Le fait du prince
Jésus se remit à parler en paraboles :
« Le Royaume des cieux est comparable à un roi qui célébrait les noces de son fils. Il envoya ses serviteurs pour appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
« Il envoya encore d'autres serviteurs dire aux invités : 'Voilà : mon repas est prêt, mes boeufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez au repas de noce.' Mais ils n'en tinrent aucun compte et s'en allèrent, l'un à son champ, l'autre à son commerce ; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
« Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et brûla leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : 'Le repas de noce est prêt, mais les invités n'en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous rencontrerez, invitez-les au repas de noce.' Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu'ils rencontrèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives.
« Le roi entra pour voir les convives. Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce, et lui dit : 'Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?' L'autre garda le silence. Alors le roi dit aux serviteurs : 'Jetez-le, pieds et poings liés, dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents.'
« Certes, la multitude des hommes est appelée, mais les élus sont peu nombreux. »
On dirait que Matthieu s'ingénie à envenimer les choses. Par exemple, dans ce récit d'aujourd'hui, le roi commence par envoyer des invitations à l'avance, mais, nous dit Matthieu, les invités déclinent la proposition. A priori, il n'y a pas de loi qui puisse obliger quelqu'un à accepter une invitation, sinon ce n'est plus une invitation mais une convocation. En insistant pour envoyer ses serviteurs chercher ces mêmes invités le jour de la noce, on comprend que ceux-ci puissent être irrités de cette obstination.
Dans Luc, il n'est pas question de ce premier refus des invités, il est donc compréhensible que le roi les envoie chercher, et ces derniers déclinent tous l'invitation, mais aucun serviteur n'est maltraité. On est dans le cadre d'un malheureux concours de circonstances, ou d'excuses prétextes mais qui restent polies. Le peuple de la première alliance n'accepte pas la conversion à laquelle l'appelle Jésus ? Qu'à cela ne tienne, tout le monde est désormais invité, pas seulement les juifs mais tous les peuples de la terre.
Pour Luc, le royaume est donc une aventure nouvelle, à laquelle était convié prioritairement Israël, mais qui, à cause de ou grâce à, sa carence, est maintenant proposée à tous. Pour Matthieu, le royaume n'est que l'étape ultime de l'aventure de Dieu avec son peuple. Tous les prophètes qui se sont succédés et qui n'ont pas été écoutés, rejetés, l'annonçaient. Israël n'a donc jamais vraiment adhéré à l'alliance que lui proposait YHWH. Matthieu est radical dans sa condamnation du judaïsme ancien, ce que traduit cette éradication dont il est seul à parler (il "fit périr les meurtriers et brûla leur ville"), et qui s'apparente au quasi-génocide que les romains firent subir aux juifs vers 70 apres JC.
Quant-à l'homme trouvé sans vêtement de noces, propre à Matthieu encore, il semble représenter un des invités de la première série qui se serait incrusté pour échapper à la folie meurtrière du roi. Un juif qui essaierait de se faire passer pour chrétien dans un contexte où les chrétiens seraient déjà devenus plus nombreux que les juifs et pas encore persécutés en tant que tels. On serait alors déjà assez tard dans les débuts du christianisme. Mais cela expliquerait bien la situation et le contexte du récit. Son silence à la question du roi signifierait qu'intérieurement il ne veut pas se convertir.
Matthieu le juif converti est le plus dur des évangélistes vis-à-vis de ses anciens congénères.
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