Partage d'évangile quotidien
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Courage ...fuyons !

Ven. 10 Juillet 2015

Matthieu 10, 16-23 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Voici : moi, je vous envoie comme brebis au milieu de loups. Devenez donc avisés comme les serpents et simples comme les colombes. 

« Défiez-vous des hommes : ils vous livreront à des sanhédrins, dans leurs synagogues, ils vous fouetteront. Devant gouverneurs et rois, vous serez amenés à cause de moi, en témoignage, pour eux et pour les nations. Quand ils vous livreront, ne vous inquiétez pas : “que dire ? et comment ?” Car cela vous sera donné à cette heure-là, que dire : ce n'est pas vous qui direz, mais l'Esprit de votre père qui dira en vous. 

« Un frère livrera un frère à la mort, un père, un enfant. Se lèveront enfants contre parents, et les feront mourir. Vous serez haïs par tous en raison de mon nom. Mais qui durera jusqu'à la fin, lui, sera sauvé. Quand ils vous persécuteront dans cette ville, fuyez dans l'autre ! Amen, je vous dis : vous n'aurez pas fini les villes d'Israël que vienne le fils de l'homme. » 

 

 

L'appel de saint Paul, par He-Qi

 

 

voir aussi : Manuel de survie, N'ayez pas peur..., Serpent à plumes, Course d'obstacles, Champ de bataille

C'est certain, on ne peut pas dire que Matthieu promette ici, à ceux qui seraient tentés de devenir chrétiens, que ça va être un long fleuve tranquille ! Il y a un certain courage de sa part, de l'honnêteté, à ne pas camoufler en toutes petites lettres au bas du contrat ces quelques "menus" désagréments possibles. Finalement, en abordant le sujet si tôt dans l'organisation de son récit, Matthieu est peut-être celui qui a pris le plus de risques, quand Marc (13, 9-13), et Luc (21, 12-19) à sa suite, ont attendu le dernier moment, juste avant le dernier repas de Jésus, le jeudi soir, pour évoquer la question. En même temps, Marc et Luc respectent quand même une certaine logique en procédant ainsi ; ce discours est censé être une prophétie de la part de Jésus, concernant ce qui arrivera aux disciples après sa mort, il est donc tout-à-fait cohérent de placer ces paroles juste avant son départ ; c'est une sorte de discours d'adieux du maître, qui les prévient ainsi des obstacles qui se dresseront sur leur route, pour que, en étant prévenus, ils puissent plus facilement les surmonter.

Il y aurait donc deux logiques qui auraient été suivies pour intégrer ce discours. Sauf que, en fait, Matthieu a aussi son discours "eschatologique" situé juste avant le repas du mémorial. Ce qu'il a donc fait, plus précisément, c'est qu'il a extrait, de ce discours sur la fin des temps, quelques éléments pour les exposer déjà ici, dans le cadre de son discours missionnaire. Une des conséquences, comme nous l'avons déjà vu, est qu'il nous donne l'impression que, du temps de Jésus lui-même — puisque ceci est censé être le discours aux disciples lors de leur envoi deux par deux en mission —, il y aurait eu une adversité à cette mission qui serait déjà allée jusqu'à la persécution, alors que ce n'est évidemment et certainement pas le cas. Ou, si on comprend qu'il s'agit d'une prophétie pour les temps ultérieurs, après sa mort, le résultat est de renforcer le rôle supposé prévu par Jésus pour les douze après sa mort, puisque ce discours est un discours qui ne s'adresse en fait qu'aux douze — pas à tous les disciples. En avertissant à l'avance les douze de ce qui se passerait après sa mort, et ceci étant intimement lié à l'institution de ce groupe qu'il est le seul à avoir ainsi fait immédiatement suivre de l'envoi en mission, Matthieu nous présente cette institution des douze comme étant dès le début prévue pour durer. Faut-il préciser que cette présentation n'est propre qu'à Matthieu ? mais telle était donc, vraisemblablement, sa principale motivation en organisant ainsi son récit.

Tout cet arrière-plan étant précisé, on remarquera que le texte a quand même essayé d'amortir le choc que peut représenter cette annonce de temps difficiles. En premier, sur les interrogatoires, tant par les autorités religieuses que civiles, il y a cette promesse de l'assistance de l'Esprit, qui frappe particulièrement chez Marc comme chez Matthieu puisque, chez eux et contrairement à Luc (et encore plus contrairement à Jean, bien sûr), le thème de l'Esprit est très peu présent. On peut même noter l'expression précise utilisée par Matthieu, "l'Esprit de votre père", expression absolument unique dans tout le second testament. Mais, au-delà de cette formulation spécifique, il reste que Matthieu reste ici globalement parallèle aux deux autres synoptiques. Il en va autrement avec cette curieuse recommandation de ne pas hésiter à fuir devant les menaces, assortie de son corollaire que, en tout état de cause, la parousie du fils de l'homme serait toute proche. Ce passage-là est propre à Matthieu. On comprend qu'il ne nous soit pas demandé de jouer les kamikazes, que cela ne sert à rien de se précipiter volontairement dans les griffes des loups, et on comprend aussi que Matthieu veuille renforcer l'intérêt d'une telle stratégie par cette espérance qui caractérisait sa communauté, le retour espéré ardemment proche de Jésus, la fin des temps.

Ce qui sonne sans doute un peu bizarre, pour nous, aujourd'hui, dans ce passage propre à Matthieu, c'est que nous ne croyons plus à un retour de Jésus, à une fin des temps pour tous à un moment donné de l'histoire : nous pourrions bien fuir de ville en ville même à travers toute la terre, que Jésus ne serait toujours pas de retour (mais nous morts de vieillesse, mais c'est une autre question...). D'autre part, il est vrai que dans nos pays occidentaux, nous sommes à peu près à l'abri de persécutions religieuses, en sorte que "fuir" ne peut signifier qu'avoir peur d'affirmer sans fard nos convictions morales, éthiques, spirituelles, dans un environnement qui a sans doute tendance à avoir perdu tout sens de la transcendance. Mais il faut bien comprendre que la situation a pu être fort différente quelques décennies après la mort de Jésus, et donc donner acte à Matthieu qu'il ait pu avoir de bonnes raisons de donner ces conseils, finalement de simple bon sens, même si ils semblent "sonner" un peu différemment de l'impression générale que nous retirons des évangiles.

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