Partage d'évangile quotidien
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Tels fils, tels pères

Mer. 9 Avril 2014

Jean 8, 31-47 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Jésus dit alors aux Juifs qui ont cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, la mienne, vous êtes pour de vrai mes disciples ; vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libèrera. » 

Ils lui répondent : « Nous sommes semence d'Abraham : de personne nous n'avons été esclaves, jamais ! Comment dis-tu : vous deviendrez libres ? »  Jésus leur répond : « Amen, amen, je vous dis : tout homme qui fait le péché est esclave du péché. Or l'esclave ne demeure pas dans la maison pour toujours. Le fils demeure pour toujours. Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres. Je sais que vous êtes semence d'Abraham. Mais vous cherchez à me tuer, parce que ma parole ne pénètre pas en vous. Moi, ce que j'ai vu auprès du Père, je le déclare. Et vous donc, ce que vous avez entendu de votre père, vous le faites. » 

Ils répondent et lui disent : « Notre père est Abraham ! » Jésus leur dit : « Si vous êtes enfants d'Abraham, faites les œuvres d'Abraham ! Or maintenant vous cherchez à me tuer, moi, homme qui vous ai déclaré la vérité que j'ai entendue auprès de Dieu. Cela, Abraham ne l'a pas fait. Vous faites, vous, les œuvres de votre père ! » Ils lui disent : « Nous, ce n'est pas de prostitution que nous sommes nés : nous n'avons qu'un père, Dieu ! » 

Jésus leur dit : « Si Dieu était votre père, vous m'aimeriez, car c'est de Dieu que je suis sorti et que je suis venu : ce n'est pas de moi-même que je viens, mais c'est lui qui m'a envoyé. Vous ne comprenez pas mon langage, pourquoi ? Parce que vous ne pouvez entendre ma parole. Vous, le père dont vous êtes est le diable, et vous voulez faire les désirs de votre père ; lui était tueur d'homme dès le commancement, et il ne se tenait pas dans la vérité, parce qu'il n'est pas de vérité en lui. Quand il dit le mensonge, c'est de son propre fond qu'il dit, parce qu'il est menteur et le père du mensonge ! Mais moi, parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas. Qui parmi vous me convainc de péché ? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Qui est de Dieu entend les mots de Dieu. Si vous n'entendez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu. » 

 

 

L'appel de saint Paul, par He-Qi

 

 

voir aussi : Père inconnu, Liberté chérie, Filiations, Père illégitime

Il n'y a pas grand chose de nouveau dans ce texte par rapport à ce que nous avons déjà vu ces jours-ci. L'évangile de Jean dans son entier, d'ailleurs, ne contient guère plus qu'une ou deux idées, toujours les mêmes, simplement répétées sous des formes différentes. Jésus est dans la lumière, ses adversaires sont dans les ténèbres, Jésus vient de Dieu, ses adversaires du diable, etc... On comprend que Jésus ait été mal accueilli par les judéens, s'il avait réellement tenu ces discours. C'est un dialogue de sourds. L'évangile de Jean n'est donc pas à proprement parler un évangile, il n'est en fait pas destiné à convaincre des personnes hésitantes ou ignorantes, mais à un usage interne. Il faut avoir, au préalable, accepté les grandes lignes de la doctrine de la communauté johannique, pour pouvoir y trouver un quelconque intérêt. Il faut s'être déjà converti à la divinité de Jésus, pour éventuellement trouver ses délices dans ces considérations très proches de la gnose et du sectarisme. La communauté johannique s'est, historiquement, développée dans un splendide isolement des autres communautés chrétiennes. Lorsqu'elle a fini, au moins une partie des ses membres, pour éviter de sombrer dans les oubliettes de l'histoire, par rejoindre le courant paulinien/lucanien, pour sa part en pleine expansion, elle a apporté dans sa dot ce texte par lequel elle avait forgé son identité, mais c'était un peu comme un cadeau empoisonné.

