Partage d'évangile quotidien
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Prédictions dramatiques

Sam. 30 Septembre 2023

Difficile de ne pas ressentir ces annonces de la Passion, puisque c'est ainsi qu'on les appelle, comme les éléments d'une dramaturgie savamment orchestrée : dans un contexte d'enthousiasme pour les guérisons qui se produisent par l'intermédiaire de Jésus, au point que la foule était prête à l'emmener de force à Jérusalem pour en faire son roi, ces trois annonces viennent sonner comme des avertissements du destin ; attention, disent-elles, ça ne va pas du tout se finir comme vous l'imaginez, ce n'est pas ça qui est prévu par Dieu. Il s'agit bien d'un drame avec ses coups de semonce en forme de deus ex machina.

Autant on peut imaginer un Jésus qui, au vu de la tournure que prenaient les événements, aura essayé à plusieurs reprises de détromper ses disciples : non, il ne se sent pas du tout être cet homme providentiel qu'ils attendent, chef politique et chef de guerre. Et aussi, ce même Jésus, capable de comprendre que cette effervescence autour de lui est dangereuse, que le sanhédrin ne pourra pas la laisser se développer, et qu'à ce compte-là, ça va mal se finir pour lui. Tout cela, il est donc très vraisemblable qu'il a essayé de le faire comprendre.

Qu'il ait pu savoir exactement comment se produirait sa mise hors-circuit est une toute autre paire de manches. Il y a exactement trois annonces de la Passion chez chacun des trois synoptiques ; si on rassemble tout ce qui est prédit dans ces neuf annonces on obtient que Jésus : sera livré aux autorités religieuses, qu'il sera maltraité et condamné à mort par elles, qu'il sera livré aux païens, maltraité (bafoué, insulté, couvert de crachats, fouetté) par elles et mis à mort par crucifixion, et qu'il sera relevé le troisième jour. Il semble difficile de croire que Jésus ait su tout cela, avec tant de précision, à l'avance.

Essayons de regarder en détail. Livré aux autorités religieuses : c'était une possibilité, plausiblement envisageable, qu'un ou des déçus de ce que Jésus refuse d'endosser le rôle de chef politico-militaire, servent d'intermédiaire auprès du sanhédrin, mais ce dernier, même en prenant éventuellement un peu plus de temps, était capable d'arriver seul à ses fins, Judas ou qui que ce soit d'autre n'étaient pas indispensables.

Qu'il soit ensuite livré aux romains pour son exécution ne semble par contre pas évident du tout a priori. On voit dans l'évangile de Jean, à plusieurs reprises, les "Juifs" ramasser des pierres dans l'intention de lapider Jésus ; qu'on pense encore à la femme adultère, qui allait elle aussi être lapidée : il est faux de croire que seuls les romains auraient eu le droit de mettre à mort ; les romains avaient pour politique de ne pas s'immiscer dans les questions religieuses des peuples qu'ils avaient soumis. Seul le fait que Jésus n'ait pas pu être convaincu de blasphème a obligé le sanhédrin à le livrer aux romains. Ce point-là était-il gagné d'avance ? Peu de temps après, Étienne, Jacques dit le frère de Jésus, et peut-être bien d'autres encore, vont finir lapidés, eux...

Qu'il meure pas crucifixion, dans la mesure où ce seraient les romains qui l'exécuteraient, était alors logique, mais qu'il soit "relevé", et que cela se produise "le troisième jour", cela était absolument imprévisible pour qui que ce soit, jusque y compris Jésus. La foi en la résurrection, dans le judaïsme de l'époque, n'envisageait d'aucune manière qu'un corps mort se relève, seul. Matthieu (27, 52-53) — certainement le plus "juif", le moins "paganisé", des trois synoptiques — s'en est d'ailleurs senti obligé de parler de sépulcres qui s'ouvrent, de nombreux corps de saints qui se réveillent, qui sortent de leurs sépulcres après le réveil de Jésus, qui entrent alors dans Jérusalem et se montrent à la population !

Finalement, c'est notre épisode du jour qui reste le plus proche de ce qu'ont pu être ces annonces de la Passion : simplement Jésus qui essaie de dire aux disciples qu'ils se trompent, qu'il n'est pas celui qu'ils s'imaginent, et eux qui sont incapables de l'entendre. Mais on a, dans le procédé de ces trois annonces, les traces d'une sorte de dramaturgie liturgique très ancienne qui devait représenter ainsi quelques éléments schématiques de la vie publique de Jésus pour s'achever avec la Passion proprement dite suivie de la découverte du tombeau vide, dramaturgie qui a servi d'ossature à d'autres étapes de rédaction, jusqu'aux rédactions finales telles que nous les avons aujourd'hui.

 

 

Et ils étaient frappés, tous, de la grandeur de Dieu,
mais comme tous s'étonnaient de tout ce qu'il faisait,
    il dit à ses disciples :

« Vous, mettez-vous bien dans vos oreilles ces paroles,
que le fils de l'homme
    va être livré à des mains d'hommes. »,

mais eux ne connurent pas ce dit
    et il était voilé pour eux,
    en sorte qu'ils ne le comprirent pas,
et ils craignaient de le questionner sur ce dit.

(Luc 9, 43-45)