Partage d'évangile quotidien
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Tempête dans un verre

Sam. 1 Février 2014

Marc 4, 35-41 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Il leur dit en ce jour-là, le soir venu : « Passons de l'autre côté. » Ils laissent la foule et le prennent avec eux, tel qu'il était, dans la barque ; d'autres barques étaient avec lui. 

Survient un grand tourbillon de vent. Les vagues se jettent sur la barque, au point que déjà se remplit la barque. Et lui est à la poupe, sur le coussin : il dort. Ils le réveillent et lui disent : « Maître, tu ne te soucies pas que nous sommes perdus ! » Une fois éveillé, il rabroue le vent et dit à la mer : « Tais-toi, sois muselée ! » Le vent tombe, et survient un grand calme. 

Il leur dit : « Pourquoi êtes-vous terrifiés ? Vous n'avez pas encore de foi ! » Ils craignent d'une grande crainte, ils se disaient l'un à l'autre : « Qui donc est celui-là ? que même le vent, et la mer, lui obéissent ! » 

 

 

Silence ! Calme-toi !, par He-Qi

 

 

voir aussi : Terreurs enfantines, Tempêtes sous les crânes, Sommeil du juste, De plus en plus fort

C'est à tort que cet épisode est souvent intitulé la "tempête" apaisée. Aucun des trois synoptiques ne parle de tempête ! Marc, ici, rapporte un "grand coup de vent", suivi par Luc qui atténue pour ramener simplement à un "coup de vent", sans préciser 'grand'. Quant-à Matthieu, nettement plus grandiloquent, il parle d'un grand σεισμὸς (seismos), que beaucoup de traductions interprètent de fait comme une 'tempête', mais ce choix est très contestable, car dans les treize autres occurrences de ce mot dans le Nouveau Testament il s'agit toujours de tremblements de terre ! on ne voit donc pas pourquoi le mot aurait un sens différent ici. Matthieu est d'ailleurs un bon amateur de ce mot, puisqu'il l'utilise à quatre reprises – par rapport à Marc et Luc, une seule fois chacun –, notamment à l'occasion de l'ouverture du tombeau de Jésus, à la résurrection. Nous laisserons alors Matthieu avec sa manie de l'exagération bien orientale, et considérerons que le récit originel, sans préjuger de sa vérité historique, parlait 'simplement' d'un bon coup de vent soudain.

Alors, évidemment, l'histoire peut prendre un sens très différent de celui qu'on se représente habituellement ! Ceux qui ont quelque expérience de ce qu'est naviguer, comprendront ce qui se passe surtout dans ce genre de situation : ce n'est pas nécessairement l'événement lui-même qui est dangereux, mais la surprise qu'il provoque, et les réactions par forcément judicieuses qui s'en suivent. Pour le dire plus clairement, c'est la panique des uns ou des autres devant une gîte soudaine de l'embarcation qui peut les précipiter dans la mauvaise direction, aggravant dramatiquement les risques de naufrage.

Bien sûr, ceux qui tiennent absolument à un Jésus surhomme vont se désoler, voire se révolter, d'une telle suggestion... Comment ? tout ce qu'aurait fait alors Jésus, c'est de ramener tout le monde au calme et à la raison ? on nous parle d'un Jésus commandant au vent et à la mer, mais ce n'aurait été que l'impression qu'en ont eue les disciples, le coup de vent ayant cessé aussi soudainement qu'il s'était produit ? Oui, je crois personnellement que, si on veut sauver quelque chose de l'historicité de cet épisode, il faut se 'contenter' de ça. Il y a trop de raisons qui militent en ce sens. En premier que la grande majorité des signes accomplis par Jésus sont des guérisons/exorcismes, les autres étant tout au plus au nombre de six. Mais sur ces six, il convient encore d'éliminer tous ceux qui ne répondent pas à une situation de détresse, qui sont 'gratuits' en quelque sorte, s'apparentant plus à des tours de magie qu'autre chose, et qui ne servent finalement, soit qu'à nous montrer un Jésus habile ou puissant, comme on préfèrera (la pièce dans la bouche du poisson, le figuier desséché), soit qu'à illustrer une rhétorique hautement symbolique (les noces de Cana, la multiplication des pains, la marche sur les eaux). La 'tempête apaisée' se situe alors plutôt dans ce dernier groupe. Elle pourrait satisfaire pourtant au critère d'être une réponse à une situation désespérée, à condition d'avoir été vraiment une tempête, mais s'agissant simplement d'un fort coup de vent soudain, tout ce que risquaient les disciples n'était qu'un bain forcé et une fin de traversée un peu mouillés : un gros rhume ?

Le plus intéressant de l'histoire est plutôt : pourquoi les disciples ont paniqué. Pour la plupart, c'étaient des pêcheurs du lac, donc navigateurs expérimentés, qui n'auraient pas dû réagir comme ils l'ont fait. À moins qu'ils n'aient été perturbés par autre chose. Ils devaient avoir l'esprit préoccupé, pour s'être fait surprendre ainsi. Et effectivement, ils étaient en train de se rendre "de l'autre côté". Ceci ne veut pas dire "de l'autre côté de la mort", quoique le symbolisme de l'eau soit évidemment présent, mais bien plus concrètement, ici, de l'autre côté du lac signifie hors de Galilée, hors d'Israël même : en pays païen. Et nous verrons lundi qu'ils avaient de bonnes raisons d'être inquiets, puisque Jésus va affronter plusieurs milliers de démons ! Voilà le fond de l'histoire...

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