Partage d'évangile quotidien
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Au pays de Oui-Oui

Sam. 15 Juin 2013

Matthieu 5, 33-37 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Encore ! Vous avez entendu qu'il a été dit aux ancêtres : “À nul serment ne manqueras, mais tiendras au Seigneur tes serments !” 

« Or moi je vous dis de ne pas jurer du tout ! Ni par le ciel : il est trône de Dieu. Ni par la terre : elle est podium sous ses pieds. Ni par Jérusalem : elle est ville du grand roi. Ni par ta tête non plus ne jure pas : tu n'en peux faire un seul cheveu blanc ou noir. 

« Que votre parole soit : ‘Oui ? Oui !’ ‘Non ? Non !’ Le surplus est du Mauvais. » 

 

 

L'annonciation, par He-Qi

 

 

voir aussi : Parler vrai, Simples paroles

Nous sommes des êtres inconstants. Nous sommes tissés du temps, par nature nous ne savons pas durer. Nous faisons des efforts pourtant en ce sens, nous rêvons d'un monde stable, de repères clairs et établis. Si nous sommes portés sur la spiritualité, nous aimons à penser qu'une part de nous est éternelle. L'évangile de Jean le dit ainsi : nous préexistions dans le sein de Dieu avant même la création du monde. Cette aspiration fait partie de notre nature humaine, comme un remède ou une consolation à notre état. Il y a bien sûr la croissance physique de notre corps, puis sa décroissance, il y a l'évolution de notre pensée qui nous amène parfois jusqu'à bruler ce que nous avions adoré, mais il y a aussi nos humeurs, changeantes avec les saisons, les jours, les heures. Si nous étions seul(e) au monde, cela ne tirerait pas à conséquences.

Mais nous ne sommes pas seul, nous vivons en société avec nos semblables, nous formons des communautés d'affinités et d'intérêts, et cela nécessite qu'il y ait en nous un minimum de continuité, que le groupe puisse savoir sur qui et sur quoi compter. Cela vaut depuis la plus petite cellule, le couple, jusqu'aux plus grandes associations, les nations : aucune ne peut se passer d'une forme ou d'une autre de contrat et d'engagement de ses membres sur ce contrat. C'est ici que se pose la question du serment. À la croisée entre notre inconstance fondamentale et la volonté de survivre du groupe, nous avons inventé une forme de parole solennelle, une forme de parole qui est censée engager celui qui la prononce à plus de responsabilité et d'assiduité. Pour asseoir cette parole, on la fait se référer à un élément qui est censé, lui, être stable, assuré : Dieu, le ciel, le trône, la constitution. On fait ainsi jurer les personnes dans des situations où on veut particulièrement s'assurer qu'elles vont dire la vérité : les témoins dans les procès, ceux qui vont accéder à des charges importantes, ou pour entrer dans des sociétés secrètes...

"Tu ne prononceras pas de faux serments" : tu ne jureras pas si tu sais pertinemment que tu vas mentir. "Tu tiendras tes serments" : une fois que tu as juré, tu ne changeras pas d'avis, tu diras effectivement la vérité. C'est clair, si nous respectons ces deux commandements de la Torah, le serment est un système qui marche, c'est dans la boîte ! Mais patatras ! Jésus balaie tout ça d'un seul revers : tu ne feras pas de serment. Du tout. Point. Pour nous qui vivons à notre époque, deux mille ans plus tard, nous nous disons qu'évidemment plus personne ne croit ni ne respecte plus grand chose, nous en avons encore eu un exemple en France il n'y a pas si longtemps avec un certain ministre. C'est un aspect de la question, et je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il n'était pas déjà d'actualité à l'époque de Jésus, et en fait plus ou moins à toutes les époques. Mais cela ne me semblerait pas une raison suffisante pour abandonner le système. Bien sûr qu'il y aura toujours des gens pour tricher, mais si cela marche pour l'immense majorité des personnes ?

Non, je ne crois pas que ce soit pour cette raison que Jésus nous dit de ne pas faire de serments. Les raisons que nous donne le texte ne sont peut-être pas claires, non plus. Ne pas jurer sur le ciel, ni sur la terre, ni sur Jérusalem, parce qu'ils sont sacrés : ceci semble dire que nous ne sommes pas dignes de nous y référer, que nous les polluerions en quelque sorte en voulant nous appuyer dessus ? Ne pas jurer sur notre tête : c'est un peu dans le même sens, notre tête comme toute notre vie ne nous appartiennent pas, nous n'en sommes pas les maîtres. Mais c'est justement pour ces raisons que le serment s'appuie sur ce qui nous dépasse, non pas pour prétendre l'apprivoiser et le domestiquer, mais au contraire pour nous sortir de nous-mêmes et nous rendre, nous, dépendants de lui. Alors quel est le problème, qu'est-ce qui le turlupine, le Jésus ?

"Que votre parole soit oui oui non non" : c'est là le nœud de la question. C'est que l'existence même du serment fait que, automatiquement, notre parole dans les circonstances autres va s'en trouver dévaluée. Nous y ferons moins attention dans la vie courante, puisque nous estimons qu'elle ne nous engage pas autant. Cela peut nous sembler exagéré, mais il ne faut pas oublier le contexte dans lequel se situait Jésus, la certitude que le Royaume était là, que chaque minute en rapprochait : ce n'était plus le temps d'avoir une vie ordinaire interrompue parfois par quelques moments plus solennels, chaque instant devenait solennel ! Et quoi qu'il en soit du Royaume, s'il est déjà là ou encore à venir, c'est en tout cas l'attitude que s'efforce de prendre le chercheur spirituel sincère. De ce point de vue, ce n'est pas tellement au ciel ni à la terre que les serments font injures, c'est au sacré qui habite en nous, toujours, et toujours.

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