoi il parle ! Mais que pourrait-il faire d'autre que de continuer d'essayer ? Et, s'il finit par se rendre à Jérusalem, c'est sans doute parce qu'il a estimé qu'il devait essayer, encore, jusqu'au cœur des autorités religieuses du judaïsme de son temps, comme dans un défi, ou comme dans un témoignage ultime, où son Dieu serait sommé de se mesurer au YHWH de son enfance défendu par ses représentants accrédités sur terre. Défi, parce qu'il se doute bien qu'il ne sera pas plus entendu du sanhédrin que des foules de Galilée, qu'il y laissera alors certainement sa vie, mais cela, c'est justement son Dieu que ça regarde...

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