Partage d'évangile quotidien
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Secrets de famille

Mar. 22 Juillet 2014

Matthieu 12, 46-50 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Il parle encore aux foules, voici : sa mère et ses frères se tiennent dehors, ils cherchent à lui parler.  Quelqu'un lui dit : « Voici : ta mère et tes frères se tiennent dehors, ils cherchent à te parler. » 

Il répond et dit à celui qui lui parle : « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? »  Il tend sa main vers ses disciples et dit : « Voici ma mère et mes frères : Car celui qui fait la volonté de mon père qui est dans les cieux, lui est pour moi frère, et sœur, et mère ! » 

 

 

Le manteau de Joseph, par He-Qi

 

 

voir aussi : De père connu, Esprit de famille, Famille adoptive, Famille recomposée

Dernière péricope pour finir ce chapitre 12 de Matthieu, dont il faut reconnaître qu'il a pris toutes les apparences d'un bric-à-brac, fourre-tout dans lequel il serait malaisé de déceler un ordre ou un fil conducteur, raison pour laquelle la liturgie nous en a omis de grandes parties. On ne sait pas trop pourquoi Matthieu nous rapporte cet épisode avec la famille de Jésus, si ce n'est qu'il a quand même plus ou moins suivi le chapitre 3 de Marc, en l'intercalant de morceaux de la source Q, et on se dit alors qu'il n'a peut-être pas osé supprimer carrément cette histoire embarrassante ? En tout cas, il l'atténue autant qu'il peut. Chez Marc, la mère et les frères de Jésus ne sont pas venus pour "lui parler" mais pour l'emmener ! Ils ne sont pas là juste pour lui faire passer un message de la part de sa bonne vieille tante, comme on pourrait à la rigueur le supposer avec Matthieu, mais ils le cherchent, tout court, ils lui font dire de sortir et venir vers eux. Et Marc avait aussi expliqué un peu plus tôt que "les siens voulaient se saisir de lui, disant qu'il avait perdu la tête"... Tout ce contexte a donc disparu chez Matthieu, plus rien ne nous parle d'une quelconque incompréhension de la famille de Jésus motivant leur présence. Qui sait, peut-être est-ce juste qu'ils passaient dans les parages et qu'ils ont eu envie de lui faire un coucou ?

Alors, évidemment, la réponse de Jésus peut prendre aussi un tout autre sens. Chez Marc, on peut presque l'entendre comme une déclaration de guerre (famille, je vous hais), ou au moins une fin de non-recevoir. Jésus n'a plus de famille de sang, alors que c'est la base de sa culture. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils sont venus, justement parce qu'ils se sentent responsables de lui, c'est de la solidarité qu'ils expriment en voulant le ramener avec eux pour l'empêcher de faire encore plus de bêtises qu'il n'en a déjà faites. Ceci ne nous permet donc pas de minimiser d'aucune façon le différend qu'il y a eu entre Jésus et sa famille biologique. Famille qu'on retrouvera pourtant gérant la première 'Église', à Jérusalem, dans ce qui semble donc bien avoir été une dynastie fondée sur le droit du sang ! Pierre ne supportera pas d'être ainsi évincé de fait, ira tenter sa chance du côté des communautés pauliniennes, où il ne réussira pas plus à s'imposer, et nous ne savons pas ce qu'il deviendra par la suite. On croit rêver quand on nous parle encore de succession apostolique... Mais revenons à nos moutons. Chez Matthieu, donc, la réponse de Jésus ne sonne pas du tout comme chez Marc. C'est en s'appuyant sur Matthieu qu'il est possible de tenir le raisonnement habituellement tenu pour minimiser la portée de cette réponse. Ici, effectivement, la famille biologique de Jésus peut très bien faire partie de "ceux qui font la volonté de son père du ciel", puisqu'on ignore tout des raisons de leur présence.

Reste quand même ce critère-là, précis, sur la famille spirituelle de Jésus : faire la volonté du Père. Ce que certains ne manqueront pas d'interpréter comme signifiant reconnaître Jésus comme le Fils de Dieu, ou le Messie, ou je ne sais quoi encore. Bien sûr que Jésus désigne ici ses disciples, donc des gens qui le suivent. Mais lui-même, à quoi voulait-il les amener ? souhaitait-il qu'ils restent ainsi à vie dépendants de lui, ou au contraire n'était-ce pas juste le temps qu'ils apprennent par eux-mêmes qui est le Père et prennent ensuite leur essor ? Nous avons du mal à raisonner en ces termes, tant le seul deal qui nous a été proposé pendant des siècles consistait en, soit Jésus Dieu, soit aucun intérêt. Or, cette soit-disante alternative dont on ne pourrait sortir se révèle fausse de plusieurs points de vue. En premier, que si on examine correctement les évangiles, on s'aperçoit bien que le seul objectif de Jésus était d'orienter vers le Père, et non vers lui. Jésus s'efface toujours devant son Père. Même chez Jean, comme nous l'avons vu quand nous le parcourrions entre Pâque et Pentecôte, où le discours à trois étages disciples/Jésus/Père, finit par s'effacer pour un rapport direct entre les disciples et le Père avec l'annonce de la venue de l'Esprit. Et quand nous acceptons d'entrer dans cette perspective, alors Jésus prend une épaisseur, une densité, il prend vraiment chair pour nous. À ce moment seulement nous pouvons dire qu'il est notre frère en humanité. Il quitte le piédestal qu'on lui a érigé, mais il devient vrai.

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