Partage d'évangile quotidien
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Patience et longueur de temps

Sam. 23 Septembre 2023

Cette parabole, ainsi que son explication, ont été rapportés tous les deux par chacun des trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), en des termes très proches : un semeur sème sa semence sans guère de précautions, en sorte qu'il s'en retrouve dans toutes sortes de milieux, dont le moins qu'on puisse dire est que la plupart ne sont pas vraiment propices à sa fructification : le bord du chemin qui mène au champ, des zones rocailleuses dans ce champ, d'autres colonisées par des buissons épineux, et quand même, heureusement, aussi de la bonne terre. Les petites différences entre les trois récits ne sont pas très significatives, ni dans le récit lui-même de la parabole, ni dans son explication.

On peut noter chez les trois cette affirmation paradoxale de Jésus que, s'il parle en paraboles, ce serait afin de ne pas être compris... Ceci donne sans doute l'impression aux disciples qu'ils sont des privilégiés, puisque, à eux, Jésus leur donnerait la clé en les leur expliquant. Pourtant, en-dehors de l'explication de celle-ci, et, chez Matthieu seul, de sa parabole de l'ivraie, aucune des nombreuses autres paraboles de Jésus ne sont nulle part décodées. Est-ce que les premiers chrétiens réservaient ces explications à un enseignement oral, comme une initiation secrète ? on peut en douter, l'expansion ultérieure du christianisme aurait nécessairement abouti à ce que de tels secrets finissent par être divulgués. On doit plutôt penser l'inverse, que l'explication de cette parabole du semeur, et encore plus pour la parabole de l'ivraie, ne proviennent pas de Jésus lui-même.

Les grains qui tombent sur le bord du chemin — ou carrément sur le chemin lui-même, puisque Luc dit qu'ils sont piétinés — correspondent en tout cas à des grains qui ne pénètrent même pas dans le terrain où ils se retrouvent, ils n'atteignent d'aucune façon leurs destinataires. Certains n'ont aucune idée de ce qu'il puisse exister ou non quelque chose comme la transcendance, quelque chose qui dépasse absolument tout ce qui existe. Ils s'imaginent que, ou du moins se comportent comme si, ils se seraient faits eux-mêmes. Ou s'ils comprennent bien qu'ils ont eu au moins des parents biologiques, ils ne remontent pas plus loin : et ces parents eux-mêmes ont eu des parents, etc., et au final, comment tout cela a-t-il pu commencer, comment un univers, notre univers, tout entier aurait-il pu sortir de... rien ?

Les grains alors qui tombent sur le sol rocailleux sont ceux qui ne vont pas avoir assez de terre pour pouvoir grandir. Une plante a besoin d'un minimum de terre pour s'enraciner ; les plantes dites justement "de rocaille" peuvent se contenter de peu, mais ce n'est pas le cas des céréales, qui ont besoin de plus que ça. En rester au seul "dieu des philosophes", le dieu de la seule logique qui veut que, de rien il ne peut rien être sorti, n'est pas suffisant. Ce dieu est celui de l'intellect, et nous ne sommes pas qu'un intellect, nous sommes aussi tissés au moins de sentiments, d'émotions, de sensations. L'étape suivante nécessite que l'idée de Dieu prenne racine, il faut lui laisser le temps de faire son chemin vers les profondeurs, dans l'épaisseur, de nos corps.

Et grande alors peut être la tentation de laisser tomber : il y a tellement d'occasions de distractions qui se présentent à nous, de plaisirs, d'honneurs à recevoir, occasions de nous mettre en avant, de nous faire valoir aux yeux de nos pairs. Mais ceci seulement si nous sommes nés du bon côté, parce que pour d'autres c'est plutôt qu'il y a tellement de soucis, tellement de difficultés, rien que pour survivre ; là est le vrai drame de l'exploitation des uns par les autres, pas seulement la pauvreté matérielle, la misère même, mais encore et en plus l'impossibilité alors d'avoir seulement accès à notre intériorité.

Et alors, après tout ceci, ça y est, c'est gagné ? eh bien, c'est là qu'il y a une petite différence entre l'explication de la parabole ici chez Luc et celles de Matthieu et Marc : chez ces derniers, oui, ça suffit d'être la bonne terre, les fruits seront enfin au rendez-vous. Luc, pour sa part, ajoute une toute petite nuance : même dans ces conditions-là il faut savoir encore faire preuve de "persévérance" (ou de patience, ou d'endurance, ou d'espérance, ou de constance, ou de fidélité, selon les traductions). En fait, tout ceci était déjà le cas précédemment : patienter le temps de l'enracinement, persévérer malgré les tentations et les obstacles, mais Luc veut sans doute nous mettre en garde sur l'illusion que nous pourrions nous faire d'être jamais un jour arrivés au bout de ce chemin, connaître parfaitement Dieu, être nous-mêmes parfaits...

 

 

Maintenant, à une grande foule qui se réunit,
    à ceux qui s'acheminent de toute ville vers lui,
il dit en parabole :
    
« Le semeur est sorti semer sa semence,
et en semant, il en tombe cependant au bord du chemin,
    et il est piétiné, et les oiseaux du ciel le dévorent ;
et d'autre tombe sur la pierre,
    et il pousse, et se dessèche parce qu'il n'a pas d'humidité ;
et d'autre tombe au milieu des épines,
    et les épines poussent et l'étouffent ;
et d'autre tombe sur la bonne terre,
    et il pousse, il fait du fruit au centuple. »

    en disant cela, il proclamait :
« Qui a des oreilles pour entendre,
    entende ! »,
    mais ses disciples l'interrogeaient :
« C'est quoi, cette parabole ? »,
    alors il dit :
« À vous il a été donné de connaître
    les secrets du royaume de Dieu,
mais aux autres, c'est en paraboles,
    afin que "regardant, ils ne regardent pas",
    et que "entendant, ils ne comprennent pas"...

alors ce qu'est cette parabole :
    la semence, c'est la parole de Dieu ;
et ceux du bord du chemin sont ceux qui ont entendu,
    puis vient le diable,
    et il enlève la parole de leur cœur
    afin qu'ils ne croient pas et ne soient pas sauvés ;
et ceux de sur la pierre, quand ils entendent,
    avec joie ils accueillent la parole,
    mais ceux-là n'ont pas de racines,
    pour un temps ils croient,
    mais au temps de l'épreuve ils renient ;
et ce qui est tombé dans les épines,
    ce sont ceux qui ont entendu,
    mais sous les soucis et la richesse
    et les plaisirs de la vie,
    chemin faisant ils sont asphyxiés,
    et ils n'arrivent pas à maturité ;
et ce qui est dans la belle terre,
    ce sont ceux qui,
    dans un cœur beau et bon,
    ont entendu la parole,
    et la gardent,
    et portent du fruit en persévérant. »

(Luc 8, 4-15)

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