Cette fois, on y est !
Comme ils entendent ces choses, il y ajoute et dit une parabole : en approchant de Iérousalem, ils croient, eux, que soudain, le royaume de Dieu va apparaître…
Il dit donc : « Un homme bien né va dans un pays lointain recevoir pour lui la royauté, puis revenir. Il appelle dix de ses serviteurs et leur donne dix mines. Il leur dit : "Faites affaires jusqu'à ma venue." – Ses concitoyens le haïssaient. Ils envoient une ambassade derrière lui pour dire : "Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous !"
« Or, quand il est de retour, après avoir reçu la royauté, il dit d'appeler à lui ces serviteurs à qui il avait donné l'argent, pour connaître ce que chacun avait gagné en affaires. Arrive le premier. Il dit : "Seigneur, ta mine : c'est dix mines qu'elle a rapportées !" Il lui dit : "Très bien ! Bon serviteur ! Puisque pour si peu tu as été fidèle, aie autorité sur dix villes !" Vient le deuxième. Il dit : "Ta mine, Seigneur, a fait cinq mines !" Il dit aussi à celui-là : "Toi aussi, sois sur cinq villes !" L'autre vient et dit : "Seigneur, voici : ta mine ! Je l'avais mise de côté dans un tissu. Car je te craignais, parce que tu es un homme exigeant : tu prends ce que tu n'as pas déposé, tu moissonnes ce que tu n'as pas semé."
« Il lui dit : "Je te juge de ta bouche, mauvais serviteur ! Tu savais que moi, je suis un homme exigeant, prenant ce que je n'ai pas déposé, moissonnant ce que je n'ai pas semé. Et pourquoi n'as-tu pas donné mon argent à une banque ? Et moi, à ma venue, je l'aurais retiré avec un intérêt." Il dit à ceux qui se tiennent là : "Prenez-lui la mine, et donnez à celui qui a les dix mines." Ils lui disent : "Seigneur, il a dix mines !" Je vous dis : "À tout homme qui a, il sera donné. Mais à qui n'a point, même ce qu'il a lui sera pris ! – Cependant, mes ennemis, ceux qui ne voulaient pas que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi !" »
Ayant dit ces choses, il va devant et monte vers Iérousalem.
voir aussi : Feuille de route, Ambiance début de règne, Ceux qui vont mourir, Un maître exigeant
Il ne faut pas manquer l'introduction de cette parabole : "parce qu'ils croient que le Royaume apparaîtra soudainement". Il n'y a pourtant pas si longtemps que Jésus a affirmé clairement que le Royaume n'a pas à venir puisqu'il est déjà là ! Cette question n'est jamais devenue bien claire dans l'esprit des disciples, ni du vivant de Jésus, c'est évident, ni même après, puisqu'ils ont remplacé l'attente de la venue du Royaume par l'attente du retour définitif de Jésus, ce qui reste dans la même logique du "grand jour". Tel n'était donc pas l'enseignement de Jésus, aussi trouvons-nous dans cette parabole un mélange des deux conceptions.
Dans la parabole qui parle du Royaume comme déjà là, "au milieu de vous", ce sont tout simplement les mines qui le symbolisent : nous avons tous reçu des moyens pour le trouver, y vivre et le faire grandir. Certes, au moins apparemment, certains ont plus de facilités que d'autres, mais nous n'entrerons pas maintenant dans la discussion de la grâce et de son mystère. L'essentiel n'est en tout cas pas dans ce qui a été donné, mais dans ce que nous en faisons ! Par contre, la description du maître qui "moissonne ce qu'il n'a pas semé" est assez juste : c'est vrai qu'on ne travaille pas, dans le Royaume, pour son seul profit personnel, mais pour Dieu. On ne peut pas trouver le Royaume tant qu'on n'est centré que sur soi. Aussi est-il assez logique que le serviteur qui ne l'a pas cherché n'obtienne pas de 'récompense'... mais il n'est pas non plus 'puni' : cette mine qui lui est reprise ne le prive de rien puisqu'en fait il n'en a jamais rien fait.
Restreinte à ces seuls éléments, la parabole ne parle donc pas vraiment d'un jour où le Royaume adviendrait. On pourrait considérer le jour du retour du maître devenu roi comme symbolisant un tel jour, mais ce serait un choix, parce que l'histoire des serviteurs 'méritants' ne s'arrête pas là : ils ont maintenant des villes à gérer, et nul doute que le roi va suivre aussi la manière dont ils vont s'y prendre ! Cette histoire de sacre du maître devenant roi est, bien sûr, une allusion à la royauté reçue par Jésus dans sa résurrection, mais la parabole pourrait très bien fonctionner comme celle du propriétaire de la vigne parti dans un autre pays et qui envoie chercher le produit de la vigne. Telle devait être l'histoire originale, c'est simplement un propriétaire qui fait régulièrement avec les uns et les autre un bilan de leur gestion.
Et puis, enfin, il y a ces deux passages, visiblement et maladroitement ajoutés après coup, qui viennent perturber le déroulement du récit, sur les ennemis du roi, qui envoient une ambassade pour tenter de faire échouer son couronnement, et se font massacrer par lui à son retour. Matthieu (25, 14-30) n'a pas ces excroissances, qui visent clairement les juifs qui refusent Jésus, dans sa propre version de la parabole, alors qu'on s'attendrait à les voir plutôt chez lui que chez Luc. Par contre, il est vrai que Matthieu est beaucoup plus dur pour le serviteur qui n'a rien fait de l'argent qui lui avait été confié : "jetez-le dehors, dans la ténèbre, là où sont pleur et grincement de dent". Ah ! voilà bien le Matthieu que nous connaissons, et il est possible que ce soit pour masquer cette condamnation que Luc a importé la quatrième catégorie de personnes, celle des ennemis. Quoi qu'il en soit, c'est cette seule condamnation, du serviteur récalcitrant ou des ennemis, qui impose inévitablement une lecture de la parabole comme parlant d'une venue du Royaume ponctuelle, unique, puisque seule cette condamnation donne un tour définitif au jugement de ce jour-là.
Enlevons ces deux éléments, le couronnement du maître et la condamnation de certains, l'histoire parle du Royaume comme d'une question de croissance et de gestion où tout reste ouvert, tout peut évoluer. C'est ainsi que Jésus l'entendait. Le Royaume qui vient un jour dans l'histoire, le grand jour où tout bascule définitivement avec un jugement irrévocable, c'est le Royaume qu'attendaient les juifs de l'époque, et que les chrétiens n'ont fait qu'adapter légèrement, mais ce n'est pas celui que Jésus enseignait.
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