Donner et par-donner
« Vous avez appris qu'il a été dit : Oeil pour oeil, dent pour dent.
« Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l'autre. Et si quelqu'un veut te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu'un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
« Donne à qui te demande ; ne te détourne pas de celui qui veut t'emprunter. »
Certes, 'oeil pour oeil, dent pour dent', la loi dite du talion, est un mauvais système. Certes aussi il est préférable à l'état, supposé antérieur, où la vengeance était disproportionnée par rapport à l'affront, mais il implique encore la continuation des vengeances réciproques, sans autre cessation prévisible que l'extinction des protagonistes. La loi du talion empêche la progression à l'infini de la vengeance dans la gravité, mais n'empêche pas la progression à l'infini de la vengeance dans le temps.
De là à la solution extrême de Jésus ... Pourquoi ne nous contenterions-nous pas de la judiciarisation de la vengeance, ce système qui veut que l'individu, ou le groupe, n'a pas le droit d'exercer lui-même sa vengeance, mais s'en remet à la collectitivité qui, elle, décidera en fonction du bien commun ? Ce système fonctionne effectivement dans la plupart des cas, parce qu'il remplace l'affrontement entre deux entités de même nature (individus ou groupes) par un vis-à-vis entre une entité restreinte et une entité globale, qui est censée avoir le souci de tous ses intérêts, y compris de ceux de l'entité particulière qu'elle juge mais qui fait partie d'elle.
Alors, que manquerait-il au système judiciaire, auquel les propositions de Jésus répondraient ? Au moins pour la justice de son époque, il manque encore la guérison de l'aggresseur. La justice de cette époque, et pour longtemps encore, et même de nos jours, où elle est trop souvent trop timide en ce domaine, se contente d'empêcher l'agresseur de continuer de nuire, provisoirement, mais ne se préoccupe pas de le transformer en non-'agresseur potentiel'.
C'est ce que vise Jésus, et comment en serait-il autrement dans sa perspective de venue imminente du royaume ? Ses préceptes ont pour objet premier de rompre la logique d'agression dans laquelle l'agresseur essaie de nous obliger de nous situer. Si effectivement nous entrons dans la riposte, il a déjà gagné, quelle que soit l'issue 'victorieuse' de l'un ou l'autre camp. Cet aspect est déjà comparable en soi à la judiciarisation. Mais en allant plus loin, en tendant la joue droite, en donnant le manteau en plus de la tunique, en faisant deux mille pas au lieu de mille, on retire à l'agresseur la raison même de son agression. On le désarçonne de sa logique. On l'oblige à réfléchir à ses motivations et leur bien-fondé réel. C'est ce qu'on appelle de nos jours la non-violence, avec comme illustre prédécesseur Gandhi, auquel nous sommes redevables d'avoir considérablement éclairci cet aspect de l'enseignement de Jésus.
A consommer sans modération, mais quand même avec discernement. Il n'y a pas de recettes toutes faites en cette matière.
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