Partage d'évangile quotidien
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Libérez nos prisonniers !

Lun. 11 Février 2013

Marc 6, 53-56 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Ayant traversé le lac, ils abordèrent à Génésareth et accostèrent. Ils sortirent de la barque, et aussitôt les gens reconnurent Jésus : ils parcoururent toute la région, et se mirent à transporter les malades sur des brancards là où l'on apprenait sa présence. 

Et dans tous les endroits où il était, dans les villages, les villes ou les champs, on déposait les infirmes sur les places. Ils le suppliaient de leur laisser toucher ne serait-ce que la frange de son manteau. Et tous ceux qui la touchèrent étaient sauvés. 

 

 

La prière à Gethsemani, par He-Qi

 

 

voir aussi : Nettoyage de printemps, Foules un jour ..., Raz-de-marée

Nous avons sauté une étape entre ce texte et celui de samedi, nous avons passé par dessus un épisode très important, tellement important que la liturgie catholique, dont nous suivons le calendrier, le réserve pour des occasions (c'était il y a un mois, dans le temps qui suit Noël) où il est mieux mis en valeur que dans cette lecture suivie de l'évangile de Marc qui nous guide depuis quelques semaines. Cet épisode, c'est celui dit de la multiplication des pains : une grande foule s'est rassemblée dans le désert autour de Jésus, il les enseigne longuement, et, pour finir, ils se trouvent tous rassasiés, sans que l'on sache trop comment. Après quoi, ils veulent faire de Jésus leur chef politique, mais lui refuse.

Ce qui est surprenant dans cet épisode c'est à la fois l'importance qu'il a en lui-même et l'insignifiance apparente dans ses conséquences. L'importance, nous la voyons dans le fait qu'il est rapporté à la fois par les quatre évangiles, ce qui est extrêmement rare. En fait, il n'y a même à peu près que deux autres périodes de la vie de Jésus sur lesquelles les quatre sont d'accord, même si chacun y met ses nuances : la prédication de Jean baptiste et la Passion, autrement dit le début et la fin. Et donc, entre le début et la fin de la vie publique de Jésus, le seul point de passage sur lequel tous soient d'accord, c'est cette 'multiplication' des pains. On voit mal alors comment cet épisode ne serait pas une clé dans l'histoire de Jésus.

Mais en même temps que cette importance, il y a l'insignifiance apparente dans ses conséquences, comme on le voit déjà dans le texte d'aujourd'hui : les gens viennent de partout, on lui amène tous les malades et ils guérissent. On peut se laisser abuser et croire que c'est à cause de ce qui vient de se passer qu'il y a cet empressement, mais en réalité Marc nous a dit déjà exactement la même chose à plusieurs reprises, et le dira encore. Ce n'est qu'une sorte de leit-motiv qui parcourt les évangiles, et il n'y a ici strictement rien de plus qu'en d'autres occasions. Et la suite du récit le confirme : Jésus reprend son train-train de controverses avec ses adversaires, de guérisons et d'enseignements. Bref, on a l'impression que les évangélistes savent qu'il s'est passé quelque chose d'important, mais qu'ils ne savent pas, ou ne veulent pas, le définir.

C'est que c'est effectivement une crise majeure dans l'histoire de Jésus, mais c'est une crise que lui seul a perçue comme telle. C'est le moment où il se rend compte qu'il est seul, et qu'il le restera, définitivement, jusqu'au bout. Depuis les débuts et jusqu'à ce moment il se percevait lui-même comme un de ces prophètes de l'histoire de son peuple : il a une révélation à donner, il a découvert un visage de leur Dieu proprement révolutionnaire, et il pense que, ce que ce Dieu lui demande, c'est de transmettre cette révélation, de la répandre, de la partager. Et il y avait tous ces signes que Dieu envoyait, et il pensait que sa parole, appuyée par les signes, était réellement en train de transformer ses coreligionnaires. Et puis voilà, tout-à-coup il se rend compte qu'il n'en est rien : les gens retiennent les signes mais pas les paroles. Tout ce qu'ils voient, ce sont les avantages matériels, la santé, du pain à satiété. Alors forcément, ils veulent le faire roi !

On a du mal à se dire que Jésus ait été naïf à ce point ? C'est parce que nous sommes héritiers de deux mille ans de supputations et d'échafaudages, nous sommes héritiers d'une icône minutieusement plaquée sur l'homme de chair et de sang, nous sommes héritiers d'hommes qui, d'une part, sont certes entrés dans l'Esprit de leur ami, après sa résurrection, mais qui, d'autre part, pour parler de ce qu'ils se sont mis alors à vivre avec lui, n'ont pas pu, ou pas su, faire autrement que de le transformer en statue de surhomme. Mais non, Jésus ne connaissait pas sa vie à l'avance, Jésus ne lisait pas dans les têtes des gens, il ne se rendait pas compte, au cours de ce 'printemps' galiléen, qu'il se fourvoyait en croyant que son message était en train de se répandre.

