Partage d'évangile quotidien
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Comme à la parade

Sam. 29 Juin 2013

Matthieu 8, 5-17 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Il entrait dans Capharnaüm. Un chef de cent s'approche de lui, il le supplie en disant : « Seigneur, mon garçon gît dans ma maison, paralytique et terriblement tourmenté. »  Il lui dit : « Moi, je viens le guérir. » 

Le chef de cent répond et dit : « Seigneur, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit. Mais dis ! seulement une parole, et mon garçon sera rétabli. Car moi qui suis un homme sous une autorité, j'ai sous moi des soldats. Je dis à l'un : “Va”, — et il va. À un autre : “Viens”, — et il vient. Et à mon serviteur : “Fais ceci”, — et il fait.  Jésus entend et il admire. Il dit à ceux qui le suivent : « Amen, je vous dis, chez pesonne en Israël, une telle foi je n'ai trouvée ! Je vous dis : beaucoup de l'Orient et de l'Occident viendront s'installer à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux. Mais les fils du royaume seront jetés dehors, dans la ténèbre extérieure : là sera le pleur, le grincement des dents ! » 

Jésus dit au chef de centaine : « Va ! comme tu as cru, qu'il advienne ! » Le garçon est rétabli à cette heure-là. 

Jésus vient dans la maison de Pierre. Il voit sa belle-mère gisant, fiévreuse. Et il touche sa main. Et la fièvre la laisse. Et elle se réveille... Et elle le servait ! 

Le soir venu, ils lui présentent de nombreux démoniaques. Il jette dehors les esprits, d'une parole, et tous ceux qui vont mal, il les guérit, pour accomplir le mot dit par Isaïe le prophète : “Lui-même, nos infirmités, il les prend, nos maladies, il les porte !” 

 

 

Les mages, par He-Qi

 

 

voir aussi : Et une tournée générale !, ... et deux et trois et caetera, Extension du domaine de la lutte

L'impression que nous avions eue hier, en lisant le premier récit de guérison rapporté par Matthieu, se confirme : chez lui, pour Jésus, les miracles c'est de la gnognote, de la petite bibine. Nous le voyons accomplir ces actions comme un sportif qui ferait son parcours de santé : et hop ! et hop ! Pourtant Marc est déjà pas mal dans son genre, pour donner l'impression que tout se passe très vite, notamment avec sa journée inaugurale à Capharnaüm. Eh bien ! ici Matthieu le bat encore à plate couture. La belle-mère ? Chez Marc, c'étaient les disicples qui intercédaient pour que Jésus fasse quelque chose pour elle. Avec Matthieu, Jésus voit tout de suite en entrant dans la maison où est le problème, et hop ! et hop ! Certains exégètes appuient l'antériorité de Marc sur Matthieu et Luc par le fait qu'ils réduiraient rarement ce qu'ils lui reprennent. C'est sans doute vrai globalement, mais c'est faux au moins dans un domaine : les scènes d'actions reprises par Matthieu. Matthieu a effectivement cette tendance lourde à les raccourcir à leur plus simple expression, au point parfois de les rendre incompréhensibles si on n'en connaissait pas la version originale.

C'est que Matthieu n'est en fait pas vraiment à l'aise avec les actions, d'une manière générale. Le domaine de Matthieu, le scribe, ce sont les idées et les beaux discours. Nous l'avons vu ces dernières semaines avec le sermon sur la montagne, et c'est l'ensemble de son évangile qui est construit et structuré autour de tels discours fleuves. Aussi Matthieu n'en rate pas une pour nous faire la morale quand l'occasion se présente. Ainsi avec l'épisode du centurion, qu'on retrouve aussi chez Luc. Luc, pour sa part, le fait se terminer sur l'admiration de Jésus pour la foi du centurion, tandis que Matthieu commence alors à enfoncer lourdement le clou. Là où la lecture de Luc exprime plutôt la simple surprise de Jésus, de découvrir que les païens aussi peuvent avoir la foi, Matthieu sort son refrain de chrétien persécuté par la synagogue. "Les fils du royaume seront jetés dans la ténèbre, là où il y a pleurs et grincements de dents" : ces fils du royaume désignent ici les juifs, les premiers héritiers de la promesse, et l'on voit qu'il ne fait pas de détails, ils sont tous condamnés en bloc.

Par contre, on trouve chez Luc un long développement dans la formulation de la demande du centurion à Jésus, qui est sans doute de son propre cru. Déjà, le centurion n'aborde pas lui-même Jésus. Êtant païen, mais aussi bon connaisseur de la mentalité juive, il comprend bien que sa qualité ne plaide à priori pas trop en sa faveur pour s'attirer la bienveillance de Jésus. Comme il est prosélyte (Luc ajoute qu'il aurait financé la construction de la synagogue de la ville, ce qui semble quand même un peu exagéré), il est en contact avec les autorités religieuses locales, auxquelles il a demandé de jouer les intermédiaires. C'est sans doute un bon calcul, mais c'est aussi par respect pour Jésus qu'il procède ainsi, car Jésus n'est pas censé savoir comme ça qu'il est prosélyte, ce n'est pas écrit sur son front, et il pourrait être gêné qu'un païen s'adresse ainsi à lui directement. Et c'est pour la même raison qu'il veut aussi lui éviter de venir jusque dans sa maison, ce qui serait cause pour lui d'impureté (dans l'hypothèse, bien sûr, où Jésus aurait vu les choses de la même manière que les pharisiens qui ont fait office d'intermédiaires).

Bref, Luc s'est intéressé à la psychologie du personnage, pour nous donner une version plausible de la scène. C'est là une caractéristique qu'on retrouve souvent chez lui, mais ici c'est aussi de bonne politique de sa part, lui qui écrit pour un auditoire majoritairement païen, que de montrer ainsi toute la finesse et la délicatesse du centurion. D'ailleurs, n'est-ce pas en grande partie pour ces raisons que nous récitons ces paroles du centurion avant d'aller communier (dans le rite catholique en tout cas) ?