Partage d'évangile quotidien
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Dilemmes

Sam. 18 Juillet 2015

Matthieu 12, 9-21 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Et s'éloignant de là, il vient dans leur synagogue. Et voici : un homme ayant une main sèche. Ils l'interrogent en disant : « S'il est permis, le sabbat, de guérir ? » Cela pour l'accuser.  Il leur dit : « Soit parmi vous un homme qui a une seule brebis. Si elle tombe, le sabbat, dans un trou, est-ce qu'il ne la saisira pas pour l'enlever ? Combien donc est plus précieux un homme qu'une brebis ! C'est pourquoi il est permis, le sabbat, de faire une belle action. »  Alors il dit à l'homme : « Tends ta main. » Il la tend, et elle est rétablie, saine comme l'autre. 

Les pharisiens sortent. Ils tiennent conseil contre lui : comment le perdre. Mais Jésus, l'ayant su, se retire de là. Beaucoup le suivent. Il les guérit tous. 

Puis il les rabroue : qu'ils ne le manifestent pas ! Pour accomplir le mot dit par Isaïe le prophète : “Voici mon serviteur que j'ai choisi, mon aimé en qui mon âme se plait. Je mettrai mon Esprit sur lui. Il annoncera aux païens le jugement. Point ne disputera, point ne criera, nul n'entendra sur les places sa voix. Roseau broyé ne brisera, mèche fumante n'éteindra, que le jugement ne soit mené à la victoire. Et païens en son nom mettront leur espérance.” 

 

 

David et Saül, par He-Qi

 

 

voir aussi : Ennemis déclarés, Discrétion assurée, Petit, c'est beau, L'éternel sabbat, Qui est qui ?

Nous sommes dans la suite de l'épisode d'hier ; après que les disciples se soient fait épingler pour avoir cueilli des grains de blé, Jésus rentre dans la synagogue du bourg où ils se trouvent. Nous sommes donc toujours le jour du sabbat. C'est la suite de la controverse d'hier sur le sabbat, ce sont les mêmes contradicteurs qui sont là, eux aussi, dans la synagogue. La présence de l'homme à la "main sèche" (quelque infirmité que désigne cette expression, on suppose que son handicap est qu'il ne peut pas s'en servir) nous est alors suggérée comme un test : après ce que Jésus a revendiqué comme liberté vis-à-vis du repos du sabbat, au moins pour lui et les disciples, va-t-il enfoncer le clou ? Chez Marc (3, 1-6) comme chez Luc (6, 6-11), les "pharisiens" se contentent d'ailleurs d'être là "à l'épier", et c'est Jésus qui, comprenant parfaitement l'attention dont il est l'objet, prend l'initiative d'entamer la discussion : "Le sabbat, est-il permis de guérir ?". Ici, selon Matthieu, ce sont eux qui le provoquent. Cela ne change quand même pas grand chose sur le fond ; dans tous les cas, il s'agit de pouvoir "l'accuser".

Telle est en tout cas l'idée générale que veulent nous faire passer les évangiles : le jour du sabbat, on n'aurait même pas le droit d'accomplir une action pour porter secours à une personne dans le malheur. L'argument de Jésus, rapporté seulement par Matthieu dans cet épisode, qui fait un parallèle avec une brebis qui s'est mise en fâcheuse posture, est intéressant de ce point de vue, car c'était un exemple précisément discuté et disputé à l'époque. Et justement, puisqu'on a des traces de telles discussions, c'est pour le moins qu'elles ne faisaient pas l'unanimité... En réalité, il semble bien que très peu défendaient un point de vue aussi sévère, et que l'avis le plus partagé était que, bien sûr, si un animal domestique se mettait dans une situation dangereuse, on pouvait lui venir en aide, et à plus forte raison pour des personnes... La situation qui nous est présentée dans cet épisode est donc largement artificielle. Tout au plus peut-on arguer que l'homme pouvait bien attendre un jour de plus pour être guéri (c'est le reproche que rapporte Luc 13, 14 dans un autre épisode), mais il n'y avait certainement pas là de quoi justifier que ce soit suite à cette guérison que les "pharisiens" se seraient mis en tête de "perdre" Jésus !

Indépendamment du fait qu'en réalité ce sont les sadducéens qui étaient les ennemis de Jésus, pas les pharisiens, la prétention qu'ont les synoptiques à baser l'hostilité qui mènera Jésus à sa perte sur des questions de respect ou non du sabbat est donc une pure invention. On comprend simplement qu'à l'époque où les évangiles ont été rédigés, du fait que les pharisiens sont les concurrents les plus directs des judéo-chrétiens dans ce qu'on peut considérer comme le "marché" des fidèles à conquérir, il était normal d'essayer de les noircir exagérément, et pourquoi pas de leur faire porter le chapeau de la mort de Jésus. Et il est certain que les vrais motifs — politiques : le rassemblement des cinq mille hommes dans le désert, prêts à marcher sur la capitale — ne pouvaient désigner que les sadducéens du sanhédrin comme instigateurs de la mort de Jésus. Il a donc bien fallu essayer de bricoler quelque chose comme motivation, et de préférence dans le champs du religieux. Parmi les grands marqueurs de l'identité juive, le Temple ne faisait pas l'affaire, il n'y avait guère que les sadducéens à en faire un centre absolu. Mais il n'était pas question non plus de mettre en jeu la Torah dans son ensemble, on n'était pas dans une logique de révolution ; il fallait un thème important, lié à la Torah, mais pas toute la Torah d'un bloc. Cela aurait pu être la circoncision, mais Jésus n'avait vraiment rien remis en cause de ce côté... et ne restait alors que le sabbat !

L'entreprise ne pouvait de toutes façons être que bancale. Réellement le pharisaïsme et le judéo-christianisme étaient des frères jumeaux ! Ce qui les différenciait était juste la question : Jésus avait-il été le Messie attendu ? C'est là que s'enracine la présentation de Jésus comme le serviteur souffrant dont parle Isaïe, et que Matthieu, seul encore dans ce passage, nous expose justement. Le problème pour que les pharisiens reconnaissent Jésus comme Messie, c'est précisément sa mort. Le Messie n'était pas censé mourir. Et si, que Jésus soit ressuscité, pourrait à la rigueur être considéré comme signifiant qu'il n'a pourtant pas nécessairement échoué dans sa mission, il faudrait quand même que le royaume vienne enfin sans tarder, parce que là, pour le coup, c'est le test imparable. C'est dans cette attente de plus en plus exacerbée que se situe la communauté matthéenne, c'est cet espoir que ne partagent pas les pharisiens. Et comme on ne peut pas leur prouver qu'il va venir...

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