Partage d'évangile quotidien
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Signe révélateur

Mar. 13 Janvier 2015

Marc 1, 21-28 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Ils pénètrent à Capharnaüm. Aussitôt, le sabbat, il entre dans la synagogue, il enseigne. Ils étaient frappés par son enseignement, car il enseignait comme ayant autorité et non comme les scribes. 

Aussitôt : il y a, dans leur synagogue, un homme avec un esprit impur. Il vocifère. Il dit : « Qu'est-ce de nous à toi, Jésus le Nazarène ? Tu es venu nous perdre ! Je sais qui tu es : le saint de Dieu ! » Jésus le rabroue et dit : « Muselle-toi ! Sors de lui ! » L'esprit, l'impur, le convulse, crie un grand cri et sort de lui. 

Ils s'effraient tous, si bien qu'ils discutent entre eux, ils disent : « Qu'est-ce que c'est ? Un enseignement neuf ! Plein d'autorité ! Même aux esprits, aux impurs, il commande ! Et ils lui obéissent ! » Aussitôt sa renommée sort partout, dans tout le pays autour de la Galilée. 

 

 

L'enfant Jésus au Temple, par He-Qi

 

 

voir aussi : Premiers signes, Visite à la synagogue, Esprit inopportun, Un homme, un esprit, Quelle autorité !

Après les préliminaires d'hier — annonce de la venue de Jésus en Galilée et appel des quatre premiers disciples (bien qu'en réalité ces quatre-là étaient sans doute plutôt dans le cercle des disciples de Jean Baptiste, et sont simplement revenus de Judée avec Jésus) — nous entrons dans le vif du ministère, avec le récit (aujourd'hui et demain) de cette première journée à Capharnaüm. Comme on peut s'en douter, ce récit a une portée symbolique, il s'agit plus d'une sorte de manifeste, un programme de ce que sera ce ministère de Jésus, que d'une journée qui aurait effectivement eu lieu telle quelle. À commencer par le choix de la ville : Capharnaüm. On peut être surpris qu'en revenant de Judée, Jésus ne se soit pas rendu dans son supposé village natal, Nazareth. Mais la raison principale en est que ces premiers disciples avec lesquels il est revenu de Judée sont originaires de Capharnaüm ou des environs. Capharnaüm a effectivement été le lieu central pendant le ministère en Galilée, et même, plus précisément, la maison de Pierre et André, qui a fait office de Q.G. pendant toute cette période. Quand les synoptiques nous disent régulièrement que Jésus était "à la maison", ou qu'il rentrait à ou sortait de "la maison", c'est de cette maison-ci qu'il s'agit.

Il était donc normal que cette première journée soit censée se dérouler à Capharnaüm, c'est la réalité, le ministère de Jésus a commencé dans cette grosse bourgade située au bord nord de la mer de Galilée. Avoir choisi un sabbat est par contre déjà plus symbolique. Il s'agit évidemment de se situer dans une perspective religieuse (le message de Jésus est spirituel avant tout, les implications politiques viennent dans un second temps), et, important aussi, de se situer en continuité avec le judaïsme : faut-il rappeler que le gros des troupes des premiers 'chrétiens' sont avant tout des juifs, avec seulement la particularité de croire que Jésus les a introduits dans le Royaume. Ces premiers 'chrétiens' sont une des branches du judaïsme, parallèle aux branches pharisienne, sadducéenne, essénienne, etc... Ceci vaut tant pour la source Q, que pour les évangiles de Marc, Matthieu et Jean. Jésus, donc, tout du long de son ministère, utilise naturellement cette structure du judaïsme qu'est l'institution synagogale. C'est normal, il est juif, et comme tous les juifs, au moins ceux qui sont éloignés géographiquement du Temple, la synagogue est le lieu normal où se vit sa foi. Tous les sabbats, Jésus et ses disciples se rendent à l'office, et Jésus, tant parce qu'il avait reçu dans sa jeunesse une instruction religieuse bien au-dessus de la moyenne, que, par la suite, du fait de sa réputation, est systématiquement invité à faire la lecture du texte prévu pour le jour, ainsi que le commentaire qui suit.

