Partage d'évangile quotidien
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Tous contre un

Ven. 4 Avril 2014

Jean 7, 2-30 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Or la fête des Juifs était proche, celle des Tentes.  Ses frères lui disent donc : « Pars d'ici et va dans la Judée pour que tes disciples aussi voient les œuvres que tu fais. Car nul n'agit en secret s'il cherche à être connu en public. Si tu fais ces choses, manifeste-toi au monde. » Car même ses frères ne croyaient pas en lui.  Jésus donc leur dit : « Mon temps à moi n'est pas encore là. Votre temps à vous est toujours prêt. Le monde ne peut vous haïr, mais moi il me hait, parce que je témoigne sur lui que ses œuvres sont mauvaises. Vous, montez à la fête. Moi, je ne monte pas à cette fête : mon temps n'est pas encore accompli. » Ayant dit ces choses, il demeure dans la Galilée. Mais quand ses frères sont montés à la fête alors, lui aussi, il monte, non au grand jour, mais comme en secret. 

Les Juifs donc le cherchaient à la fête et disaient : « Où est-il, celui-là ? » Et il y avait force murmures sur lui dans les foules. Les uns disaient : « Il est bon. » D'autres disaient : « Non, mais il égare la foule. » Cependant nul ne parlait de lui en public, par crainte des Juifs. Déjà le milieu de la fête ; Jésus monte au temple. Il enseignait. 

Les Juifs donc s'étonnaient, ils disaient : « Comment celui-là sait-il les lettres sans avoir appris ? »  Jésus répond donc et leur dit : « Mon enseignement n'est pas de moi, mais de celui qui m'a donné mission. Si quelqu'un veut faire sa volonté, il connaîtra si l'enseignement est de Dieu, ou si moi, c'est de moi-même que je parle. Qui parle de lui-même cherche sa propre gloire. Qui cherche la gloire de celui qui lui a donné mission, celui-là est vrai, et il n'y a pas en lui d'injustice. N'est-ce pas Moïse qui vous a donné la loi ? et nul parmi vous ne fait selon la loi ! Pourquoi cherchez-vous à me tuer ? » 

La foule répond : « Tu as un démon ! Qui cherche à te tuer ? »  Jésus répond et leur dit : « Une seule œuvre que j'ai faite, et tous vous en êtes étonnés ! Moïse vous a donné la circoncision, – non qu'elle soit de Moïse, mais des pères – et le sabbat vous circoncisez un homme. Si un homme reçoit la circoncision un sabbat, pour que la loi de Moïse ne soit pas enfreinte, comment êtes-vous fielleux contre moi parce que je fais sain un homme tout entier un sabbat ? Ne jugez pas sur la face, mais jugez d'un juste jugement. » 

Certains donc de Jérusalem disaient : « N'est-ce pas lui qu'ils cherchent à tuer ? Et voici qu'il parle en public, et ils ne lui disent rien ! – Si pourtant les chefs avaient connu pour de vrai que c'est lui le Messie ? – Mais celui-ci nous savons d'où il est, tandis que le Messie, quand il viendra, personne ne connaîtra d'où il est. »  Jésus donc qui enseigne dans le temple crie en disant : « Vous savez qui je suis et vous savez d'où je suis ? Or je ne suis pas venu de moi-même, mais celui qui m'a donné mission est véritable, et vous ne savez pas qui il est. Moi, je sais qui il est, parce que je suis d'auprès de lui, et c'est lui qui m'a envoyé. » 

Ils cherchaient donc à l'arrêter, mais personne ne jette la main sur lui : son heure n'est pas encore venue. 

 

 

Ruth et Noémie, par He-Qi

 

 

voir aussi : Seul contre tous, D'origine inconnue, Connaissances, D'où je suis

On ressent une certaine incongruité devant cette scène des frères de Jésus qui l'incitent à monter à Jérusalem alors qu'ils savent que l'opération est dangereuse pour lui. Le décalage n'est pas dans le fait que "même ses frères ne croyaient pas en lui" : en ceci, Jean est d'accord avec les synoptiques. Cela semble un des faits les mieux établis au sujet de Jésus : sa famille ne l'a pas suivi, de son vivant. Jean ne mentionne pas ici Marie. Cela peut être parce qu'il veut la protéger (on sait qu'il dira que, sur la croix, Jésus lui aurait demandé de considérer Marie comme sa mère). Ou peut-être simplement parce que Marie, sans croire à la vocation de son fils (elle était quand même avec les autres, quand ils ont voulu le ramener de force chez eux, pour faire cesser ce qu'ils considéraient comme un scandale), n'allait pas pour autant jusqu'à se moquer de lui. Quoi qu'il en soit de ce qu'a pensé Marie de Jésus de son vivant, et de cette curieuse affirmation de Jean sur sa filiation adoptive voulue par Jésus (qui signifierait que Jésus déniait à ses frères biologiques la capacité à prendre en charge correctement leur mère...), là n'est pas l'incongruité, mais dans le fait que, alors que pratiquement tout son évangile se déroule à Jérusalem, Jean arrive quand même à placer cette scène qui suppose plutôt le contraire ! il devait y tenir, et on peut en conclure que, s'il avait effectivement adopté Marie comme mère, il n'avait pas pour autant, loin s'en faut, adopté ses enfants comme frères.

