Partage d'évangile quotidien

La même question qu'hier : mais qui est-il donc celui-là, ce Jésus ? Et les mêmes trois réponses, de ce que les gens, le peuple, pense. Au-delà des différences de caractéristiques entre chacune de ces trois réponses, le fond reste le même, c'est l'homme (ou le "comme" un homme) providentiel, qu'on attend comme un sauveur, le messie. La notion de ce messie est certes complexe dans le judaïsme, pouvant s'enraciner déjà à l'époque de Moïse, quand celui-ci promet qu'un jour YHWH enverra un prophète aussi grand que lui (Deutéronome 18, 15s), et se nourrissant par la suite aux diverses déconvenues de l'histoire, particulièrement les déportations et les occupations successives par des puissances étrangères.

De nos jours, dans le judaïsme, certains attendent toujours une venue du messie dans un sens très littéral, à peu près dans la même mesure qu'ils tiennent mordicus à leur souveraineté sur la terre d'Israël, et pour d'autres, la même figure du messie est devenue un pur symbole, vital par son sens, mais symbole. Le retour supposé de Jésus à la fin des temps, chez les chrétiens, provient très clairement de cette même source, c'est la conséquence d'avoir estimé qu'il avait bien été ce messie. C'est ce que proclame Pierre aujourd'hui, ici, et dans les passages parallèles de Matthieu (16, 13-20) et Marc (8, 27-30). Ce faisant, il dit donc exactement la même chose que les foules, à cette différence près qu'il ne se prononce pas sur le fait que cette messianité proviendrait de l'esprit de Jean le baptiste venu en renfort, de ce que Jésus serait Élie redescendu du ciel, ou un quelconque prophète du passé ressuscité (noter que dans « un prophète, un des ancêtres, "s'est levé" », le verbe "se lever" est le même utilisé pour dire la résurrection de Jésus).

On peut noter aussi cette "engueulade" de Jésus à l'affirmation par Pierre de sa messianité. Marc est ici en plein accord avec Luc. Matthieu seul nous décrit de supposées félicitations de Jésus à Pierre pour avoir eu cette intuition "surnaturelle" (!?), suivies de simples recommandations de pas en parler. Sur ce dernier point, les trois évangélistes sont donc d'accord, confirmer les gens, le peuple, dans leur idée que Jésus serait cette figure du messie, attendu comme le sauveur politico-militaire qu'ils espèrent, ne ferait que précipiter l'issue fatale, celle qui se produira de fait. Mais est-ce bien seulement pour cette raison que Jésus les "engueule" ?

En fait, quand Matthieu nous raconte que Jésus félicite Pierre, on ne voit pas bien quelle pourrait en être réellement la raison. Il est évident que l'image que se fait Pierre du messie est la même que se font les gens, les foules, le peuple. Cette félicitation supposée ne peut être qu'une invention, une invention faite après la "résurrection", c'est-à-dire après cet événement, quel qu'il soit, exceptionnel, inouï, et qui a fait penser alors que Jésus n'avait pas été qu'un homme ordinaire. Et, d'un homme pas ordinaire à plus qu'un homme il n'y a eu alors qu'un pas (qui a pris quand même deux à trois siècles pour être pleinement formalisé) vers sa divinisation. Derrière cette félicitation de Pierre par Jésus, il y a de toute évidence cette idée qui se profile, mais qui ne peut certainement pas être historique. Jésus ne peut pas avoir félicité Pierre d'avoir juste dit ce que tout le monde pensait...!

À mon sens, la notion de divinité de Jésus, si elle est prise comme étant son apanage exclusif, est une invention, qui peut se comprendre, elle est excusable d'un côté, mais aussi regrettable de l'autre. La divinité est présente dans absolument tout ce qui existe, dans tout l'univers. L'univers est la manifestation de Dieu à lui-même, d'une certaine façon Dieu n'existe que par tout ce qui existe dans l'univers, Dieu ne vit que par tout ce qui vit dans l'univers, Dieu ne sent, ressent, s'émeut, que par tout ce qui sent, ressent, s'émeut dans l'univers, Dieu ne pense, raisonne, prend conscience, que par tout ce qui pense, raisonne, prend conscience dans l'univers. Nous avons tous notre rôle, unique, dans cet édifice, à chercher, à inventer, à créer, comme Jésus a cherché, inventé, et créé le sien. Son exemple m'inspire, et m'encourage, à faire comme lui.

Et il arriva, alors qu'il était en prière
    dans un lieu solitaire
et que ses disciples étaient près de lui,
     qu'il les interrogea en disant :
« Qui les foules disent-elles que je suis ? »,
    et répondant ils dirent :
« Jean le baptiseur,
mais d'autres : Élie,
d'autres encore qu'un prophète, un des ancêtres, s'est levé. »,

    alors il leur dit :
« Mais vous, qui dites-vous que je suis ? »,
    Pierre alors répond et dit :
« Le Messie de Dieu ! »,

mais il les engueula et leur enjoignit
    de ne dire ça à personne.

(Luc 9, 18-22)