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Sans cesse

Sam. 29 Novembre 2014

Luc 21, 34-38 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Défiez-vous de vous-mêmes, que vos cœurs ne s'alourdissent dans l'orgie, l'ivresse, les soucis de la vie, et que ce jour-là ne se présente sur vous à l'improviste,  comme un piège. Car il surgira sur tous ceux qui sont assis sur la face de toute la terre. 

« Mais chassez le sommeil ! En tout temps implorez afin d'être plus forts pour échapper à toutes ces choses qui doivent arriver, et pour vous tenir debout devant le fils de l'homme ! » 

Les jours, il était dans le temple à enseigner. Les nuits, il sortait camper au mont appelé des Oliviers. Tout le peuple venait dès l'aube à lui, dans le temple, pour l'entendre. 

 

 

La prière à Gethsemani, par He-Qi

 

 

voir aussi : Lendemain de cuite ?, Menace permanente, Attention !, Incessamment, Vie de prière

La conclusion du discours apocalyptique, ou eschatologique, consiste bien sûr en recommandations sur l'attitude à avoir pendant cette période qui est censée mener à l'arrivée du Royaume. Chacun des trois synoptiques l'a traitée différemment. Matthieu (24,42 - 25,46) est de loin celui qui l'a le plus développée : plus d'un chapitre entier, avec pas moins de trois grandes paraboles (l'intendant digne ou indigne, les vierges sages ou folles, les talents) pour finir avec son tableau du jugement dernier ! Globalement, Matthieu insiste sur l'importance de nos actions pendant cette période, puisque ce sont elles qui décideront de notre sort lors de ce jugement. Marc (13, 33-37), lui, a construit une sorte de mini-parabole sur un maître parti sans qu'on sache combien de temps, mais avec des expressions qui, ponctuellement, se retrouvent dans chacune des trois paraboles de Matthieu ! comme s'il avait voulu en faire un super-concentré. Peut-être est-ce le cas, ou peut-être simplement des coïncidences, en tout cas son maître mot est "veiller", assené à deux reprises comme un impératif de conclusion, par opposition à un "dormir", et à un "sommeil" qu'il s'agit de "chasser".

Cette dernière expression, qu'on retrouve aussi ici chez Luc au début du deuxième paragraphe, va plus loin que le "veillez", "ne dormez pas", qu'utilisent la plupart des traductions. Le verbe grec ἀγρ-υπνέω (agr-upnéo) a le sens courant de "ne pas dormir", mais ce sens ne rend pas justice au préfixe 'agr', en faisant comme s'il n'était que le simple préfixe privatif 'a'. Ce n'est pas le cas, puisque ce 'agr' vient en fait de 'agréo' (ἀγρέω), qui signifie "chasser, capturer". Il s'agit donc d'un genre de veille plutôt active, quand même ! il faut le traquer, ce sommeil, savoir le débusquer dans toutes les formes sous lesquelles il se cache, si on ne veut pas qu'il s'empare de nous insidieusement. C'est ce que Luc a développé, pour sa part, en nous expliquant que, pour atteindre ce but, il s'agit de "prier en tous temps". Ce n'est pas vraiment une surprise. En plus d'être un grand fan de l'Esprit, qui serait presque chez lui l'acteur principal de toute l'histoire (depuis les évangiles de l'enfance, où il est omniprésent, jusqu'à la Pentecôte en passant par la croix où il fait dire à Jésus : "Père, entre tes mains, je remets mon Esprit"), Luc est aussi le grand spécialiste de la prière, celui, entre autres, qui nous parle le plus souvent de la prière de Jésus (il est notamment le seul à dire que la transfiguration était une prière). Le sommeil qu'il s'agit de combattre n'est donc pas, on s'en serait douté, le sommeil naturel auquel nous nous abandonnons toutes les vingt-quatre heures, mais celui dont nous avons hérité à notre naissance, le sommeil de l'inconscience de notre véritable nature, chemin sur lequel nous aurons effectivement toujours de nouveaux voiles à écarter, chemin qui nous rapprochera cependant toujours plus du Fils de l'Homme que nous sommes appelés à devenir.

Ici s'achève ce chemin pour cette année. J'espère que pour beaucoup elle aura été l'occasion de lever quelques uns de ces voiles qui nous séparent du face-à-face avec le Père. Et sinon, et pour tous, nous avons le droit (et pas tellement le choix, d'ailleurs), de repartir dès demain pour une nouvelle année, en commençant par nous préparer à célébrer la naissance de Jésus, il y a deux mille ans, mais aussi et surtout nous préparer à la naissance du Christ en chacun de nous, comme le disait Angelus Silesius : "Quand le Christ serait né mille fois à Bethléem, s’il ne naît pas en toi, tu es perdu pour l’éternité." Bonne fin d'année à tous !

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