Partage d'évangile quotidien
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Dans le mille ?

Lun. 2 Février 2015

Marc 5, 1-20 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Ils viennent vers l'autre côté de la mer, au pays des Géraséniens. Il sort de la barque. Aussitôt le rencontre, venant des sépulcres, un homme avec un esprit impur. 

Il a son habitat dans les sépultures. Et personne, même avec une chaîne, ne peut plus le lier. Vu que souvent, avec des entraves et des chaînes, ils l'avaient lié, mais il avait éclaté les chaînes et cassé les entraves. Personne n'a la force de le dompter. Sans cesse, nuit et jour, dans les sépultures et dans les montagnes, il est à crier et à se taillader avec des pierres. 

Il voit Jésus à distance. Il court, et se prosterne devant lui,  il crie, et d'une voix forte il dit : « Qu'est-ce, de moi à toi, Jésus, fils de Dieu, le Très Haut ? Je t'adjure par Dieu : ne me tourmente pas ! »  Car il lui disait : « Sors, l'esprit impur, de l'homme ! »  Il l'interroge : « Ton nom ? » Il lui dit : « ‘Légion’, mon nom : c'est que nous sommes beaucoup ! » Et il le suppliait beaucoup de ne pas les envoyer hors du pays. 

Or, il y a là, vers la montagne, un grand troupeau de cochons en pâture.  Ils le supplient en disant : « Expédie-nous dans les cochons pour qu'en eux nous entrions. » Il les autorise. Et sortent les esprits impurs, et ils entrent dans les cochons. Le troupeau dévale du haut de la falaise dans la mer, — environ deux mille : ils sont suffoqués dans la mer. 

Leurs pâtres s'enfuient, et annoncent à la ville et aux champs. Ils viennent voir : qu'est-ce qui est arrivé ?  Ils viennent vers Jésus. Ils aperçoivent le démoniaque assis, vêtu, sain d'esprit, lui qui avait eu le ‘Légion’ ! Et ils craignent. Ceux qui ont vu leur racontent comment c'est arrivé au démoniaque, et à propos des cochons. Ils commencent à le supplier de s'en aller de leurs frontières. 

Quand il monte dans la barque, l'ex-démoniaque le supplie pour être avec lui.  Il ne le laisse pas faire, mais lui dit : « Va dans ton logis, vers les tiens, annonce-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi, et comment il a eu pitié de toi. » Il s'en va et commence à clamer dans les Dix-Villes tout ce qu'a fait pour lui Jésus. Et tous s'en étonnent. 

 

 

Le passage de la mer Rouge, par He-Qi

 

 

voir aussi : Hors jeu !, L'ennemi intérieur, Supplices et supplications, Succès mitigé, Légions

Nous sommes dans un récit purement allégorique. L'homme possédé de deux mille démons symbolise à lui seul tout le monde païen, tout entier enseveli dans l'impureté, comme en témoigne déjà ce seul fait qu'ils élèvent des cochons, animaux impurs. Le récit s'en donne donc à cœur joie dans l'outrance grand-guignolesque : il n'y a rien à faire avec des païens, à espérer les civiliser au moyen des règles de la Torah, ils les briseraient toutes, et ils sont donc comme ce possédé, errant à la surface de la Terre, sans but, sans raison. Leur langage est comme des cris inarticulés, incapables d'exprimer ce qui habite leur âme, et ils passent leur vie à s'auto-mutiler en se heurtant aux parois de leur prison.

C'est une vision terrible des païens, qui nous est donnée là. C'est une vision en tout cas propre au judaïsme de ceux qui vivaient en Israël. Les juifs qui vivaient dans la diaspora s'étaient plus ouverts aux cultures au milieu desquelles ils vivaient, et leur reconnaissaient des éléments positifs. Jésus a pu être sensibilisé à cette ouverture au monde, par l'intermédiaire de ses riches et cultivés amis de Jérusalem. Mais il est à peu près certain qu'il n'envisageait pas que sa mission concerne directement les païens, surtout pas à ce stade de son ministère où nous en sommes, c'est-à-dire dans la période galiléenne d'avant la multiplication des pains. Notre récit d'aujourd'hui sert plutôt à justifier la pratique ultérieure des premiers chrétiens, dont certains avançaient dans cette direction. En construisant ce récit où Jésus aurait fait une telle tentative, mais avec aussi un tel rejet du monde païen à son égard, ils justifient à la fois qu'en s'adressant eux-mêmes aux païens ils agissent en continuité avec ce qu'aurait souhaité Jésus, et, à la fois, que Jésus lui-même n'ait pas pu aller plus loin dans ce domaine.

Nous voici donc avec ce possédé qui essaie d'abord de faire valoir à Jésus qu'il n'a rien à faire ici : "Qu'est-ce, de moi à toi ?" est un sémitisme qui signifie qu'il n'y a rien entre nous qui nous lie, aucune obligation, et donc aucune justification à ce que Jésus vienne lui chercher des poux dans la tête. Aussi peut-il bien l'"adjurer par Dieu" de le laisser tranquille : tout en le reconnaissant comme envoyé de Dieu, c'est au nom de ce même Dieu qu'il lui rappelle que sa mission n'est pas ici. Mais, comme Jésus a déjà prononcé l'exorcisme, il cherche à au moins limiter les dégâts : s'il tient vraiment à les chasser de cet homme, alors en ce cas qu'il n'envoie pas les démons "hors du pays", qu'ils puissent rester dans cette contrée païenne, où ils n'auront pas de mal à trouver de nouveaux hôtes à tourmenter. Cela semble un compromis raisonnable, il sera ainsi donné acte à Jésus de ses intentions, sans qu'elles ne s'accomplissent pour autant, sans que ces démons ne soient renvoyés au néant. Et Jésus agrée, il est d'accord, ces démons ont raison, la volonté de Dieu n'est pas qu'il débarrasse les païens de leurs tourments, sa mission est de faire venir le Royaume en Israël, pas parmi les nations. Que les cochons se précipitent d'eux-mêmes dans la mer — donc retournent effectivement et finalement au néant, selon la symbolique des eaux — n'est pas le fait de Jésus.

S'ensuit alors la petite scène comique avec les villageois, où on ne sait pas trop ce qui leur fait le plus peur, entre la puissance manifestée par Jésus pour libérer le possédé, et la perte de deux mille cochons. Mais c'est la scène finale qui est la plus intéressante. L'homme demande à Jésus à "être avec lui". Cette expression précise ne peut signifier qu'une chose : c'est celle qui a été utilisée quand Jésus a choisi les douze "pour être avec lui" (Marc 3, 14), c'est là leur première caractéristique. Ce n'est pas seulement l'autorisation de "suivre" Jésus, c'est-à-dire d'être "disciple", qu'il demande, mais d'être "apôtre"... Or, si Jésus n'accepte pas qu'il vienne avec eux, il l'"envoie" par contre, annoncer aux siens ce qui s'est passé, et lui part effectivement "clamer". Et, "envoyer clamer" est précisément la deuxième caractéristique du groupe des douze... Sans faire partie du groupe — ce qui n'aurait pas de sens avec ce païen puisque le douze symbolise les douze tribus d'Israël — cet homme a pourtant reçu de Jésus une mission qui s'apparente à la leur, un apostolat. Cette fois-ci, les premiers chrétiens sont donc pleinement justifiés de vouloir annoncer la bonne nouvelle jusqu'aux païens !

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