Partage d'évangile quotidien
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Quatre vérités

Mar. 24 Juin 2014

Matthieu 7, 6-14 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens. Ne jetez pas vos perles devant les cochons, qu'ils ne les piétinent de leurs pieds et, se tournant, vous lacèrent. 

« Demandez, et il vous sera donné. Cherchez, et vous trouverez. Toquez, et il vous sera ouvert. Car tout demandeur reçoit. Qui cherche trouve. À qui toque il sera ouvert. Y a-t-il parmi vous un homme à qui son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre ? Ou encore, il demandera un poisson, est-ce qu'il lui remettra un serpent ? Si donc vous, — mauvais que vous êtes ! — vous savez donner des dons qui soient bons à vos enfants, combien plus votre père dans les cieux en donnera de bons à ceux qui lui demandent ! 

« Donc : tout ce que vous voulez que vous fassent les hommes, vous-mêmes, faites-le pour eux : cela, oui, c'est la loi et les prophètes ! 

« Entrez par la porte étroite : Large la porte, vaste le chemin qui emmène à la perte, et ils sont beaucoup, ceux qui y entrent. Qu'étroite est la porte, resserré le chemin qui emmène à la vie ! Et ils sont peu, ceux qui le trouvent. » 

 

 

Il frappe à la porte, par He-Qi

 

 

voir aussi : La porte dérobée, Échange de bons procédés, Donnez, vous recevrez, Perles

Nous voici avec ces quatre sentences, nous demandant par où commencer. Pas de fil conducteur, pas de thème commun. La première, les perles aux cochons, est célèbre parmi les défenseurs d'un christianisme ésotérique : il existerait un enseignement secret que Jésus n'aurait donné qu'à quelques uns... Plus prosaïquement, cette maxime est sans doute née dans des communautés aux buttes à des interlocuteurs incapables de changer de paradigme, et déformant alors les propos qui leur étaient tenus. Qu'on pense ici, par exemple, à l'opinion de certains musulmans selon lesquels les chrétiens seraient polythéistes. Plus anciennement, les accusations qui leur étaient faites d'être anthropophages, puisqu'ils consommaient la chair de Jésus. C'est contre ce genre de quiproquos que cette maxime veut mettre en garde. Mais si nous lisons l'évangile de Jean au premier degré, nous devrions en conclure que Jésus n'en a guère tenu compte dans son enseignement aux 'juifs', avec toutes ses affirmations sans précaution qui ne pouvaient que les interloquer ! En réalité, il n'est pas aisé du tout de transmettre quelque chose de nouveau, et on pourra s'efforcer d'y mettre toutes les formes possibles, il reste qu'une conversion se fait difficilement sans un moment ressenti par le futur converti comme une violence faite à ses convictions antérieures.

"Demandez, cherchez, toquez !" : il y aurait ici beaucoup à dire. Nombreux, en effet, sont ceux qui aimeraient bien que les choses leur tombent toutes cuites dans le bec ! Oui, demandez et il vous sera donné, suppose en premier qu'on fasse au moins cette démarche de demander. Nous ne sommes pas dans "je voudrais", mais il s'agit de vouloir vraiment, et même totalement. Il n'est pas dit qu'on obtiendra ce qu'on attend avant même de l'avoir formulé ! non, je dirais même, selon mon expérience personnelle, qu'on trouve, certes, mais seulement lorsqu'on a épuisé la recherche. La comparaison avec l'enfant qui demande du pain ou du poisson à son père pourrait ici nous égarer. Nous nous imaginons effectivement qu'il reçoit aussitôt ce qu'il a demandé, pourtant ce n'est même pas ce que dit le texte, qui ne parle ni du délai entre sa demande et la réponse de son père, ni qu'il a reçu du pain ou du poisson, mais seulement qu'il n'a pas reçu pierre ou serpent à la place... Il en va donc de même avec notre recherche spirituelle : si nous savons rester toujours en recherche, nous recevrons, nous pouvons en être assurés. Mais comme notre recherche restera aussi toujours imparfaite, ce que nous recevrons ne correspondra pas nécessairement à ce que nous attendions, et il nous faudra parfois longtemps avant de comprendre que c'était pourtant la bonne réponse, mais à une question que nous formulions mal. Ce n'est pas grave, car ce que nous recevons est toujours mieux que ce que nous attendions, et finit par nous apprendre à corriger le tir.

La sentence suivante débute, dans le texte grec, avec une préposition qui tendrait à la lier à ce qui précède — donc, aussi, ainsi, c'est pourquoi — comme si nous avions là une conséquence de ce qui vient d'être dit. Plusieurs traductions françaises suppriment cette préposition : il n'y a de fait à priori pas de rapport évident. On peut, si on veut, en trouver. Par exemple, que Dieu n'ayant pas d'autre moyen d'intervenir dans nos vies que par la médiation des hommes, il n'y a que nous qui puissions être les agents, les uns pour les autres, de sa réponse à nos demandes. C'est certainement vrai, et je crois bien avoir développé ce thème dans un des mes commentaires des années précédentes. Ce n'est donc pas à écarter totalement, mais je ne suis pas sûr que Matthieu ait pensé à cette signification avec cette préposition. Les évangiles étaient des textes essentiellement proclamés oralement devant une assemblée, et non lus individuellement. À l'oral, un tel rapport entre cette sentence et ce qui précède est incompréhensible, impossible à percevoir. Il nous faut nos conditions plus modernes de croyants qui ruminent le texte, pour l'élaborer. Le plus vraisemblable est donc simplement que cette sentence provient d'un autre contexte. Luc (6, 31) l'a aussi, mais il la place à la suite de l'amour des ennemis, où elle fait plus sens, et sans la préposition ! On notera par contre que ce précepte était déjà fort répandu dans toute l'antiquité, au point qu'il ait reçu le nom de "règle d'or", mais que cependant sa formulation était négative : ne pas faire aux autres ce qu'on ne voudrait pas qu'ils nous fassent. La formulation positive, dont nous pouvons être certains qu'elle nous vient de Jésus pour cette raison précise de son originalité, la porte à un accomplissement qui la transcende.

Enfin, la porte étroite. Et là, si nous devons maintenir fermement que le christianisme n'est pas un ésotérisme, même pas un élitisme, on ne peut pas pour autant écarter tous ces textes qui vont dans le même sens pour nous avertir que ce n'est pas non plus juste un long fleuve tranquille sur lequel nous n'aurions qu'à nous laisser porter par le courant ! Cette porte étroite, personnellement, me parle de ce que Jean appelle la seconde naissance. Représentons-nous ce qu'a pu être notre naissance physique, cette lutte pour trouver une sortie au ventre maternel et venir enfin au monde, dont nous ne savions pas précisément ce qu'il serait. Entrer dans le Royaume est une étape comparable, qui demande de quitter ce que nous pouvons considérer comme un nid douillet, pour un ailleurs qui nous reste en grande partie inconnu, et il y a là comme une lutte, un corps à corps avec nous-même, qui doit être mené jusqu'à son terme, pour découvrir un monde qui n'est pas ailleurs que celui-ci que nous connaissons, mais qui s'en distingue pourtant radicalement et sans équivoque. Je ne saurais dire pour autant si réellement "beaucoup sont ceux qui entrent sur le chemin de la perte, et peu ceux qui trouvent le chemin de la vie". J'espère, moi aussi, que tous finiront par emprunter le bon. Mais seulement s'ils le veulent, vraiment.

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