Partage d'évangile quotidien
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Des promesses...

Ven. 30 Mai 2014

Jean 16, 21-23 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« La femme au moment d'enfanter a de la tristesse, car son heure est venue. Quand le petit enfant est né, elle ne se souvient plus de la souffrance à cause de la joie : car un homme est né au monde. Et vous donc, maintenant, vous avez de la tristesse. Mais ensuite je vous verrai et votre cœur se réjouira et votre joie, nul ne peut vous l'ôter. 

« Et en ce jour-là ce n'est plus moi que vous prierez. Amen, amen, je vous dis : tout ce que vous demanderez au Père il vous le donnera en mon nom. » 

 

 

Après la résurrection, par He-Qi

 

 

voir aussi : Liaison directe

Le thème de l'enfantement nous aiguille bien sûr immédiatement sur celui de la seconde naissance abordé par Jésus dans les débuts de l'évangile avec Nicodème. La mort de Jésus va être l'occasion pour les disciples d'une renaissance. Il y a un double parallèle : c'est Jésus qui meurt, mais eux aussi vont un peu mourir avec lui, puis Jésus va être relevé dans la résurrection, et eux aussi vont entrer dans une nouvelle vie. Parallèles, donc, mais évidemment pas des mêmes événements exactement ! Jésus meurt vraiment, les disciples meurent : à quoi exactement, c'est là que les choses ne sont pas forcément bien claires. Si on suit le seul récit de Jean, on ne sait pas trop ce que font les disciples, dans leur ensemble (mis à part le disciple que Jésus aimait et Pierre), entre l'arrestation et la découverte du tombeau vide. Chez Jean, en effet, ce ne sont pas les disciples qui s'enfuient en abandonnant Jésus, c'est Jésus qui dit aux soldats de les laisser libres ! on peut donc imaginer qu'ils attendent, non pas sereinement, bien sûr, mais qu'ils s'intéressent encore à la suite des événements. L'épreuve qu'ils traversent est celle d'amis, qui participent, par la pensée, à l'épreuve de Jésus. Dans les synoptiques il en va différemment. Les disciples s'enfuient, et, à part Pierre, on peut imaginer qu'ils sont plus préoccupés de leur propre sort que de celui de Jésus, c'est en tout cas ce qu'ils ont montré en s'enfuyant.

Alors, le second parallèle, celui de la résurrection de Jésus et de la renaissance des disciples, prend aussi des sens très différents selon qu'on suive Jean ou les synoptiques. Chez Jean, la compréhension de la résurrection vient au disciple que Jésus aimait lorsqu'il contemple les linges restés dans le tombeau : leur disposition précise lui dit que le corps n'a pas été volé, mais qu'il s'est volatilisé, laissant les linges strictement en l'état comme ils étaient lorsqu'ils entouraient le corps, juste retombés comme un soufflé. C'est à ce moment qu'il reçoit l'Esprit, même si la scène en est symbolisée avec plus de solennité un peu plus tard, sous la forme d'une apparition de Jésus ressuscité. Il faut le rappeler, ici, chez Jean tout particulièrement le retour de Jésus et la venue de l'Esprit sont quasiment deux façons de parler de la même chose. Il est donc cohérent que le moment où le disciple que Jésus aimait 'crut' à la résurrection soit en fait le même où il rencontra le ressuscité et reçut l'Esprit. Chez Jean, donc, la seconde naissance ou venue de l'Esprit, s'enracine directement dans la découverte du tombeau vide. Il y a une sorte de continuité, avec juste la rupture du sabbat : les disciples accompagnent en pensée Jésus dans sa mort et accompagnent sa résurrection en recevant pour leur part l'Esprit.

Autre est l'histoire dans les synoptiques. Là, pas vraiment d'accompagnement de la Passion et de la mort de Jésus par les disciples. Ils sont allés se cacher, ils se terrent dans le cénacle. Certains sont peut-être même repartis pour la Galilée dès le jeudi soir ou vendredi matin. Les autres se sont laissé piéger par le sabbat, mais repartent eux aussi, dès le dimanche, comme en témoigne le récit des pèlerins d'Emmaüs. Ils sont rentrés chez eux, avec juste une curiosité dans toute l'histoire : le corps a été volé. Dans les synoptiques, c'est tout l'effet que produit le tombeau vide. Ils sont donc rentrés chez eux, ils ont repris leur vie, et la mort symbolique qu'ils ont alors à traverser, c'est le deuil de toutes leurs illusions, de leurs rêves d'une restauration de la souveraineté d'Israël sur ses terres, du royaume de David. Et c'est là, après ce deuil, que leur vient la compréhension de ce dont Jésus leur avait vraiment parlé, au lieu de ce que eux avaient projeté. C'est en ce sens que le ressuscité les attendait là-bas, chez eux, en Galilée, selon le texte des synoptiques.

Quand donc Jean nous évoque, dans le texte d'aujourd'hui, ce double mouvement de mort et de renaissance, tant de Jésus que des disciples, on peut dire qu'il parle bien de l'expérience qu'ont faite tous les disciples, tant les galiléens, qui avaient suivi Jésus dans toute la première partie de son ministère, et dont nous parlent essentiellement les synoptiques, que les judéens, qui n'ont connu Jésus qu'à l'occasion de quelques grandes fêtes juives à Jérusalem, et dont nous parle essentiellement l'évangile de Jean. Le texte de Jean d'aujourd'hui vaut donc pour les deux groupes, mais le contenu évoqué est très différent, comme nous venons de le voir. Ces différences dans les cheminements de deux groupes de disciples de Jésus sont très importantes pour comprendre qu'il y ait tant de différences aussi entre les synoptiques, d'une part, et l'évangile de Jean d'autre part. Différences, en bien des points inconciliables, des récits, et plus important encore, différences des théologies sous-jacentes. C'est parce que les expériences, qui nous ont été transmises sous le vocabulaire, commun aux deux groupes, de résurrection de Jésus et de venue de l'Eprit, correspondent en réalité à des cheminements de la foi très différents.

Il n'y a pas de mystère : si Jean a ce qu'on appelle une christologie haute, et même très haute, c'est parce que le disciple que Jésus aimait a été aveuglé par la disparition du corps, alors qu'elle n'était pas si signifiante que ça de la résurrection. Si les synoptiques partent d'une christologie beaucoup plus basse, c'est parce les galiléens ont eu à faire beaucoup plus de chemin, tant de son vivant qu'après sa mort, pour finir par rattraper Jésus. Le christianisme que nous connaissons est issu de la fusion de ces deux expériences, initialement hautement incompatibles, ne faisant pas référence, au fond, du tout à la même chose. Pour ma part, j'en suis à me demander s'il n'y a pas là un vice de forme rédhibitoire. Je ne me prononce pas encore, mais la question me semble importante, et, en tout cas, essentielle à prendre en compte, si on veut comprendre ce qu'est réellement notre christianisme d'aujourd'hui.