Je choque, sans doute. Comment, le joyau de la spiritualité chrétienne, le livre de chevet de centaines de générations de mystiques, un cadeau empoisonné ? Et pourtant... Quel est l'idéal de l'amour proposé par l'évangile de Jean ? "aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés", autrement dit avec le même amour qu'a eu Jésus pour ses disciples, ce qui va jusqu'à "donner sa vie pour ceux qu'on aime". Oui, effectivement, c'est très beau d'aller jusque là, mais quand même, on s'arrêtera aux amis, hein ? il ne faudrait pas pousser le bouchon trop loin. Ceci est typique de cette communauté : on est si bien entre nous, entre gens qui pensent pareil... mais quel gouffre avec "aimez vos ennemis, si vous aimez ceux qui vous aiment ... même les pécheurs aiment ceux qui les aiment" (Luc 6, 27.32) ! C'est donc cela la perfection de l'amour chrétien ? constituer des petites coteries où tout le monde semble sorti du même moule, comme ça pas de risques qu'on se frictionne. Et on pourra dire : "voyez comme ils s'aiment", et on voudra se joindre à eux, pourvu qu'on accepte de passer sous les fourches caudines de leur idéologie, évidemment. On est bien à fond dans le modèle sectaire, ils sont encore dans le monde, mais si peu, en réalité.

Et que dire de l'image du Père développée par cette communauté ? Vous pouvez chercher, dans tout son évangile, une seule fois le Père est précédé du pronom possessif 'votre' : "je monte vers mon Père qui est votre Père qui est mon Dieu qui est votre Dieu" (Jean 20, 17) ! C'est une splendide affirmation, mais c'est la seule sur plus d'une centaine de mentions du Père, elle n'exprime donc certainement pas la théologie johannique. Le Père, chez Jean, n'est le Père que de Jésus, c'est 'son' Père à lui seul. Il reste notre créateur, mais seul Jésus est son fils. Pour nous, tous les autres êtres 'humains', il serait inconcevable que nous puissions accéder à la même relation que lui au Père, aussi est-ce chez Jean encore qu'est développée au plus haut point cette hiérarchie où le Fils vient s'interposer entre le Père et les hommes. Nous sommes à fond, cette fois, dans le modèle gnostique. Jésus ne partage notre condition qu'en apparence, il est Dieu déguisé en homme. Cette conception convient à certains, tant mieux pour eux ? je n'en suis pas si sûr. Cette conception est en tout cas radicalement étrangère au judaïsme. On a donc affaire à un Jésus complètement acculturé, et il n'est pas étonnant dans ces conditions que certains soutiennent que Jésus n'est même pas né, qu'il est apparu comme ça, un jour, tout adulte, et, pendant qu'on y est, qu'il n'est pas mort non plus, que c'était son sosie qui était sur la croix, etc..., etc...

Sans lui dénier toute qualité, on comprendra que l'évangile de Jean soit surtout le compagnon consolateur de tous ceux qui n'aiment pas vraiment ni le monde, ni la vie. Ses grandes envolées aident à oublier tous ces petits tracas que sont nos frères qui ont faim, ou soif, les étrangers, les pauvres, les malades, les prisonniers : on cherchera en vain chez lui un équivalent de ces critères qui, chez Matthieu, sont les seuls à pouvoir nous ouvrir les portes du Royaume. Il ne s'agit pas, pour autant, d'opposer voies contemplative et caritative ! mais il est nécessaire, je crois, de prendre conscience à quel point l'évangile de Jean ne peut surtout pas être témoin de la bonne nouvelle à lui seul, à quel point sa théologie peut nous entraîner sur une pente savonneuse pernicieuse si on la prend pour pierre de touche de la révélation que nous a apportée Jésus. Nous sommes trop naturellement portés à nous isoler du reste du monde pour pouvoir nous permettre de parer cette tendance des atours d'une spiritualité de pacotille qui n'est en réalité que fuite et désertion.

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