Sur ce point, donc, notre récit du jour nous parle encore de ce qui était l'ordinaire de Jésus, chaque sabbat. La suite par contre, elle, devient maintenant pleinement symbolique : ce possédé est là, d'une part pour appuyer et montrer à quel point Jésus "enseignait avec autorité", et d'autre part pour que Marc puisse nous donner tout de suite la clé, le 'secret', de tout son évangile : Jésus est "le saint de Dieu". L'autorité de l'enseignement de Jésus signifie déjà, en soi, qu'il ne se contentait pas de répéter des argumentations toutes reçues, ni même de se lancer dans des exégèses basées sur d'autres passages des Écritures. Nous en avons un très bon exemple dans le sermon sur la montagne de Matthieu, avec la série des "on vous a dit que..., et moi je vous dis...". Jésus donne un enseignement qui innove. Cet enseignement n'est pas non plus "hors-sol", il y a une logique et une cohérence avec le judaïsme qu'il a reçu, et il est capable de se justifier si on l'engage dans une controverse. Mais le fait est là, ce qu'il enseigne frappe les esprits comme étant un ton, des idées, nouveaux, et nul doute que cette nouveauté lui vient de son expérience 'mystique' de relation avec le Père. L'auditoire comprend que la parole de Jésus n'est pas une parole morte qui ne fait que ressasser, Jésus a une parole de vie parce qu'elle est en accord profond avec sa propre vie, et c'est ce qui permet à cette parole de pouvoir même donner la vie à d'autres, tel ce possédé du jour, tels les malades et infirmes que nous verrons demain.

Deuxième objectif de cet exorcisme : nous révéler que Jésus est "le saint de Dieu". On dit de l'évangile de Marc qu'il serait l'évangile du "secret messianique". Tout du long de cet évangile, effectivement, Jésus recommande à ceux qu'il guérit de ne pas en parler. On peut remarquer à ce sujet, en premier lieu, que si Matthieu et Luc nous rapportent moins souvent ce fait que Marc, c'est sans doute surtout parce qu'ils ont trouvé que cette répétition devenait lourde à la longue... Ensuite, que, dans les cas de guérisons de maladies ou infirmités, ce secret demandé par Jésus n'a rien d'explicitement 'messianique' : Jésus voudrait simplement que les bénéficiaires restent discrets, ce qui peut se justifier d'une part parce qu'il ne souhaitait pas que se développe autour de lui cette agitation qui finira par inquiéter effectivement le sanhédrin de Jérusalem, et d'autre part parce qu'en agissant ainsi ces bénéficiaires montraient qu'ils s'attachaient à l'aspect tout extérieur de ce qui leur était arrivé, et non à sa signification spirituelle. Enfin, dans le cas des exorcismes, on peut se demander encore si le secret demandé était bien 'messianique'. L'expression que nous avons aujourd'hui ne nous permet pas, en tout cas, de conclure en ce sens. "Le saint de Dieu" est en effet une formule très vague, qui peut signifier beaucoup de choses, et qu'on ne retrouve d'ailleurs (mis à part le parallèle de ce passage en Luc 4, 34) qu'une seule autre fois dans tout le "nouveau testament", en Jean 6, 69.

Ce fait à lui seul, que Marc, dans ce passage fondateur de son évangile où il veut nous révéler dès le début qui est ce Jésus dont il va raconter la saga, n'utilise justement pas le terme précis de "messie" mais cette formule beaucoup plus vague de "saint de Dieu", ne peut que nous poser des questions sur quelle était la théologie réelle de l'auteur. Nous avons ici pour le moins un indice très fort que Marc était sans doute resté très proche de la théologie de la source Q, pour laquelle la question de savoir si Jésus était le Messie n'était pas importante (et encore moins la question de savoir s'il était le Fils de Dieu, voir le billet d'hier). C'est un sujet auquel nous nous efforcerons de rester attentifs dans la suite de notre lecture suivie de Marc, cette année.

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