Partage d'évangile quotidien
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Retour sur terre

Lun. 9 Février 2015

Marc 6, 53-56 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Ils achèvent la traversée et viennent sur la terre, à Gennésareth : ils accostent là. 

Ils sortent de la barque. Aussitôt les gens le reconnaissent.  Ils parcourent tout ce pays-là, et ils commencent, sur les grabats, à transporter ceux qui vont mal, là où ils entendent qu'il est. Et là où il arrive, villages, villes ou champs, ils mettent les infirmes sur les places publiques. Ils le suppliaient : rien que toucher la tresse de son vêtement ! Et tous ceux qui le touchaient étaient sauvés. 

 

 

L'entrée triomphale à Jérusalem, par He-Qi

 

 

voir aussi : Fin de l'état de grâce, Libérez nos prisonniers !, Nettoyage de printemps, Foules un jour ..., Raz-de-marée

La liturgie nous a fait omettre la multiplication des pains et la marche sur les eaux, parce que ce sont deux épisodes que nous avions déjà lus dans le temps de Noël (mardi et mercredi de la semaine après l'épiphanie). En lisant ce texte d'aujourd'hui, nous avons l'impression qu'il ne s'est rien passé de notable entre-temps. La description de l'attitude de la foule est exactement la même que précédemment. Nous avons l'impression d'être au soir de la journée inaugurale de Capharnaüm : "ils portent devant lui tous ceux qui vont mal" (1, 32), ou un peu plus tard : "ils tombent sur lui pour le toucher" (3, 10). Mais nous aurons encore de telles mentions ultérieurement : "des foules, de nouveau, font route vers lui" (10, 1). D'une manière générale, les synoptiques ont voulu glisser sur les conséquences de la multiplication des pains. Ce n'est en fait pas vraiment surprenant, quand on voit que les tout premiers chrétiens — dont témoigne la source Q, et dont est héritier le récit synoptique à sa base — reproduisaient ce qu'avait fait Jésus en Galilée. Tout se passe comme si ce prophétisme itinérant de la source Q était resté bloqué dans le temps, sur la première période du ministère de Jésus.

Ils ont pourtant bien dû vivre la suite, mais on ne trouve pas trace chez eux de la désaffection d'un grand nombre de disciples, dont parle Jean suite à cette multiplication des pains (et chez Jean, le mot 'disciples' désigne tous les partisans de Jésus, tous ceux qui croient en lui...). Ils ont en fait vécu toute la suite, qui va jusqu'à la mort de Jésus, dans le déni. Ils n'ont pas compris. Jésus, ce jour-là, avait refusé toute conception politique du Royaume, mais ils n'ont pas voulu y croire, tout simplement parce qu'ils en étaient incapables. Et quand ils sont touchés par ce qu'ils appellent la résurrection et la venue de l'Esprit, ils raccrochent purement et simplement les wagons là où ils les avaient laissés, ils se relancent dans une mission dont les horizons sont de guérir toute maladie, ce qu'ils assimilent au Royaume, tout en laissant la porte ouverte à Dieu pour décider comment cela aboutira finalement à la restauration de la royauté d'Israël sur sa terre... Ils ne s'occupent effectivement pas de politique, ce point-là, au moins, ils en ont compris la leçon, mais cela ne veut pas dire que leurs conceptions du Royaume aient fondamentalement évolué.

Qu'ils ne se soient pas occupés de politique, au moins dans un premier temps, ne veut pas dire non plus qu'ils n'en soient pas venus à s'organiser, à se structurer, à se doter d'instances de décision et d'arbitrage ; la communauté matthéenne de Jérusalem, avec à sa tête la famille de Jésus, est là pour en témoigner. Le fait que ce soit à Jérusalem qu'elle se soit installée, alors que le mouvement s'était initié en Galilée, signifie aussi pour le moins qu'elle voulait tenir sa place dans le jeu de pouvoir des instances dirigeantes juives. Côté politique, donc, ils étaient surtout devenus plus réalistes. Et puis, en étant dans la capitale, ils étaient aussi sur place pour le jour où ça se produirait, cette venue définitive du Royaume, avec intronisation d'un des frères de Jésus sur le siège de David. Nous avons de la peine à imaginer que des considérations, qui nous semblent aujourd'hui à ce point au ras des pâquerettes, aient pourtant fait partie des représentations que se faisaient ces premiers chrétiens-là. Par rapport au christianisme qui s'est développé ultérieurement, nous avons l'impression de balbutiements préhistoriques. En fait, surtout, cette branche peut être quasiment considérée comme une de celles, avec beaucoup d'autres, qui ont fini en cul-de-sac, en impasse.

La branche qui a gagné, c'est celle de Paul, avec développement de toute une théologie qui a largement extrapolé le messianisme juif original — dans lequel s'étaient donc enfermés les disciples galiléens — pour lui donner une dimension universelle. On passe d'un Messie, fils de Dieu au sens davidique de bien-aimé, à un Fils de Dieu plus fidèle à ce que Jésus a pu réellement vivre et voulu réellement transmettre — avec la représentation de Dieu comme Père et la fraternité qui en découle entre tous les hommes —, pour aboutir finalement au Fils unique de Dieu, qui, en élevant Jésus toujours plus haut au-dessus de nous, vient en fait affadir et même trahir ce message. À partir de cette dernière représentation, en effet, on glisse du spirituel à la religion instrumentalisée. L'expérience, réelle et concrète initialement, de la venue de l'Esprit n'est plus qu'un souvenir allégorique, une idée purement intellectuelle au nom de laquelle on a développé un moralisme en guise de chemin, et des 'sacrements' qui ne sont plus que des outils d'asservissement à une hiérarchie, au mieux aveugle et ignorante, au pire cynique et profanatrice. Le Jésus Messie juif a donc disparu dans les oubliettes de l'histoire — si on excepte le fait qu'il a ressurgi comme origine de l'islam, mais c'est un autre sujet. Le Jésus Fils unique de Dieu a de plus en plus de mal à résister aux assauts de la raison et de la modernité. Peut-être l'heure du Jésus "seulement" Fils de Dieu, homme exactement comme tous les hommes, tous appelés à réaliser leur divinité exactement comme lui, a-t-elle maintenant sonné ?

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C
L'heure a sonné, mais il est évident que l'être humain n'est pas Jésus. <br /> bonne soirée<br /> clem
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