Partage d'évangile quotidien
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À la rue ?

Mar. 28 Janvier 2014

Marc 3, 31-35 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Viennent sa mère et ses frères. Ils se tiennent dehors et envoient vers lui, pour l'appeler. Une foule était assise autour de lui. Ils lui disent : « Voici ta mère, et tes frères, et tes sœurs, dehors, ils te cherchent. » 

Il répond et leur dit : « Qui est ma mère, et mes frères ? » Il regarde à la ronde ceux qui sont assis en cercle autour de lui, et dit : « Voici ma mère et mes frères : qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi frère, et sœur, et mère ! » 

 

 

Ruth et Noémie, par He-Qi

 

 

voir aussi : Le cercle des intimes, Famille élargie, Famille nombreuse, Liens du sang

Et revoici la famille de Jésus, sa mère et ses frères. Si Marc a fait mention d'eux avant l'épisode d'hier, celui où Jésus est soupçonné d'être sous l'emprise du démon, et qu'il revient maintenant à eux, ce n'est évidemment pas par pure coïncidence ! mais parce que justement cette famille-là, biologique, est du même avis que les scribes : Jésus n'est plus lui-même, il est possédé. C'est ce qu'ils disaient il y a deux jours : "il déraisonne", il a perdu la raison, ce qui, dans les mentalités de l'époque, signifie bien qu'un mauvais esprit s'est emparé de lui. Et quand Jésus annonce aujourd'hui que sa vraie famille ce sont ceux qui font "la volonté de Dieu", n'en déplaise à tous les exégètes qui se hâtent en général ici de nous 'suggérer' haut et fort que rien ne dit que Marie et les frères de Jésus n'en feraient pas partie, ils ont tort : il y a bien opposition, exclusion. À cette époque-là de sa vie, Jésus est en rupture avec sa famille. Non pas qu'il l'ait souhaité, mais ce sont les faits : ils ne croient pas en lui, en sa mission, en son ministère, aussi ne les reconnaît-il plus comme siens.

Alors, bien sûr, ce n'est pas dit aussi clairement, mais comment pourrait-il en être autrement ? Comment des évangélistes, qui écrivent plusieurs dizaines d'années après les faits, avec des objectifs de prosélytisme dans des sociétés où la famille est une valeur de base, une évidence, pour tous, pourraient-ils se permettre de souligner que Jésus a été, de son vivant, en rupture avec elle ? D'autant que ladite famille, au moins plusieurs de ses membres (Marie, Jacques, Jude, d'autres ?), fait partie de la première communauté des chrétiens de Jérusalem, et semble même l'avoir dirigée. C'est alors le contraire qui est donc surprenant, qu'on puisse encore comprendre que c'est ainsi que les choses se sont passées du vivant de Jésus. On note à ce sujet que la phrase la plus explicite, la phrase clé "Les siens sortent pour se saisir de lui, car ils disaient : il déraisonne", n'a pas été retenue ni par Matthieu ni par Luc. Ils la connaissaient pourtant certainement, et tous deux nous rapportent l'épisode avec les scribes qui accusent Jésus d'être un instrument du Démon, et tous deux rapportent aussi l'épisode d'aujourd'hui, mais qui, sans l'introduction que seul Marc a conservée, permettrait effectivement aux exégètes mentionnés ci-dessus de dérouler leur raisonnement, sinon à raison, au mois sans avoir forcément tort. On voit donc bien à l'œuvre une volonté de passer sous silence des faits qui dérangent.

D'une manière générale, quand on commence à entrer dans une étude attentive des évangiles, et qu'on se met à prendre conscience de tous ces faits, qui s'y trouvent, mais seulement à condition de faire abstraction de l'imagerie d'Épinal qui nous a été transmise par la suite, on pourrait être tenté, dans un premier temps, de considérer que ces textes sont disqualifiés par avance. On a envie de condamner leurs auteurs comme de vulgaires fraudeurs, qui ont monté de toutes pièces une légende avec des intentions plus ou moins avouables, plus ou moins ragoûtantes. Beaucoup en restent là, écœurés d'avoir été bernés dans leur enfance, mystifiés par des institutions qui, il faut le reconnaître, ne brillent pas toujours elles non plus par la clarté de leurs intentions. Je comprends qu'on puisse vouloir s'en arrêter là. Pourtant, à mon sens, si nous pouvons retrouver dans le texte tous ces indices qui nous permettent de remonter à une autre histoire, un autre sens, d'autres modalités du parcours de Jésus, c'est parce qu'il n'y a pas eu à proprement parler volonté explicite de falsifier, il n'y a pas eu invention pure et simple ex nihilo, mais seulement des hommes qui, avec leurs lacunes et leurs faiblesses, ont essayé de témoigner, du moins mal qu'ils pouvaient, de ce qu'ils comprenaient. Paradoxalement, c'est si on ne trouvait pas ces signes de leurs soumission à des impératifs d'ordre politique ou culturel, que les évangiles me sembleraient totalement suspects. Je préfère cent fois ça, personnellement, à un Coran censé avoir été dicté littéralement par un ange (ou à une Torah censée avoir été écrite lettre par lettre par un Moïse, ou à des évangiles censés être "parole d'évangile").

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