Partage d'évangile quotidien
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Y'a du boulot

Sam. 29 Août 2015

Matthieu 25, 14-30 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« C'est comme un homme qui part au loin : il appelle ses serviteurs et il leur livre ses biens. À l'un, il donne cinq talents, à un autre, deux, à un autre, un : à chacun selon sa propre possibilité. Et il part au loin. Aussitôt, celui qui a reçu les cinq talents va œuvrer avec : il gagne cinq autres ! De même, celui des deux : il gagne deux autres ! Celui qui a reçu un seul s'en va, fore un trou en terre et cache l'argent de son seigneur. 

« Après beaucoup de temps, vient le seigneur de ces serviteurs. il règle ses comptes avec eux. S'approche celui qui a reçu les cinq talents. Il présente cinq autres talents en disant : “Seigneur, c'est cinq talents que tu m'as livrés. Voici cinq autres talents que j'ai gagnés.”  Son seigneur lui dit : “Bien, serviteur bon et fidèle ! Sur peu, tu as été fidèle : sur beaucoup, je t'établirai. Entre dans la joie de ton seigneur !”  S'approche aussi celui des deux talents. Il dit : “Seigneur, c'est deux talents que tu m'as livrés. Voici deux autres talents que j'ai gagnés.”  Son seigneur lui dit : “Bien, serviteur bon et fidèle ! Sur peu, tu as été fidèle : sur beaucoup, je t'établirai. Entre dans la joie de ton seigneur !”  S'approche aussi celui qui a reçu un unique talent. Il dit : “Seigneur, je te connais comme un homme dur : tu moissonnes où tu n'as pas semé, tu rassembles d'où tu n'as pas dispersé. J'ai craint : je suis allé cacher ton talent dans la terre. Voici : tu as ce qui est tien !” 

« Son seigneur répond et lui dit : “Mauvais serviteur, et fainéant ! Tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, que je rassemble d'où je n'ai pas dispersé. Tu devais donc placer mon argent chez les banquiers. Et, à ma venue, moi, j'aurais recouvré ce qui est mien, avec un intérêt. Prenez-lui donc le talent et donnez à celui qui a les dix talents ! Car : à tout homme qui a, il sera donné, et il aura du surplus. Mais à qui n'a point, même ce qu'il a lui sera pris ! Et le serviteur inutile, jetez-le dehors, dans la ténèbre extérieure : là sera le pleur, le grincement des dents ! » 

 

 

Jonas et la baleine, par He-Qi

 

 

voir aussi : Au boulot !, Politique de l'autruche, Intérêt et capital, Bourses du mérite, Un homme dur

"Œuvrer" : voilà sans doute le mot le plus important dans cette petite histoire par laquelle nous terminerons, pour cette année, notre lecture de Matthieu. On n'y fait sans doute pas attention, parce qu'il est question d'argent, ce qui a automatiquement tendance à nous entraîner sur le terrain de l'être et de l'avoir. Et puis, quand on nous parle de faire fructifier de l'argent, c'est aussi automatique, nous pensons placements financiers et autres opérations boursières. Mais ce n'est pas du tout ce dont il s'agit ici ; ce n'est pas ainsi que les deux "bons" serviteurs ont procédé pour doubler leur mise. Ça, c'est ce que le maître explique au "mauvais" serviteur : il aurait pu au moins mettre cet argent à la banque. Mais ce n'est donc pas ainsi que les deux autres ont fait fructifier leurs "talents" ; ce n'est pas en les prêtant à intérêt, ce n'est pas en jouant à leur tour le même rôle que leur patron. Car enfin, l'argent ne peut pas rapporter de l'argent par lui-même, s'il n'y a pas quelqu'un, quelque part, qui y apporte sa sueur ! Et c'est ça qu'ont fait nos deux "bienheureux". Ils ont utilisé cet argent pour entreprendre quelque activité bien concrète, dont ils ont pu ensuite retirer plus de bénéfices que ce qu'ils avaient investi.

"Œuvrer" ! Nous nous laissons parfois emporter dans cette alternative qui fait couler beaucoup d'encre : être ou avoir. Mais il y a ce troisième terme qui permet de la dépasser dans ce qu'elle peut avoir de stérile, aussi : faire. S'il est certain que nous ne pouvons pas plus nous réduire à nos possessions qu'à nos actions, ces dernières cependant nous définissent bien plus sûrement que les premières. C'est en forgeant qu'on devient forgeron, c'est en faisant qu'on entre dans le Royaume. Non pas en faisant n'importe quoi, non plus, n'exagérons pas. Mais pas plus en restant là à attendre que ça nous tombe tout cuit du ciel. Il est certain qu'il est nécessaire de savoir garder un minimum de recul sur notre vie, et parfois même de prendre carrément toutes ses distances. Il est certain que la pratique régulière de tels temps de retrait — que ce soit dans la méditation, l'oraison, ou tout ce qu'on voudra — serait plutôt une bonne chose. Nous avons besoin d'alterner. Mais il s'agit justement d'alterner, pas de fuir le monde et ses activités dans une sorte de tour d'ivoire où rien ne pourrait nous atteindre... Le Royaume n'est pas en-dehors du monde, mais il est une manière d'être pleinement présent au monde tout en en étant parfaitement détaché.

On peut être parfois énervés par Matthieu, par son discours souvent très moralisateur, un peu au ras des pâquerettes, encore fortement englué dans une espérance très terre-à-terre, qu'il a héritée de son judaïsme d'origine. C'est Matthieu qui affirme sans rire que "pas un accent de la Torah" ne doit être négligé, comme si la lettre pouvait avoir plus d'importance que l'esprit, comme si la Bible avait été écrite directement par le doigt de Dieu. Mais on doit aussi profiter des avantages de l'inconvénient ! Matthieu reste aussi les pieds bien ancrés sur terre, contrairement à Jean, par exemple (là, c'est évident), ou même Luc, qui peut faire preuve d'un certain angélisme, dans le genre "tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil". C'est chez Matthieu qu'on trouve la description d'un jugement dernier où seuls compteront les actes concrets que nous aurons accomplis, et non les discours ni les grandes illusions sur notre si grande piété. C'est bien dans le même sens qu'il nous faut lire aussi cette parabole : si nous restons sur le bord du chemin, dans notre vie, si nous nous contentons de la rêver ou de l'imaginer, de nous regarder avec complaisance ou au contraire en nous plaignant de tout, elle n'aura servi à rien.

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