Partage d'évangile quotidien

Changement radical de tonalité par rapport au texte d'hier. Nous avions en effet hier un texte qui se situait dans une perspective de fin des temps immédiate : le départ de Jésus signifie le jugement définitif du monde, le prince de ce monde est vaincu, les hommes sont séparés entre ceux qui ont cru à Jésus et les autres, il n'y a plus rien à faire, tout est figé et fixé pour l'éternité. Aujourd'hui, on nous parle de guide, d'avenir : il y a encore une histoire à écrire, tout est encore à construire. Un tel contraste nous indique bien que l'évangile de Jean est une construction complexe, et incompréhensible telle quelle, si on ne prend pas la peine de discerner un minimum ces différences de perspectives qui s'y entremêlent aussi étroitement. Nous étions hier dans une production des premiers temps de la communauté, ou au moins d'une période où elle était tournée vers une parousie imminente (ce qui a pu être le cas au moment où elle a été exclue de la synagogue à cause de son affirmation trop forte de la divinité de Jésus). Nous sommes aujourd'hui dans une période plus sereine, où elle reconnaît plus raisonnablement qu'elle a déjà eu une histoire depuis la mort et la résurrection de Jésus, et que cette histoire peut avoir à se prolonger pour un temps non encore défini.

"il vous guidera dans la vérité tout entière" : il y a effectivement déjà ici quelque chose de notablement différent par rapport au "il vous enseignera tout" de Jean 14, 26. Que l'Esprit fasse comprendre aux disciples tout ce que Jésus avait dit peut signifier une révélation immédiate, le 'eurêka' d'Archimède. Et c'est effectivement ce qui s'est plus ou moins passé pour les disciples, il y a eu un moment où s'est déchiré pour eux un voile qui les empêchait jusque là d'entrer dans le sens réel de ce dont Jésus leur parlait. De là à ce qu'ils aient instantanément tout compris, non, cela ne semble pas crédible. Nous le savons bien nous aussi, dans notre propre histoire, nous avons pu passer par de ces moments où se sont ouvertes à nous des perspectives que nous n'avions pas soupçonnées auparavant, ce qui ne veut pas dire pour autant que nous avons "tout compris". Nous avons franchi un grand pas, il nous reste pourtant un avenir à en découvrir toutes les implications, avant d'éventuellement même franchir encore d'autres grands pas. Il est vrai que ce saut initial qu'ont vécu les disciples a dû être gigantesque, ce qui explique qu'ils ont été tentés de se croire arrivés : ça y était, ils étaient dans la vérité tout entière, le monde et l'histoire étaient arrivés à leur fin. Ce que nous dit ce "il vous guidera" est donc qu'ils ont su aussi, après une première période où ils avaient cru avoir tout compris, se situer dans une perspective plus réaliste. Non, ils n'ont pas "tout compris", non, ils ne peuvent pas figer ce qu'ils ont compris, ou cru comprendre, comme un tout définitif et intangible. L'histoire n'est pas finie, ils ont encore de nombreuses merveilles à découvrir.

Alors, il ne faudrait pas se tromper non plus sur le sens de ce "l'avenir, il vous le dira". Spontanément, nous nous représentons ici l'Esprit comme sachant à l'avance ce que nous devons découvrir ! L'Esprit serait une sorte de super madame Irma, nous retombons dans le Dieu omniscient, qui a tout prévu, le plan est écrit de toute éternité et notre liberté serait limitée à entrer dans les cases prévues pour nous, ou à les refuser. Si c'est l'image que nous nous faisons de Dieu, je vous invite instamment à vous révolter contre lui ! Tuez ce Dieu tyran qui se masquerait derrière les apparences de l'amour. Est-ce ainsi que vous vous représentez votre rôle de parents avec vos enfants ? j'espère bien que non. Bien sûr que vous ne souhaitez pas qu'ils fassent n'importe quoi de leur vie. Mais, pourvu qu'ils restent dans l'amour d'eux-mêmes et des autres, j'espère que vous attendez d'eux qu'ils vous réjouissent en construisant leur propre vie, qui ira même jusqu'à vous étonner ! Eh bien, Dieu est dans les mêmes dispositions à notre sujet. Le Père ne sait pas, lui non plus, comment nous allons inventer la marche, et de nos vies, et du monde. Il attend de nous que nous l'épations ! Oui, on peut le dire, il attend de nous que nous le lui apprenions. Il ne sait pas ce que ce sera, il n'y a que nous qui puissions l'inventer. Nous sommes ses collaborateurs, pas ses employés. Nous sommes co-créateurs d'un univers dont il n'est que la source. Par l'Esprit, nous nous assurons de rester fidèles à l'intuition originale, aux règles du jeu, sans lesquelles nous détruisons au lieu de construire. Mais c'est bien nous qui révélons le visage de Dieu incarné, chacun de nous pouvant y concourir d'une manière strictement originale, propre, et personnelle. Nous sommes le Fils.