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Jérémiades

Jeu. 20 Novembre 2014

Luc 19, 41-44 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Quand il est proche, voyant la ville,  il pleure sur elle et dit : « Si tu avais connu en ce jour, toi aussi, l'approche de la paix... Mais maintenant c'est caché à tes yeux. 

« Des jours viendront sur toi où tes ennemis érigeront des camps retranchés contre toi, ils t'encercleront, ils t'oppresseront de toutes parts. Ils te raseront jusqu'au sol, toi, et tes enfants en toi. Ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps de ta visitation ! » 

 

 

L'entrée triomphale à Jérusalem, par He-Qi

 

 

voir aussi : Au jugement de Dieu, Requiem pour une ville, Ville bien-aimée, Le prince de la paix, Destruction du temple

Le second paragraphe décrit le siège puis la destruction de Jérusalem en 70 par les romains. C'est ici, dans ce passage propre à Luc, que cet événement est relaté de la façon la plus précise, par rapport à ce qu'on peut trouver chez d'autres évangélistes. C'est, entre autres, sur de tels indices, que la recherche historico-critique se fonde pour déterminer la date de composition des différentes évangiles. Ici, en l'occurrence, on peut conclure que l'évangile de Luc n'a pas été écrit avant cette date de 70. On peut bien sûr contester ce genre de raisonnements, et croire, par exemple, en un Jésus devin ayant prévu un tel événement dans la suite de l'histoire après sa mort. Un tel Jésus, cependant, contredirait le Père qu'il nous a révélé, à savoir un Dieu qui nous laisse libres. Un tel Jésus supposerait, en effet, que l'enchaînement des événements qui ont mené à cette 'catastrophe' étaient écrits à l'avance. On serait pourtant bien en peine de définir que l'expansion de la foi en Jésus comme Messie après sa mort ait un rapport direct avec ces événements, que ce soit parce que cette expansion aurait été trop rapide et importante ou l'inverse. Le lien qui est fait ici, entre la destruction de Jérusalem et la non-adhésion d'une large, voire immense, majorité des juifs d'Israël à la messianité de Jésus, relève bien plus des arguments plutôt fallacieux qu'ont cherché à s'opposer les uns aux autres les pharisiens qui allaient fonder le rabbinisme, d'une part, et les futurs chrétiens, d'autre part, que d'une réalité objective quelconque.

Luc a placé cette censée réflexion de Jésus juste après l'arrivée triomphale à Jérusalem (que le découpage liturgique nous a fait sauter, cet épisode n'étant lu que le dimanche dit des rameaux), et juste avant que Jésus n'entre dans la ville. Cela produit un certain contraste, pour ne pas dire un contraste certain, entre cette foule venue l'acclamer, qui est encore là autour de lui, et l'affirmation que Jérusalem "n'a pas connu le temps de sa visitation" ! On peut imaginer une maladresse de la part de l'auteur, mais elle serait vraiment très grosse ! il semble plus vraisemblable qu'il a fait exprès d'avertir immédiatement le lecteur/auditeur de ne pas se laisser abuser par la manifestation d'enthousiasme de cette foule. Il n'y a que Luc qui ait agi ainsi, les trois autres évangélistes nous laissent dans le flou, jusqu'au procès, pour découvrir seulement à ce moment là une foule qui semble avoir retourné sa veste. Ceci tient sans doute à ce que seul Luc s'adresse à des communautés d'origine païenne, et n'a donc pas vraiment de raisons de ménager son public sur la versatilité de cette foule juive. Mais peut-être avait-il encore une autre raison de procéder ainsi. Ce retournement si radical d'une foule, passant des "Hosanna au Fils de David !" aux "À mort, crucifie-le !" en quelques jours a quand même de quoi nous interroger. Il est en réalité raisonnable de penser que ce ne sont pas les mêmes personnes qui se trouvaient là dans les deux scènes, et que l'arrivée triomphale a plutôt été le fait de Galiléens présents dans la ville à l'occasion des fêtes de la Pâque, tandis que ceux qui réclamaient la mort de Jésus, encouragés par le sanhédrin, étaient plutôt des Judéens obéissant à leurs autorités religieuses.

On peut enfin se demander si Luc est crédible en parlant de Jésus qui "pleure sur" Jérusalem. Autrement dit, au-delà de l'épisode qui est une mise en scène, quelle importance revêtait pour Jésus cette ville ? Sur ce point, il est vraisemblable que Luc ait raison. On sait que Jésus s'est très peu intéressé durant son ministère public aux 'nations', c'est-à-dire aux non-juifs. Mises à part quelques excursions ponctuelles dans des pays limitrophes, vite avortées, Jésus est resté concentré sur le territoire de son peuple, la terre promise. Quand il va entrer dans le Temple et en chasser les vendeurs, il s'attaque certes de front à la caste sacerdotale qui 'tient' ce Temple, mais il montre bien ainsi qu'il tient à l'édifice et à ce qu'il peut représenter ! et s'il a pu critiquer dans son enseignement, comme l'avait fait son maître Jean Baptiste, ceux qui pensent que les sacrifices peuvent remplacer une démarche personnelle et sincère visant à sanctifier son comportement quotidien dans la vie, il n'en reste pas moins qu'il semblait accorder une signification à cet assemblage de pierres qu'était le Temple. Il est possible que Jésus considérait qu'il abritait malgré tout une forme de la présence de Dieu. Ceci peut nous sembler étrange. Le christianisme a rompu depuis tellement longtemps avec le judaïsme, assimilant, comme le fait notre texte du jour, la destruction du Temple à un désaveu de la part de Dieu de la religion qui était centrée sur lui, qu'il nous semble évident que Jésus devait penser comme nous aujourd'hui. Rien ne me semble moins certain.

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