Partage d'évangile quotidien
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Bénis des dieux

Mer. 31 Juillet 2013

Matthieu 13, 44-46 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans le champ. Un homme le trouve : il le cache, et dans sa joie il va, vend tout ce qu'il a, et il achète ce champ-là. 

« Encore : le royaume des cieux est semblable à un commerçant qui cherche de belles perles. Il trouve une perle de grand prix : il s'en va, réalise tout ce qu'il avait, et il l'achète. » 

 

 

L'arche de Noé, par He-Qi

 

 

voir aussi : Surprise, surprise, Royaume à vendre, Juste prix

Nous arrivons aux trois dernières paraboles de la série rapportée par Matthieu. Nous avons eu jusqu'ici successivement le semeur, les ivraies, la graine de moutarde, le levain. Pour chacune, Matthieu avait plus ou moins produit un minimum d'introduction, ne serait-ce qu'un "Jésus leur dit une autre parabole". Ici, plus rien. Nous enchaînons sans prévenir, sans même une indication qu'on n'est plus dans les explications de la parabole des ivraies. Le "Qui a des oreilles entende", qui semblait conclure ces explications, sonnait comme un avertissement pour ceux  que guettent les "pleurs et grincements de dents" des damnés. Mais il pourrait aussi bien servir d'introduction aux trois paraboles qui arrivent maintenant, pour demander l'attention du public. Le découpage en versets nous empêche de le lire généralement ainsi, mais on sait que ce découpage n'est pas d'origine (le découpage en chapitres date du XIII° siècle, les versets du XVI° siècle...) Il est possible que Matthieu voyait un rapport entre l'explication des ivraies et ces trois paraboles, comme il est possible qu'il les ait ajoutées là juste selon son habitude de regroupement des matériaux de même genre, sans donc qu'il n'y ait vraiment de rapport.

Je parle de trois paraboles, alors que nous n'en avons que deux aujourd'hui, mais c'est parce qu'il faut compter celle qui suit ces deux-là, et que nous verrons demain, dans le même lot. Il est vrai que Matthieu a détourné cette troisième parabole pour pouvoir nous servir à nouveau son refrain du jugement dernier, mais on peut encore en trouver la version originelle dans Thomas (logion 8) : un pêcheur trouve dans son filet un énorme poisson, il rejette tous les autres et ne conserve que le gros. Nous avons donc une série de trois paraboles qui délivrent chacune à peu près le même message : quand on a trouvé le royaume, tout le reste devient secondaire.

Le trésor caché dans un champ : c'est un ouvrier agricole. Il labourait quand sa charrue a été déviée par un obstacle, à priori une grosse pierre. Son métier lui commande de creuser, de la sortir et l'empiler sur un des murets qui entourent le champ, pour que sa mésaventure ne se reproduise pas l'année suivante. Mais surprise ! ce n'est pas une pierre. Un coup d'œil rapide aux alentours : personne ne le regarde, il remet le trésor à sa place, repère l'endroit, et continue son labour comme si de rien n'était. Puis, sa journée finie, il réunit ses quelques économies, s'il en a, emprunte à des collègues, s'il en trouve, sinon s'endette auprès d'un usurier, peu importe, il sait qu'il aura de quoi rembourser. La perle de grand prix : nous changeons un peu de catégorie sociale, cette fois c'est un commerçant. L'homme est spécialisé dans le négoce des perles. Peut-être a-t-il quelque autre fond de commerce, mais les perles sont sa passion. Et là, un jour, il tombe sur la perle rare, c'est le cas de le dire, celle qu'il n'aurait osé espérer trouver un jour. Il est ébloui, il est prêt à sacrifier tout son stock, s'il le faut, pour l'acquérir. Le pêcheur : son cas est un peu différent. Il n'a pas besoin d'acquérir quoi que ce soit, le gros poisson, ce spécimen exceptionnel, est à lui, c'est la chance, le destin, la grâce de Dieu, qui l'ont mis là dans son filet. Mais le résultat est le même : ce poisson seul suffit à son bonheur, il relâche tous les autres, ils ne l'intéressent plus.

Au-delà de ces nuances, un point commun réunit les trois paraboles : c'est dans l'exercice de leur métier que ces trois personnages effectuent leur découverte. Il est vrai que la civilisation des loisirs n'était pas exactement d'actualité en Galilée à l'époque de Jésus. Et si le programme de ce dernier a pu, exceptionnellement, comporter du pain, il n'y a en tout cas jamais été question de jeux, contrairement à ce que pouvaient espérer les romains chez eux. Le système colonial et le pompage des richesses d'un peuple au profit d'un autre existaient bien, mais les juifs n'étaient pas du 'bon' côté. Bref, nos trois personnages n'ont pas déserté leur humanité pour bénéficier de leur découverte. Autre point commun, cependant, cette découverte n'est pas pour autant due à leurs mérites. Ils n'ont rien fait d'exceptionnel, cela leur est tombé dessus, un  jour comme les autres, sans qu'ils s'y attendent, sans crier gare !

Pouvons-nous maintenant établir un lien entre tout ceci et ce que nous ont déjà dit les autres paraboles ? La graine de moutarde et le levain nous ont parlé d'un royaume qui croît, tranquillement, mais avec une grande puissance, quelles que soient les circonstances. Ce sont des paraboles qui proviennent des débuts de la période galiléenne, quand tout semblait marcher comme sur des roulettes, et que Jésus pensait que ça allait continuer. Le semeur et les ivraies semblent témoigner d'une période ultérieure, où Jésus a pris conscience de résistances voire d'adversités, et tiendraient pour acquis que tous ne seront peut-être pas entraînés dans le Royaume. D'un côté, il est certain que Jésus a eu à descendre de son petit nuage, mais d'un autre côté, la platitude de ces explications des deux paraboles interroge : n'avons-nous pas plutôt affaire en l'occurrence au sens qu'ont voulu imposer les premiers chrétiens ? Une autre interprétation est possible, qui considère que les sols ingrats et les ivraies ne symbolisent pas des récalcitrants au royaume mais des parties de chacun de nous qui ne sont pas touchées par la grâce. Là encore le royaume croît inexorablement, nous sommes juste avertis qu'une part en nous n'en héritera peut-être pas.

Arrivent là-dessus nos trois paraboles du trésor, de la perle, du gros poisson. Elles semblent elles aussi témoigner de la période plus désenchantée de Jésus, parlant de ceux qui pourront entrer dans le royaume comme de gagnants du gros lot ! C'est bien ce qu'elles disent, à première vue, que le royaume tombe par hasard sur quelques uns, sans mérite particulier de leur part. Pourtant, à y regarder de plus près, elles ne prétendent nulle part que cette chance soit réservée à certains. C'est nous qui voudrions l'entendre ainsi, parce que nous savons bien que dans la vie réelle il est rare qu'un pêcheur trouve un très gros poisson, qu'un négociant en perles tombe sur une perle exceptionnelle, qu'un laboureur tombe sur un trésor, mais les paraboles, elles, ne disent pas cela. Le royaume est pour tous ; et chacun, quand il le trouve, le ressent comme cette chance extraordinaire, qui le rend prêt à immédiatement sacrifier tout le reste, sans aucun doute, sans hésitation.