En se basant sur l'exemple de ses illustres prédécesseurs prophètes du Très-Haut, il pouvait se douter que son histoire ne finirait pas mieux que pour eux, mais il était en droit aussi d'espérer remporter auparavant quelques succès, gagner quelques disciples. Et c'était ce qu'il croyait, qu'il était né sous une bonne étoile, puisque tant de gens se pressaient après lui, et des disciples, il en avait plus qu'il n'aurait pu en espérer. Mais soudainement l'abîme s'ouvre sous ses pieds : tout ceci n'est qu'un mensonge, ce n'est que ce qu'il a voulu croire. Les gens n'en ont qu'après les signes, et ses disciples ne rêvent que d'honneur et de puissance, devenir chefs à la place des chefs, prendre le pouvoir sous couvert de sa bénédiction.

Il n'est pas possible que Jésus ait accusé un tel coup en quelques heures, et se soit remis dès le lendemain à vaquer à ses occupations comme si de rien n'était. On nous dit qu'à ce moment, après avoir renvoyé tout le monde, et ses disciples en premier, il se retira pour prier jusqu'au soir. On peut déjà s'interroger s'il lui suffit vraiment de cette fin d'après-midi pour se décider sur ce qu'il allait faire par la suite. À tout le moins, s'il rejoignit effectivement si vite les disciples, ce dut être le cœur encore très mélangé, et il dut ruminer encore longtemps sur toute cette histoire et sur l'attitude qu'il devait dès lors adopter. On ne sait donc pas combien de temps a réellement pris cette séparation, avant que Jésus ne reprenne le contact avec ses disciples en proie à la 'tempête' de leurs sentiments. Ce qui semble assuré, par contre, c'est qu'en revenant vers eux il y a mis des conditions, il leur a mis les points sur les 'i'.

L'évangile de Jean relate ici le discours dit du "pain de vie", à la suite duquel, nous dit-il effectivement, que "beaucoup de ses disciples s'en allèrent et cessèrent de marcher avec lui". Chez les synoptique, pour leur part, c'est ici qu'ils situent l'interrogation de Jésus à ses disciples : "Pour vous, qui suis-je ?", à laquelle Pierre répond qu'il est le Messie, idée que Jésus leur intime alors formellement d'oublier à jamais (Matthieu seul essaie de nous faire croire que Jésus a d'abord félicité Pierre pour sa 'trouvaille'). Puis il commence à leur annoncer que ça ne va plus être un chemin de roses, qu'il va monter sur Jérusalem, affronter les autorités religieuses, et que ça se finira sans doute très mal. Et là encore, Pierre, qui proteste parce qu'il ne veut pas renoncer à ses rêves de pouvoir, se fait remettre plus que vertement à sa place : "Arrière ! Satan !" Et, dans cette lente montée vers le lieu de la crise finale, Jésus est désormais seul en tête sur le chemin, les disciples traînent des pieds à l'arrière, en remorque, et complotant dans son dos pour se distribuer quand même les places du futur gouvernement, qui reste malgré tout leur horizon indépassable.

Mais Jésus n'en est plus vraiment dupe, désormais. Il sait bien qu'il est seul, absolument seul, avec sa révélation du dieu Père. Mais, s'il veut rester fidèle à ce qu'il a reçu, il doit aller jusqu'au bout, il doit aller témoigner devant et contre les autorités religieuses. C'est le boulot du prophète, de tout prophète, en Israël : rester fidèle à la parole reçue quels que soient les obstacles, et les plus grands viennent toujours du pouvoir en place. C'est toujours contre ce pouvoir que Dieu les envoie. Là encore c'est nous, deux mille ans plus tard, qui voyons la dimension d'universalité du 'message' de Jésus et qui nous demandons pourquoi il ne l'a pas vue lui aussi, pourquoi il a voulu se restreindre au seul domaine de son peuple, pourquoi il a cru nécessaire cet affrontement avec le sanhédrin. La vérité est simplement qu'il ne l'a effectivement pas vue, qu'il ne pouvait en fait pas la voir. C'est comme ça.

Non, décidément, Jésus n'était pas un dieu, au sens de ce qu'on a voulu en faire, mais bien un homme, avec ses limitations. Mais c'est comme ça qu'il peut nous parler vraiment au cœur. Son choix d'aller au casse-pipe, s'il avait été un dieu, aurait été d'une stupidité sans bornes. Alors qu'en tant qu'homme, nous pouvons admirer le courage qu'il lui a fallu, son honnêteté avec lui-même, sa droiture. Et lui envier aussi sa confiance. Puissions-nous trouver nous aussi, en nous, ce chemin d'amour qui lui a permis d'atteindre à une telle liberté intérieure.

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