Bref, donc, Jésus finit par y aller, et nous retrouvons alors la controverse à propos de l'infirme que Jésus avait guéri un jour de sabbat. Comme c'est elle qui est invoquée comme raison pour laquelle on chercherait à le tuer, il nous faut revenir sur cette question. Quand on suit les synoptiques, les motivations des adversaires judéens de Jésus sont plutôt liées à toute l'agitation qu'il a suscitée en Galilée. Il y a là le vieil antagonisme entre les deux provinces, qui joue, mais plus particulièrement c'est l'épisode des cinq mille hommes réunis dans le désert et près à marcher sur la capitale qui leur est resté en travers de la gorge. Ils ont eu peur, ça allait trop loin, et même si c'est Jésus lui-même qui a stoppé toute l'affaire, ça ne changera rien à leur appréciation : cet homme est dangereux, ils ne peuvent pas prendre le risque de le laisser en liberté et remonter éventuellement le même coup une seconde fois. Jean ne peut pas entrer dans cette logique : son évangile ne veut pas parler de Jésus en Galilée, de toute cette effervescence qu'il a suscitée. Il construit donc sa thèse entièrement sur le seul motif théologique et religieux. Tout se base alors sur cette guérison de l'infirme, puis sur celle de l'aveugle un peu plus tard (même lieu : la piscine de Bethesda/Siloë, même temps : un sabbat), et, bien sûr, sur les différentes controverses qui en découlent, au cours desquelles ce ne sont même pas les guérisons, ni le fait qu'elles aient eu lieu un jour de sabbat, qui déterminent l'acharnement de ses adversaires, mais ce qu'ils croient pouvoir déduire de ses paroles : qu'il se prétendrait égal à Dieu.

Telle est la thèse de Jean. Il est cohérent en cela avec lui-même, puisque, s'il y a un évangile qui prône le plus nettement cette théologie – que Jésus était 'le' Fils unique de Dieu –, c'est son évangile : il prétend donc que c'est pour cette raison que Jésus a été condamné à mort. Au mépris d'un certain nombre de vraisemblances. Vraisemblances sur la forme : entre la guérison de l'infirme et l'épisode d'aujourd'hui, Jean dit que Jésus était reparti en Galilée, et décrit la multiplication des pains "alors que la Pâque était proche", donc au printemps. Or aujourd'hui, c'est la fêtes des Tentes, donc à l'automne. Mais que la rancune des autorités religieuses pour une anicroche survenue entre six mois à un an auparavant ait survécu si longtemps semble aller de soi pour Jean... Vraisemblances sur le fond : si Jésus avait vraiment prononcé quelque parole qui l'identifiait à Dieu, il n'y aurait pas eu de procès ni tout le cirque pour le faire condamner par l'autorité civile, il aurait simplement été lapidé sur le champ par la foule. L'argument qu'il se prendrait pour Dieu, s'il a jamais été soutenu par les autorités religieuses, n'a pu l'être qu'à des fin de propagande et de désinformation, pour justifier et masquer leurs véritables motivations, beaucoup plus pragmatiques et terre à terre : se débarrasser d'un rival politique qui pouvait causer du tort, par l'agitation qu'il suscitait, aux rentrées d'argent que leur assurait le système sacrificiel du Temple. On n'est plus dans le même registre...

À part ça, sur le fond, les sujets abordés aujourd'hui ne diffèrent guère de ceux de ces jours-ci : Jésus ne parle pas par pure fantaisie personnelle, mais à partir de la relation particulière qu'il a avec le Père, ce que ses interlocuteurs ne peuvent pas comprendre parce que, eux, ne vivent pas de cette même relation. Rappelons que Jésus n'émettait certainement pas de telles affirmations comme des jugements sur eux. Son seul souhait, durant tout son ministère, a été que d'autres puissent accéder à la même expérience que lui. Ce n'était pas en reprochant à qui que ce soit de ne pas la vivre qu'il pouvait espérer donner l'envie de la croire possible !

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