Partage d'évangile quotidien
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Quoi de neuf à Naïn ?

Mar. 17 Septembre 2013

Luc 7, 11-17 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Or, ensuite, il va dans une vile appelée Naïn. Et ses disciples font route avec lui, et une foule nombreuse. 

Il est proche de la porte de la ville, et voici : on portait en terre, mort, le fils unique de sa mère, et elle était veuve. Une foule de la ville, assez dense, était avec elle. 

Quand le Seigneur la voit, il est remué jusqu'aux entrailles pour elle. Il lui dit : « Ne pleure plus. » Il s'approche, touche le brancard. Les porteurs s'arrêtent. Il dit : « Jeune homme ! je te dis : éveille-toi ! » Le mort se dresse, assis, il commence à parler. Il le donne à sa mère. 

Une crainte les saisit tous, ils glorifient Dieu en disant : « Un prophète, grand, s'est éveillé parmi nous : Dieu a visité son peuple ! » Cette parole sort dans la Judée entière à son sujet et dans tout le pays d'alentour. 

 

 

Le matin de Pâque, par He-Qi

 

 

voir aussi : Mouvements de foules, Fils unique, Relevailles

Luc est le seul à relater cette réanimation du fils de la veuve de Naïn. Il vaut mieux ici parler de 'réanimation' que de 'résurrection' comme le font certains. Comme pour la fille de Jaïre et pour Lazare, les réanimations restituent la personne dans un état corporel de même nature que celui qu'elle avait avant son décès, contrairement à la résurrection de Jésus où son corps a subi une transformation radicale. Trois réanimations, donc, sont décrites dans les évangiles. La fille de Jaïre, épisode rapporté par les trois synoptiques, vient juste de décéder quand Jésus la rappelle à la vie. C'est un cas où on peut imaginer que l'entourage s'était seulement un peu précipité dans son constat de décès. Pour Lazare, que seul Jean relate, une telle supposition n'est plus possible, puisqu'on nous dit que cela fait quatre jours qu'il a été mis au tombeau, et qu'il "sent déjà". Pour le jeune homme d'aujourd'hui, on est entre deux. Il s'est déjà passé plus de temps, depuis le décès supposé, que pour la fille de Jaïre, puisqu'on en est à l'enterrement. Cependant, l'histoire ne manque pas de personnes qu'on a crues mortes, alors qu'elles n'étaient que dans un état cataleptique de mort apparente, et qui se sont réveillées dans leur tombeau. On peut fort bien vouloir minimiser ici la portée du geste de Jésus, il n'en reste pas moins que même provoquer une sortie de catalepsie n'est pas si évident que ça !

Au-delà de la réalité historique éventuelle de cet épisode, pourquoi Luc a-t-il tenu à le rapporter ? Nous venons de le dire, il rapporte par ailleurs l'épisode de la fille de Jaïre, cela aurait pu lui suffire s'il tenait à avoir une réanimation dans son récit. Mais cet épisode de la fille de Jaïre fait partie de tout un enchaînement qui commence par une traversée du lac avec une tempête apaisée, puis l'expulsion d'une myriade de démons dans des cochons, puis retour en Galilée où enfin se situe la réanimation de la jeune fille, intriquée avec la guérison d'une femme souffrant de pertes de sang. Or, d'une part Luc n'aime pas modifier l'ordre des épisodes tels qu'il les reçoit, et d'autre part il va enchaîner maintenant sur les doutes de Jean Baptiste au sujet de Jésus. Et dans la réponse que Jésus va faire donner à son ancien mentor, il va s'appuyer sur une énumération de signes prophétiques évoquant ce qui était attendu du Messie, et parmi ces signes figure "les morts ressuscitent" ! Voilà, c'est pour ça que Luc avait besoin de raconter une réanimation avant le passage qui va traiter des rapports entre Jésus et Jean Baptiste, pour appuyer la figure messianique qui en est un des arguments clés. Matthieu, qui a le même passage que Luc sur les rapports entre Jésus et Jean (et contrairement à Marc, qui ne l'a pas), n'y a sans doute pas prêté attention, chez lui non plus Jésus n'a pas encore réanimé la fille de Jaïre au moment où il parle des "morts qui ressuscitent", en sorte que l'affirmation reste virtuelle.

Maintenant que nous savons pourquoi Luc seul a cet épisode, et à ce moment de son récit, nous pouvons mieux en comprendre quelques aspects. Il est d'abord frappant que ce soit Jésus qui, de sa seule initiative, décide de réanimer le fils de la veuve. Normalement, les guérisons ou exorcismes sont initiés en premier par une demande extérieure formulée à Jésus : le lépreux s'était adressé à Jésus pour sa situation, les disciples de même en faveur de la belle-mère de Pierre, encore hier le centurion qui intercédait pour son garçon. Ici, rien de tel. Jésus arrive à la ville de Naïn, c'est lui qui s'enquiert de qui est le mort et du pourquoi d'une telle foule pour un enterrement, et c'est lui qui décide de procéder à la réanimation. Tout se passe donc comme si c'était ce grand cortège qui l'avait interpellé, comme si c'était ce symbole fort de la mort, la mort elle-même, qui lui avait ici posé question, une mort particulièrement dramatique puisque la mère va se retrouver, derrière les apparences trompeuses de la foule qui l'accompagne, absolument seule socialement, n'ayant plus de famille. Aussi ne sommes-nous pas surpris de retrouver notre vocabulaire de la résurrection : quand Jésus dit au jeune homme de se "réveiller", c'est bien sûr le verbe ἐγείρω qu'il utilise. Mais on le trouve encore où on ne l'y aurait pas attendu, à priori : quand les deux foules (celle qui suivait Jésus et celle qui accompagnait le mort) réunies s'écrient qu'aujourd'hui un grand prophète "s'est éveillé", c'est là aussi, très significativement, le même ἐγείρω qui est utilisé. C'est au jeune homme qu'il a été dit de se re-susciter, c'est Jésus qui l'a été, par Dieu, dans l'esprit des foules.

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