Partage d'évangile quotidien
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Les feus au feu

Mar. 28 Juillet 2015

Matthieu 13, 36-43 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Alors il laisse les foules : il vient à la maison. Ses disciples s'approchent de lui en disant : « Éclaircis-nous la parabole des zizanies du champ. » 

Il répond et dit : « Le semeur de la belle semence est le fils de l'homme ; le champ est le monde ; la belle semence, ce sont les fils du royaume ; les zizanies sont les fils du Mauvais ; l'ennemi qui les a semées, c'est le diable ; la moisson est l'achèvement de l'ère ; les moissonneurs sont des anges. 

« Et comme les zizanies sont ramassées et brûlées au feu, de même en sera-t-il à l'achèvement de l'ère : le fils de l'homme enverra ses anges, ils ramasseront hors de son royaume toutes les occasions de chute, tous les fauteurs de l'iniquité. Ils les jetteront dans la fournaise du feu : là sera le pleur, le grincement des dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur père ! Qui a des oreilles, entende ! » 

 

 

Le buisson ardent, par He-Qi

 

 

voir aussi : Mauvaise herbe ?, Solution de facilité, À bon entendeur, Degré zéro de la parabole, La parabole pour les nuls

Cette explication de la parabole des zizanies n'a évidemment pas de parallèle chez Marc ni chez Luc, puisque déjà la parabole elle-même était propre à Matthieu. Et on ne peut pas dire qu'il se soit foulé : il nous sort d'abord une série de sept "égalités" (ceci est cela) d'une platitude nulle part ailleurs égalée dans tous les évangiles ! nous confirmant s'il en était besoin que cette parabole n'en est pas vraiment une, juste un sermon déguisé, qui a été composé exprès pour pouvoir arriver à la description qui suit alors, et qui elle, est une reprise de la conclusion d'une autre parabole, la dernière des sept rapportées par Matthieu, et que nous verrons après-demain. La parabole des zizanies, en elle-même, n'est pourtant pas centrée uniquement sur ce qui va se passer au moment de la moisson, on y sent toute la durée de la croissance pendant laquelle toutes les plantes ont le droit de vivre leur vie, chacune selon sa "nature". Ici, ce temps de l'entre-deux est complètement zappé, nous passons directement du semis à la récolte ; cette vie-ci où nous sommes, et où se joue en réalité tout notre sort ultérieur, n'apparaît alors que comme une parenthèse sans importance, comme si tout était joué à l'avance.

C'est là, sans doute, le but recherché, faire peur aux "fils du Mauvais", créer un choc, pour leur faire prendre conscience de ce vers quoi ils s'acheminent. Car, si dans l'histoire nous avons affaire à deux espèces de plantes dont il serait illusoire de penser que des individus de l'une puissent se transformer en des individus de l'autre, il faut quand même se rappeler que dans la réalité dont cette histoire n'est qu'une allégorie, personne n'est jugé à l'avance, n'importe qui peut se repentir de ses comportements passés et en adopter de nouveaux. Ce point-là, ni Matthieu, ni même Jean dont les formules pourraient parfois être ambigües, qui sont pourtant les deux évangélistes les plus proches du manichéisme, n'oseraient le contredire. La prédestination, qu'on pourrait parfois croire déceler dans leurs propos, n'est pas le fond de leur pensée, mais plutôt destinée, comme ici, à provoquer une réaction, déstabiliser, réveiller, éveiller.

Ceci dit, si cet optimisme doit être fermement maintenu, il me semble qu'il pose quand même question dans le cadre du paradigme chrétien classique d'une vie unique pour chacun. Car le repentir, se rendre compte qu'on s'est trompé, qu'on a mal agi, est une chose, ainsi que le pardon en principe accordé par "Dieu" dans la confession, mais je ne crois pas que ce "pardon" change quoi que ce soit aux torts qu'on a pu causer, et, même si ces torts sont de toutes façons irréparables en eux-mêmes (on ne peut pas faire que le mal qui a été fait ne l'ait pas été), le monde est en droit d'attendre que j'accomplisse, en quelque sorte, une quantité de bien suffisante pour contre-balancer ce mal. Comment alors, le bourreau de toute une vie qui se repentirait à l'article de la mort, pourrait-il procéder alors que son état physique lui interdit déjà d'accomplir quelque action que ce soit ? La réponse officielle est le purgatoire, ce lieu quelque part entre l'enfer (mais lui est définitif) et le paradis (définitif lui aussi). C'est une réponse très astucieuse, mais on se demande alors un peu pourquoi notre vie doit se dérouler dans les conditions où elle se déroule — c'est-à-dire nommément : matérielles — si un état de vie immatériel peut nous offrir exactement les mêmes capacités d'action sur ce qui constitue l'essentiel de notre finalité...

Je crois que le christianisme officiel est dans une contradiction intrinsèquement inextricable. Il proclame d'une part une "résurrection" de la chair qui devrait donner ses pleines lettres de noblesse aux conditions d'existence de notre vie actuelle (d'ailleurs les seules dont nous puissions être surs), tout en pensant que la transfiguration de cette vie se réaliserait dans un ailleurs où ces conditions n'auraient plus droit de cité. Bref, malgré tout ce qu'il peut en dire, c'est bien plus à pouvoir enfin s'enfuir dans un au-delà "en-dehors de", qu'aspirent l'immense majorité des chrétiens, qu'à procéder à la transmutation proprement alchimique de cet "ici-bas", en-dedans de lui, à l'intérieur, en y restant, et en y revenant encore et toujours. Pour le dire avec des images encore plus simplifiées, la résurrection n'est pas une montée vers un ciel éthéré mais au contraire une descente dans une matière pleinement, profondément, totalement, épousée. Ceci dit, que les chrétiens, ainsi que les fidèles des autres religions transcendantales, tous croyant en une vie unique sur laquelle tout se joue, se rassurent : les adeptes des religions immanentistes, qui croient au cycle des "réincarnations", ont pourtant pour la plupart eux aussi les mêmes perspectives, finir par s'échapper...

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