Partage d'évangile quotidien
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Il y a faire, et faire

Mar. 10 Octobre 2023

Cette Marthe et cette Marie sont-elles les deux sœurs dont parle l'évangile de Jean, celles dont Jésus aurait ressuscité le frère Lazare, celles chez lesquelles il prendra un repas avec tous ses disciples à Béthanie, dans la banlieue de Jérusalem, repas au cours duquel Marie oindra les pieds de Jésus ? Si ce sont bien elles, comment se fait-il que Luc soit le seul des trois synoptiques à les mentionner, et seulement ici, où nous sommes censés nous trouver quelque part entre Galilée et Judée, mais certainement pas aux portes de Jérusalem ? Et pourquoi Matthieu et Marc disent-ils que le fameux repas à Béthanie se serait passé chez un certain Simon le lépreux, absolument inconnu par ailleurs ?

Les différences entre, d'une part les trois synoptiques, et d'autre part l'évangile de Jean, peuvent s'expliquer principalement par deux raisons, qui de plus se rejoignent en partie. D'abord il y a le fait que les synoptiques racontent l'histoire de Jésus du point de vue des Galiléens, là où s'est déroulé l'essentiel de son ministère, alors que l'évangile de Jean raconte l'histoire du même Jésus, mais du point de vue d'un Judéen, Jérusalémite même, et l'antagonisme entre Galiléens et Judéens n'est pas aussi fort que par rapport aux Samaritains, mais c'est au moins du même ordre qu'entre Paris et province. Ajouter alors que l'entourage galiléen de Jésus est composé essentiellement de gens simples, du bas de l'échelle sociale, alors que Jean, le sadducéen de la famille de Hanne, qui a une maison dans laquelle il hébergera sans problème plus de cent disciples, ou la famille de Béthanie, qui peut se permettre d'oindre les pieds de Jésus avec un parfum coûtant un an de salaire au smic...

Quelles qu'en soient les raisons, si c'est bien de Marthe et Marie de Béthanie dont parle ici Luc (et leurs deux caractères sont assez cohérents avec ce que nous en dit l'évangile de Jean par ailleurs), il est surprenant que Luc nous rapporte cet épisode, alors que Jean semble l'ignorer ! mais ce qui est certain par ailleurs, c'est que si il le rapporte précisément ici, juste après la parabole du bon Samaritain, laquelle était introduite par la discussion sur le double commandement de l'amour de Dieu et du prochain, c'est qu'il l'a voulu expressément. Il y a effectivement une cohérence, après le bon Samaritain qui explicite ce qu'est l'amour pour le prochain, cette petite histoire avec Marthe et Marie reviendrait plutôt sur l'amour pour Dieu.

Mais comme on a le plus souvent du mal à l'entendre ! c'est injuste : il faut bien que quelqu'un assume la lessive, le ménage, le service, et toutes les tâches nécessaires ; tout cela, ça ne se fait pas tout seul, et pendant ce temps-là, l'autre, elle se la coule douce, à bayer aux corneilles aux pieds de son dieu. Mais pourtant, ni le récit, ni Jésus, ne contestent l'utilité de ce que fait Marthe : c'est la manière dont elle le fait qui pose question ; elle est "dispersée", "distraite", "tirée vers l'extérieur", elle n'est pas vraiment présente dans ce qu'elle fait, ces occupations sont en réalité une façon de fuir, fuir la présence de Jésus, et se fuir elle-même. Elle se soucie de beaucoup de choses, mais pas de l'essentiel.

Et puis, si Jésus souligne ensuite que Marie, elle au moins, contrairement à Marthe, s'attache à cette seule chose qui compte vraiment, à ce qui est primordial, il ne dit pas pour autant que cela la dispenserait de prendre aussi sa part au service et d'aider sa sœur. Bien au contraire...! Mais ce qui nous empêche en général de comprendre ces aspects de cette petite histoire, c'est qu'elle nous est présentée comme le récit d'un épisode de la vie de Jésus ; si la même histoire nous était présentée comme une parabole, avec des personnages fictifs, elle passerait certainement beaucoup mieux.

Reste la question : pourquoi Luc a-t-il tenu à placer cette petite histoire ici, après la parabole du bon Samaritain. L'amour de Dieu est plutôt de l'ordre de l'être, c'est une façon d'être, et au final une façon d'être par rapport à soi-même, alors que l'amour du prochain est sans doute beaucoup plus de l'ordre du faire, au moins tel qu'exposé dans la parabole. Luc a-t-il alors voulu attirer l'attention sur les conditions du faire, qu'il y a plusieurs manières d'aborder ce faire, que se contenter de faire pour faire n'est pas vraiment satisfaisant ni judicieux ?

 

 

Et au cours de leur déplacement, il entra dans un village,
où une femme nommée Marthe
    l'accueillit dans la maison,
et elle avait une sœur appelée Marie,
    qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur,
écoutait sa parole,
tandis que Marthe était dispersée
    avec tout le service ;
    alors elle se présenta et dit :
« Seigneur, cela ne te soucies pas
    que ma sœur m'ait laissée seule servir ?
Dis-lui donc qu'elle m'aide ! »
    mais répondant, le Seigneur lui dit :
« Marthe, Marthe,
tu t'inquiètes et tu t'agites
    pour beaucoup de choses,
mais de peu il est besoin,
    d'une seule :
Marie a choisi la bonne part,
    qui ne lui sera pas ôtée. »

(Luc 10, 38-42)

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