Partage d'évangile quotidien
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Du profane et du sacré

Mar. 11 Février 2025

Ce peuple m'honore des lèvres, mais leur cœur se tient loin de moi, aussi est-ce en vain qu'ils m'adorent, enseignant en guise d'enseignements des préceptes d'hommes...

Toutes ces prescriptions auxquelles s'astreignent principalement les pharisiens (et non tous les Juifs, ni même tous les Judéens, comme le prétend l'évangile de Marc) ne sont écrites nulle part dans la Torah. Il s'agit de pratiques que ces mêmes pharisiens, ou du moins leurs prédécesseurs, se sont mis à observer, et qui sont devenues ainsi des coutumes bien établies chez eux, et qu'ils appelaient la Torah orale, prétendant par là qu'elles remonteraient à Moïse lui-même, lequel, s'il ne les avaient pas mises par écrit, les auraient donc cependant transmises oralement...

Il est évident qu'avec ce genre d'argument, on peut imaginer à peu près n'importe quelle règle de conduite qui viendrait prendre place à côté et en sus de ce qui est déjà admis par tous... L'esprit — si tant est qu'on puisse parler d'esprit en l'occurrence — général qui présidait à ces innovations était de bien séparer deux domaines dans la vie, le domaine du sacré et celui du profane. Les lévites dans leur ensemble, et plus encore parmi eux les cohen, avaient de fait un certains nombres de prescriptions qui leur étaient propres, concernant ces règles de "pureté", et celles-ci bien écrites dans la Torah. On peut alors se demander si l'ambition des pharisiens et de leurs prédécesseurs n'était pas d'étendre ainsi à tous cette scission entre les deux domaines, une sorte de zèle pour permettre, ou imposer, à tout un chacun d'entrer lui aussi dans cette schizophrénie des deux domaines.

Car il me semble nécessaire de bien comprendre que, écrites ou pas écrites, ces règles qui ont pour objet d'établir ainsi deux mondes, le monde du sacré et du surnaturel, et le monde du profane et de l'ordinaire, procèdent d'une erreur fondamentale qui est de croire qu'on puisse ainsi domestiquer ce sacré, l'asservir, le contraindre, l'apprivoiser, le réduire à notre seul bon vouloir. On peut comprendre de telles tentatives : l'expérience du sacré, sous quelque forme que ce soit, est un ravissement, littéralement : on est emporté au-delà et comme hors de soi. Du moins est-ce ainsi qu'on la ressent, et en est-il effectivement ainsi, mais pour une part seulement. Seulement pour une part.

Car c'est bien quand même nous, soi-même, qui fait une telle expérience, et en réalité, au moment où elle nous a saisis, nous n'étions pas significativement plus ou moins dans un état de "pureté" que juste avant ou juste après, et finalement qu'à tout autre instant. L'expérience est donc un don, nous ne pouvons que la recevoir, mais la nostalgie, le souvenir vivant qu'elle nous en laisse, ne peut aussi que nous faire vouloir l'expérimenter de nouveau, à tout prix, et c'est alors que va se présenter la tentation de sacraliser, indûment, certaines des circonstances dans lesquelles nous nous trouvions au moment où elle nous a saisis.

C'est ainsi que se sont mises en place toutes ces "règles" de "pureté" qui ont été inscrites dans la Torah pour les lévites et les cohen, ainsi que ces règles que se sont inventé les pharisiens. Mais les unes ne sont pas plus sensées que les autres. On n'asservit pas la transcendance, on ne lui commande pas, c'est elle qui se révèle à nous, et surtout, il n'y a aucune disposition extérieure qui puisse nous préparer à l'expérience, cela ne dépend que de l'état de notre cœur, cela ne peut venir que de l'intérieur, de notre état d'esprit, puisque aussi bien cette transcendance est tout autant immanence.

Que notre cœur cesse donc seulement de nous accuser, et la lumière se fera.

 

 

et se rassemblent auprès de lui
    les pharisiens et certains des scribes venus de Jérusalem
et ils ont vu certains de ses disciples manger les pains
    avec des mains profanes (c'est sans ablution)
en effet les pharisiens et tous les Judéens ne mangent pas
sans s'être lavé cérémonieusement les mains jusqu'au coude
    tenant la tradition des anciens
et ils ne mangent pas ce qui vient du marché sans l'avoir aspergé
et il y a beaucoup d'autres choses qu'ils ont reçu d'observer
aspersions de coupes et de pots et de vases et de sièges...
    et les pharisiens et les scribes l'interrogent
« pourquoi tes disciples ne marchent-ils pas selon la tradition des anciens
    mais mangent le pain avec des mains profanes ? »

    mais il leur a dit
« mécréants !
c'est vraiment sur vous qu'Isaïe a prophétisé comme il a été écrit
    "ce peuple m'honore des lèvres mais leur cœur se tient loin de moi
    aussi est-ce en vain qu'ils m'adorent
    enseignant en guise d'enseignements des préceptes d'hommes"
vous avez rejeté le commandement de Dieu et imposez la tradition des hommes »
    et il leur disait
« vraiment vous repoussez le commandement de Dieu pour tenir votre tradition
    en effet Moïse a dit
"honore ton père et ta mère !"
    et
"qui maudit père ou mère qu'il meure de mort !"
    mais vous ! vous dites
"si un homme dit au père ou à la mère
    est qorbân (c'est offrande sacrée) ce qui de mon bien aurais pu t'aider"
vous lui permettez de ne plus rien faire pour le père ou la mère
annulant la parole de Dieu par votre tradition que vous vous êtes donnée
    et vous en faites beaucoup dans ce même genre »

(Marc 7, 1-13)