Partage d'évangile quotidien
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Hypothèse haute

Mer. 11 Mars 2015

Matthieu 5, 17-19 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Ne pensez pas que je vienne détruire la loi ou les prophètes. Je ne viens pas détruire, mais accomplir. Car : amen, je vous dis, tant que ne seront passés le ciel et la terre, un seul i, un seul trait de la Loi ne passera, que tout ne soit arrivé. 

« Aussi qui enfreindra l'un de ces commandements les plus petits, et enseignera cela aux hommes : ‘Le plus petit’ sera-t-il appelé au royaume des cieux. Qui fera et enseignera, celui-là : ‘Grand’ sera-t-il appelé au royaume des cieux. » 

 

 

Les dix commandements, par He-Qi

 

 

voir aussi : La loi c'est la loi ?, La fin de tout, Qui veut la fin ?, Au-dessus des lois, L'esprit des lois, Tout est bon, Proprement caballistique !, L'esprit de la lettre ?, A la lettre

Nous avons ici la conception matthéenne de la Loi dans toute sa splendeur, c'est le passage où il met les points sur les 'i' — c'est de circonstance — : "pas un seul iota, pas un seul signe diacritique". Le iota grec (ι), comme le yod hébreu (י), comme notre i, sont dans chacun de ces alphabets la plus petite des lettres, d'un point de vue graphique, celle qu'une lecture hâtive ou défaillante pourrait le plus facilement omettre. Encore plus petits et cruciaux, cependant, sont les signes diacritiques, cruciaux particulièrement en hébreux où il n'existe pas de lettres voyelles, et où ils sont alors le seul moyen, parfois, de lever des ambiguïtés, comme par exemple avec le fameux "chameau" censé devoir passer par le chas d'une aiguille, alors qu'avec une autre voyellisation le chameau devient un "câble", dont on comprend mieux la difficulté à l'enfiler dans cette aiguille...

Quoi qu'il en soit, voilà donc l'idée : rien n'est à négliger dans la Loi, tout a son importance. On ne parle bien sûr pas ici de la Loi au sens du seul décalogue, mais même pas non plus du seul pentateuque, puisque "les prophètes" aussi sont de la partie : c'est donc bien l'ensemble du corpus doctrinal qui est concerné, et, dans tout cet ensemble, tout est à respecter scrupuleusement dans les moindres détails. Ce n'est pourtant pas forcément à une lecture "littéraliste" de tout ce corpus, que Matthieu appellerait ! il ne faut pas faire de Matthieu le vilain fondamentaliste par opposition au gentil libéraliste que serait Luc par exemple. Notre texte du jour est la déclaration d'intentions qui va être suivie tout-de-suite (5, 20-48) par la série des "on vous a dit... et moi je vous dis...", dont nous avions eu quelques exemples il y a peu, avec notamment l'amour des ennemis... Il n'y a aucun doute que cette morale exposée par Matthieu nous propose un modèle qui va infiniment plus loin que la seule morale exposée dans "la loi et les prophètes", en sorte qu'on peut bien dire que, loin d'abroger quoi que ce soit, au contraire, elle "accomplit", elle porte cette Loi à sa perfection.

Matthieu a donc absolument raison, Jésus nous appelle à rien de moins qu'à une perfection inouïe : "soyez parfaits comme votre père du ciel est parfait" sera d'ailleurs la conclusion de tout ce passage. Ceci est absolument juste, et nous devons au moins nous laisser pénétrer de l'idée et qu'elle devienne bien claire pour nous. Nous sommes appelés à aimer jusqu'à nos ennemis. Dans le domaine de la sexualité, nous sommes appelés à un respect de l'autre jusqu'à ne pas même le regarder avec concupiscence. Tous nos sentiments, toutes nos pulsions, sont appelés à être "évangélisés", jusqu'à leurs racines. Tel est le but, et, en toute objectivité, comment ne pas y adhérer ? Objectivement, c'est bien là un idéal auquel nous pouvons souscrire. Subjectivement, c'est une autre paire de manches, et c'est sans doute là le seul reproche qu'on puisse faire à Matthieu : nous faire saliver pour un objectif si élevé, en laissant entendre qu'il ne dépendrait que de notre volonté d'y atteindre. Matthieu a raison de ne pas rabaisser notre idéal à une morale ordinaire ("les païens n'en font-ils pas autant ?"), il a tort de laisser croire qu'il serait accessible à nos seules forces. Les reproches de Paul à la Loi valent aussi pour la super-Loi de Matthieu. Cette super-Loi est une bonne chose, mais elle n'est pas la bonne nouvelle, seulement sa conséquence.

La bonne nouvelle, c'est encore Paul qui l'explique, c'est la Grâce. C'est elle seule qui nous permettra d'atteindre une telle perfection. C'est en nous découvrant très concrètement fil(le)s de Dieu que cet idéal nous devient alors accessible. Ce qui ne veut pas dire que, d'ici là, nous pouvons laisser tout ça de côté ! Bien sûr que non, cet idéal, inaccessible aux seules forces de notre moi ordinaire, est pourtant aussi le seul chemin par lequel notre Soi divin peut se révéler à nous. On pourrait dire : "aide-toi, le ciel t'aidera". L'erreur de Matthieu, et de toute une certaine morale dans les églises, est de présenter cet idéal comme si c'était à nous seuls de nous débrouiller pour l'atteindre. Ceci ne peut évidemment que provoquer de la rancœur ou du scepticisme. Il n'est pas faux qu'il nous soit demandé de faire tout notre possible par nous-mêmes dans cette direction. Il est faux de nous laisser croire que le but serait accessible sans l'Esprit. Mais les églises savent-elles encore ce qu'est vraiment l'Esprit ?

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