Partage d'évangile quotidien
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Autres plantes, autres climats

Sam. 29 Juillet 2023

Deuxième petite fable (comparaison, parabole, mashal) racontée par Matthieu, et changement d'ambiance. Dans l'histoire du semeur, l'essentiel, le but à atteindre, c'était de porter du fruit, que la parole reçue soit transmise, que la semence se multiplie. Mais si ce but n'était pas atteint, cela ne voulait pas dire que la semence avait été complètement inutile : celle jetée au bord du chemin avait quand même servi à nourrir les oiseaux, et celles tombées dans le sol rocailleux ou dans les ronces avaient quand même crû autant qu'elles avaient pu, elles avaient du moins parcouru une partie de chemin...

Ici, dans cette histoire, appelée souvent "du bon grain et de l'ivraie", cette dernière finit au feu. On ne peut même pas dire qu'elle sert au moins à chauffer ceux qui ont froid en hiver puisqu'elle est brûlée au moment de la moisson, au pic de l'été. De plus, étant dès le départ de la graine d'ivraie, il est évident qu'en aucun cas elle n'aurait pu produire du blé...!

Cette histoire semble avoir été écrite pour les tout premiers temps du christianisme. Il faut noter que seul Matthieu la rapporte. Dans ces tout premiers temps, la fin des apparitions (quelle que soit la réalité des évènements en question) de Jésus a déconcerté ses adeptes, qui pensaient toujours le royaume en termes matériels, géographiques, politiques, voire militaires ; c'est alors qu'ils ont élaboré la théorie selon laquelle cette absence n'était qu'un contre-temps, Jésus allait revenir très prochainement. Mais, dans cette attente, il est vite apparu que certains étaient moins chauds que d'autres, certains pouvaient se laisser aller, des brebis galeuses se révélaient.

Matthieu (18, 15-18) traite plus en détail de ce sujet, donnant une procédure à suivre qui, si elle n'obtient pas d'effet sur le récalcitrant, se terminera par son exclusion de la communauté. Ici, on doit être un peu plus tôt dans l'histoire naissante du christianisme, il est préconisé de seulement patienter, et le moment venu on s'occupera comme ils le méritent de ces déviants.

Restent de choquant, d'une part l'inutilité absolue de ces plantes : leur existence n'aura servi absolument à rien sinon à gêner la croissance des autres ; d'autre part cette sorte de prédestination : c'étaient de mauvaises graines dès le départ, jamais elles n'auraient pu en devenir de bonnes. On est décidément tenté de penser que cette histoire n'est pas cohérente avec d'autres, comme celle du semeur. On trouve ainsi dans les évangiles comme des courants de pensée qui ne sont pas cohérents ; faut-il en conclure que Jésus ne l'était pas ? Dans certain cas cela peut être relativement vrai, en ce sens que Jésus a pu évoluer au cours de son ministère public, il a pu affiner ses conceptions, mais une telle évolution n'a pu se faire que vers plus d'universalisme. Une évolution comme celle que nous avons ici, de la parabole du semeur vers celle de l'ivraie, va dans l'autre sens, et ne peut alors qu'être le fait des premiers chrétiens.

Pour que cette histoire puisse quand même nous dire quelque chose, il y a peut-être deux façons possibles de la lire. En premier, elle peut nous parler de la question du mal en général : il y a du mal dans l'univers, il y a des catastrophes naturelles, il y a des hasards, qui nous font vivre des épreuves sans raison, sans que nous les ayons "méritées" ; en ce cas, cette histoire nous prédit qu'un jour (mais peut-être pas avant notre mort...) tout mal disparaîtra. En second, elle peut nous parler de la question plus restreinte du mal dont nous sommes responsables, ne serait-ce même que du bien que nous pourrions faire et que nous ne faisons pas : en ce cas, cette histoire nous invite, non pas à ne pas chercher à nous améliorer, mais du moins à ne pas nous laisser figer dans un sentiment de culpabilité qui ne ferait qu'ajouter du mal au mal.

 

 

 

Il leur sert une autre comparaison,
    disant :
« Le royaume des cieux ressemble à :

un homme avait semé de la bonne semence dans son champ,
puis, pendant que dormaient les hommes,
    son ennemi est venu,
il a semé de l'ivraie au milieu du blé,
    et il s'en est allé,
et, quand l'herbe poussa et produisit du fruit,
    alors apparut aussi l'ivraie.
Alors les serviteurs du maître de maison s'approchèrent
    et lui dirent :
"Seigneur, n'était-ce pas de la belle semence
    que tu avais semée dans ton champ ?
d'où vient donc qu'il y ait de l'ivraie ?"

    Alors il leur dit :
"Un homme, un ennemi, a fait cela !"
    Les serviteurs lui disent :
"Veux-tu donc que nous allions la ramasser ?"
    Mais il dit :
"Non ! de peur qu'en ramassant l'ivraie
    vous déraciniez avec elle le blé.
Laissez croître ensemble les deux
    jusqu'à la moisson,
et au moment de la moisson,
    je dirai aux moissonneurs :
'Ramassez d'abord l'ivraie
    et liez-la en bottes pour la brûler,
quant au blé,
    rassemblez-le dans mon grenier.'" »

(Matthieu 13, 24-30)