Partage d'évangile quotidien

Cette grande prière de Zacharie, le 'Benedictus' selon le premier mot par lequel elle commence en latin, contrairement à ce qu'on aurait pu s'attendre, parle en fait très peu de Jean, son enfant, et même quand elle parle de lui c'est en rapport avec Jésus et Dieu. Jean sera donc appelé prophète "du Très-Haut", il marchera "devant, en face du Seigneur", pour proclamer un "salut" qui, lui, ne sera donné effectivement que par Jésus. Tout le reste parle directement de Jésus lui-même. Il est très significatif que toute la première moitié de la prière lui soit consacré, avant que Zacharie n'en vienne à penser au "petit enfant" qui est là, sous ses yeux. On rejoint l'idée exprimée par l'évangile de Jean (3, 30), mise dans la bouche du Baptiste : "Lui doit croître, et moi diminuer", mais en allant encore plus loin, puisque c'est dès sa naissance que Jean Baptiste est complètement effacé derrière celui dont il n'est que l'annonceur. Nous avons vu que Luc est même allé encore plus loin, lors de la visitation, suggérant une reconnaissance de Jésus par Jean avant même sa naissance.

La réalité a été évidemment très différente. Jean était un parmi de nombreux 'prophètes' qui surgissaient à une époque où le judaïsme n'avait rien d'un monolithisme tel que nous pouvons, à tort, l'imaginer. Il était loin d'être le seul à contester l'institution du Temple aux mains des sadducéens, comme en témoigne le succès qu'il a certainement eu. Il ne s'est sans doute pas considéré lui-même comme étant le Messie, mais beaucoup de ceux qui se sont laissés toucher par lui ont dû y penser à sa place, tel Jésus qui, au départ, n'a été qu'un parmi d'autres de ses disciples. En ce sens, bien sûr, Jean a été le précurseur : il a été le maître, qui a initié Jésus, avant d'être dépassé par son élève, et même complètement largué. Rétrospectivement, il est parfaitement exact que Jean a diminué, tandis que Jésus croissait. Qu'il l'ait fait volontairement est déjà plus sujet à caution, quand on pense aux réserves qu'il lui a fait transmettre depuis sa prison. Il est vraisemblable, si Jean ne se considérait pas lui-même comme le Messie, qu'il prédisait par contre sa venue, et il est possible qu'il ait envisagé un temps que Jésus pourrait l'être. De là à ce qu'il l'ait su à l'avance, c'est plus que douteux.

Nous mesurons alors l'improbabilité radicale de tout ce récit de Luc sur les origines de Jean. Parents âgés, apparentés à Marie, apparition de l'ange à Zacharie, visitation : imagination débridée. Plus ennuyeux encore : étant donné le parallélisme constant entre ces origines de Jean et celles de Jésus, toute l'histoire bâtie par Luc pour ce dernier devient elle aussi très suspecte. Luc a construit une très belle légende, à la manière des contes orientaux, il était une fois... Ce qui ne veut pas dire que la légende n'ait rien à nous transmettre. Faire remonter la subordination de Jean à Jésus jusque dans les ventres respectifs de leurs mères est vrai sur le fond, et même nécessaire. Le message de Jésus est réellement allé infiniment plus loin que celui de Jean ! nul doute qu'aujourd'hui Jean en conviendrait, et qu'il en aurait aussi convenu dès ses origines lointaines s'il en avait eu l'occasion et en avait été capable à cet âge si tendre de foetus de cinq mois... Quant aux origines de Jésus, nul doute qu'il a été conçu comme tous les enfants par l'union de son papa Joseph et de sa maman Marie, nul doute qu'il est né anonymement quelque part en Galilée sans que personne n'en sache rien. Mais nul doute que la légende dit vrai aussi : même conçu comme tout le monde, cette conception a pourtant été en même temps exceptionnelle, et de quoi nous parle l'étable de Bethléem, sinon d'une naissance ignorée de tous, encore plus que si elle avait eu lieu dans le bourg d'origine des ses parents ?

Aussi : bonnes et saintes fêtes de la nativité à tous ! qu'elles nous permettent, chacun, "d'adorer dans la piété, en sa présence, pour tous nos jours", qu'elles nous éclairent, nous qui sommes "dans la ténèbre et l'ombre de la mort", qu'elles nous mènent "sur un chemin de paix".