Partage d'évangile quotidien
<
Enregistrer le billet en pdf

Petit au grand cœur

Mar. 19 Novembre 2013

Luc 19, 1-10 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

À son entrée – il allait passer par Jéricho – voici un homme, appelé du nom de Zachée : il était chef de taxateurs, et il était riche. Il cherchait à voir Jésus, lequel c'est ? Mais il ne pouvait pas à cause de la foule : il était petit de taille. 

Il court devant, monte sur un sycomore pour le voir : c'est par là qu'il devait passer. Quand il vient en ce lieu, Jésus lève le regard et lui dit : « Zachée, hâte-toi, descends ! Car je dois aujourd'hui rester dans ton logis. » 

Il se hâte, descend, et l'accueille avec joie.  Ce que voyant, tous murmurent et disent : « C'est chez un homme pécheur qu'il est venu loger ! »  Zachée, debout, dit au Seigneur : « Voici : la moitié de mes biens, Seigneur, je donne aux pauvres ! Et si j'ai extorqué quelque chose à quelqu'un, je rends le quadruple ! » 

Jésus lui dit : « Aujourd'hui le salut est arrivé à ce logis, puisque lui aussi est fils d'Abraham. Car le fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » 

 

 

Le fils prodigue, par He-Qi

 

 

voir aussi : Le fruit était mûr, Réparations, Petit homme, Petits et grands

C'est un récit un peu dans la même veine que celui d'hier. Nous sommes proches de l'entrée à Jérusalem, du rejet de Jésus par les autorités religieuses, c'est-à-dire par celles qui auraient pu donner une légitimité incontestable au mouvement qu'il a suscité dans la population. Nous le savons, ce n'est pas ce qui va se passer. Par calcul politique, peur d'une agitation dangereuse vis-à-vis des romains, jalousie de judéens pour un galiléen trop brillant, ou autres raisons, le sanhédrin va décider, au contraire, la voie très ferme qui consiste à supprimer la cause de la question pour qu'elle ne se pose plus, de condamner donc Jésus à mort. Nous ne pouvons pas savoir si cette décision avait été prise de longue date ou pas, les évangiles ont été écrits bien plus tard, à une époque où on voulait entériner la séparation entre juifs et chrétiens. Il est certain que le "printemps galiléen", l'effervescence des premiers temps du ministère de Jésus dans sa province natale, a inquiété le sanhédrin, que des formulations rapportées par des on-dit ont pu aussi l'indisposer, mais nous ne pouvons pas savoir à quel point.

Voici donc notre Zachée, dans le rôle de l'antithèse du bon juif patriote, peut-être pas autant honnis qu'un samaritain, mais pas loin. En tant que collecteur de l'impôt pour les romains, c'est un 'collabo'. Même s'il est évident que, si lui ne le faisait pas, il s'en trouverait d'autres pour le faire à sa place, c'est lui qui le fait, aussi, malheur à lui. Comme on nous dit de plus que Zachée est riche, il fait donc en plus partie de ceux qu'on soupçonne de profiter de sa fonction pour s'enrichir personnellement, ce qui est sans doute la vérité dans son cas, vu son engagement à rendre le quadruple de ce qu'il a pu extorquer à tort. Il est certain que le parti de l'époque qui hait le plus ces serviteurs de l'occupation romaine, ce sont les zélotes, ces partisans de la résistance armée. Les sadducéens, qui sont majoritaires au sanhédrin, et qui dans la pratique s'accommodent très bien de la présence des romains tant qu'ils peuvent continuer de s'enrichir grâce à leur monopole sur le Temple, n'ont en réalité pas grand chose à reprocher aux collecteurs d'impôt : les uns comme les autres profitent de la situation. Sauf que, bien sûr, officiellement les sadducéens abhorrent la présence romaine, comme tout bon juif pieux qui se respecte.

C'est sur ce point précis que Zachée a été choisi comme figure exemplaire. Oui, comme les sadducéens, il s'est arrangé avec sa conscience et a adopté une attitude pragmatique vis-à-vis des occupants. Mais contrairement à eux, lui ne le cache pas, et contrairement à eux, lui est capable d'entendre l'appel de Jésus, et de renoncer à sa poursuite des biens matériels. Ce qui est peut-être le plus remarquable dans ce récit, c'est qu'on nous dit que Zachée a été réintégré dans la communauté : "lui aussi est fils d'Abraham", mais sans avoir nécessairement eu à renoncer à son métier ! Zachée ne s'engage pas à cesser d'être collecteur d'impôt, seulement à ne plus tricher, et à partager ses biens avec ceux qui n'en ont pas. C'est un des thèmes de prédilection de Luc, c'est lui qui nous parle dans ses Actes des Apôtres, de 'la' première communauté qui "mettait tout en commun", c'est lui qui prône aussi souvent cette attitude dans son évangile. Sans doute son origine païenne lui a-t-elle permis de se détacher ainsi plus facilement de la mentalité ancestrale juive qui associe possessions terrestres à récompense divine. C'est en tout cas la morale de cet épisode : le critère de l'élection d'Israël, au nom duquel les juifs devaient se garder du contact et du commerce avec des 'étrangers' s'efface devant un critère d'élection basé sur une capacité au partage des biens.

Commenter cet évangile