Celui qui le dit...
« Malheureux, vous, scribes et pharisiens ! Hypocrites ! Vous fermez le rouaume des cieux devant les hommes : car vous, vous n'entrez pas, et ceux qui entrent, vous ne laissez pas entrer !
« Malheureux, vous, scribes et pharisiens ! Hypocrites ! Vous parcourez la mer et le sec pour faire un seul prosélyte ; et quand il l'est devenu, vous en faites un fils de la géhenne deux fois pire que vous !
« Malheureux, vous, guides aveugles qui dites : “Jurer par le sanctuaire n'est rien, jurer par l'or du sanctuaire oblige.” Fous et aveugles ! Voyons ! Qui est le plus grand : l'or, ou le sanctuaire qui sanctifie l'or ? Et : “Jurer par l'autel n'est rien, jurer par le présent qui est dessus, oblige.” Aveugles ! Voyons ! Qui est le plus grand : le présent, ou l'autel qui sanctifie le présent ? Qui donc jure par l'autel jure par lui et par tout ce qui est sur lui. Qui jure par le sanctuaire jure par lui et par Celui qui l'habite. Et qui jure par le ciel jure par le trône de Dieu et par Celui qui est assis sur lui. »
voir aussi : La fête aux pharisiens, La source de tous les maux, Miséritudes
Nous savons en réalité très peu de choses sur le pharisaïsme du temps de Jésus, en-dehors de ce que nous disent les évangiles. Si nous nous basions sur ce seul chapitre 23 de Matthieu, et les quelques autres charges du même tonneau qu'on peut trouver de ci de là (ce qu'ont fait les chrétiens pendant des siècles et des siècles), bien sûr nous les jugerons sévèrement. Mais nous avons vu, depuis quelques mois que nous suivons le texte de Matthieu, que les choses ne sont certainement pas aussi simples que ça. Nous serons donc prudents en lisant ces malédictions, sachant qu'il n'est pas forcément facile de comprendre à quoi elles faisaient vraiment allusion, et nous efforcerons plus d'en tirer des leçons pour nos propres comportements que de nous fixer sur une reconstitution trop hasardeuse du pharisaïsme.
"Vous fermez la porte du Royaume et empêchez d'y entrer" : nous devons sans doute comprendre ici que les pharisiens sont accusés d'imposer un modèle religieux faussé. Leurs conceptions sont erronées, ils ne peuvent donc entrer dans le Royaume, et comme ils se posent en guides pour le peuple, ils l'égarent par la même occasion. Il est certain que c'était une des prétentions des pharisiens, que de détenir la bonne façon de lire la Torah. Mais ni plus ni moins que les autres 'partis' de l'époque. Pharisiens, sadducéens, esséniens, tous avaient leur lecture des Écritures, leur compréhension de leur religion, et prétendaient, évidemment, qu'eux seuls étaient dans le droit chemin. Ce qui est vrai, par contre, c'est que c'étaient les pharisiens qui avaient, et de loin, la plus forte influence sur le peuple. Les sadducéens avaient le pouvoir, mais se contentaient de 'régner' sur leur fief de Judée, voire sur Jérusalem seule, n'ayant que peu de considération, sinon du mépris, pour le peuple. Les esséniens vivaient sur le mode sectaire, repliés sur leurs communautés censément isolées et protégées du 'mal', avec sans doute quelques sympathisants "dans le monde", mais tout ceci ne représentait qu'une forte minorité. Les zélotes pouvaient éventuellement bénéficier d'un soutien logistique et de cœur non négligeable dans la population, mais ils n'avaient pas non plus à proprement parler de doctrine, ils étaient juste partisans d'une action armée contre l'occupant. La grande majorité du peuple juif était donc plutôt sous l'influence des pharisiens, à travers leur réseau de synagogues qui maillait tout le territoire.
Donc effectivement, les erreurs des pharisiens ont des conséquences non négligeables sur l'ensemble du peuple. Ceci dit, comme nous l'avons vu hier, nous sommes dans une polémique sans dentelles entre chrétiens et pharisiens. Et Matthieu ferait bien de se méfier. Même s'il est vrai que Jésus a apporté un immense souffle de renouveau sur le judaïsme, et qu'il est dommage qu'une partie des juifs n'aient pas été sensibles à son message, il va apparaître très vite que les chrétiens vont eux aussi se mettre à construire leur propre cathédrale grevée de nombreuses approximations et erreurs. Le reproche que fait Matthieu aux pharisiens est valable pour toute religion qui prétend détenir la clé ! Car la clé n'existe pas, il n'y a pas de clé universelle, il n'y a même pas de clé commune. Il y a autant de clés que de personnes, et c'est à chacun de la trouver, en soi. Ça, c'est le vrai message de Jésus. Et quand les chrétiens vont se mettre à élaborer leur théologie, ils vont faire exactement ce que Matthieu est en train de reprocher aux pharisiens.
Toute cette réflexion vaut aussi pour le prosélytisme, bien évidemment. Quant à la troisième malédiction que nous avons aujourd'hui, il ne nous est même pas possible de la prendre au sérieux. D'abord parce que nous sommes obligés d'avoir de forts doute sur la réalité des reproches qui y sont exposés. Les pharisiens auraient accordé plus d'importance à l'or du sanctuaire qu'au sanctuaire lui-même, ou au présent sur l'autel qu'à l'autel ? Il se trouve justement que les pharisiens n'étaient pas des fanatiques du Temple et de ses rites, ils n'accordaient vraisemblablement pas plus d'importance au sanctuaire qu'à son or ni qu'a ses autels ni qu'aux présents qui pouvaient y être déposés... Et puis, si on se rappelle bien le sermon sur la montagne, Jésus y avait recommandé de ne jamais jurer du tout, ni par le Temple ni par quoi que ce soit. Nous sommes en pleine contradiction, on ne peut pas reprocher aux gens de jurer plutôt sur ceci que sur cela quand on prône en réalité de ne pas jurer ! Cet argument sent bon son poids de basse manœuvre et de calomnie effrénées. Matthieu ! Matthieu ! tu nous déçois trop, aujourd'hui.
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