Partage d'évangile quotidien
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Prier, encore

Sam. 14 Mars 2015

Luc 18, 9-14 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Et encore, pour certains qui, convaincus d'être eux-mêmes des justes, regardent comme rien le reste des hommes, il dit cette parabole-ci : 

« Deux hommes montent au temple pour prier, l'un pharisien, et l'autre taxateur.  Le pharisien se tient debout et prie ainsi en lui-même : "Ô Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, rapaces, injustes, adultères ou encore comme ce taxateur ! Je jeûne deux fois la semaine, je paie la dîme de tout ce que j'acquiers." Le taxateur se tient à distance : il ne veut même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappe la poitrine et dit : "Ô Dieu, soit propice pour moi, le pécheur !" 

« Je vous dis : celui-ci descend justifié dans son logis, celui-là, non ! Car tout homme qui se hausse sera humilié, qui s'humilie sera haussé. » 

 

 

La prière à Gethsemani, par He-Qi

 

 

voir aussi : Heureux les humbles, Des hauts et des bas, Paroles et paroles, Les plus courtes ...?, Dans le secret des coeurs

Nous sommes chez Luc, plus très loin de l'arrivée à Jérusalem. L'auteur nous donne "en passant" deux petites paraboles, celle de la veuve qui a affaire à un juge inique (18, 1-8), ainsi que celle-ci. Ce sont deux paraboles propres à Luc, qui ont pour thème commun celui de la prière, en sorte qu'on peut considérer qu'on a ici comme une prolongation de l'enseignement principal sur ce thème, qui avait été donné bien plus tôt (11, 1-13). Là, partant de sa version du Notre Père, Luc avait surtout développé le sujet de la "demande", avec, notamment, une première parabole qui lui est propre, celle de l'homme sans gêne qui réveille son voisin au milieu de la nuit jusqu'à ce qu'il lui prête du pain. La parabole de la veuve qui tanne son juge jusqu'à ce qu'il lui rende justice en est presque la sœur jumelle ! l'idée de base est la même : il faut demander sans se lasser, sans se décourager, car "tout demandeur reçoit, qui cherche trouve, à qui toque il sera ouvert".

Puisque ce sujet de la "demande" semble central dans l'enseignement de Luc sur la prière, il peut être intéressant d'étudier sous cet angle notre parabole du jour qui vient à la suite. Cette parabole est archi-connue, elle aussi, et bien sûr nous pouvons remarquer déjà la différence d'attitude entre le pharisien qui se tient debout, tête haute, bien au vu et au su de tout le monde, pour déclamer son auto-panégyrique, tandis que le taxateur reste discret dans son coin, recroquevillé sur lui-même, et osant à peine s'adresser à son Dieu. Examinons encore les discours : si tous deux commencent par la même adresse "Ô Dieu !", c'est bien à peu près tout ce qu'ils ont en commun. Le pharisien se lance en effet à partir de là dans une litanie de "je", à quoi on comprend que ce Dieu n'a été invoqué là que comme faire-valoir de la seule personne qui compte vraiment pour lui : lui-même. On comprend alors que ce pharisien, avec une si haute opinion de lui-même, n'a absolument besoin de rien ! il est parfait : qu'aurait-il à demander de plus ? Par contraste, le taxateur, qui sait bien qu'il n'a rien d'intéressant pour se faire mousser à ses propres yeux, n'a-t-il qu'une seule chose à exprimer, évidemment une demande dans laquelle se résume toute l'image qu'il se fait de lui-même : "soit propice", pour moi qui ne suis rien.

Nous retrouvons ainsi cet autre thème, celui du malheur des riches. Ce pharisien, qui se sent si riche de sa personne, est par ce seul fait imperméable à toute influence, à toute évolution, possibles. Il n'y a aucune place, aucun interstice par lequel Dieu pourrait venir le toucher. Sa personnalité est un système clos sur lui-même, auto-suffisant, autarcique, sourd et aveugle à tout ce qui n'est pas lui et l'image qu'il s'est construite et de lui et de Dieu. Long monologue rempli de "je", sa prière qui ne s'adressait qu'à lui-même l'a évidemment laissé tel qu'en lui-même. Nous retrouvons donc aussi ce que nous disions sur la vraie prière, celle qui ne commence qu'à partir du moment où les mots cessent, où commence l'écoute. Car, quand Luc nous parle de "demander", il ne s'agit pas tant de demandes utilitaires, mais il s'agit plutôt de cette seule demande qu'est celle de notre taxateur du jour : se présenter nus et tout attendre de Dieu. "Soit propice !", vient m'emplir de ta grâce, donne-moi tout, car tout ce qui en moi est, sans toi n'est rien.

Qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas de nous mépriser. Il y a évidemment du pas très joli en nous, mais il y a certainement aussi du bon. Mais la question n'est pas là, dans la prière. La question est que nous ne nous enfermions pas seuls avec nous-mêmes, ni avec ce qui est plutôt bon — pour alors nous en enorgueillir, comme le pharisien —, ni avec ce qui est moins bon — pour alors en arriver à nous désespérer, et parfois nous y complaire aussi, même subtilement. Ce que nous sommes, bon et moins bon, est une chose, mais n'a pas tout son sens en soi, à soi seul. C'est ce que nous cherchons dans la prière : un autre point de vue, un autre moi, à la fois nous et autre, plus nous que nous-même, notre Soi, l'étincelle divine, l'Esprit fine pointe de notre âme, notre moi divin éternel. Sous son regard, nos "mérites" prennent leur juste place, celle de serviteurs qui n'ont fait que leur travail. Avec son aide, nos "défauts", même les plus profondément enracinés, se corrigeront aussi, en leur temps. C'est cette prière-là, où nous nous recevons du tout autre qui nous dépasse infiniment grâce à son Esprit qui est en nous, qui, seule, peut nous justifier, et nous élève.

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