Partage d'évangile quotidien
<
Enregistrer le billet en pdf

Quel pouvoir ?

Jeu. 2 Juillet 2015

Matthieu 9, 1-8 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Il monte en barque, fait la traversée et vient dans sa propre ville. 

Et voici : ils lui présentaient un paralytique gisant sur un lit. Jésus voit leur foi et dit au paralytique : « Confiance, enfant : tes péchés sont remis. »  Et voici, certains des scribes disent en eux-mêmes : « Celui-ci blasphème ! » 

Jésus sait leur propos. Il dit : « Pourquoi ces mauvais propos en vos cœurs ? Au fait, quel est le plus facile ? Dire : “Tes péchés sont remis” ? Ou dire : “Lève-toi et marche” ? Eh bien, pour que vous sachiez que le fils de l'homme a pouvoir sur la terre de remettre les péchés... » Alors, il dit au paralytique : « Lève-toi ! Prends ton lit et va dans ton logis. » Il se lève et s'en va dans son logis. 

Les foules voient, et craignent. Elles glorifient le Dieu qui donne un tel pouvoir aux hommes. 

 

 

Moïse bénit Israël, par He-Qi

 

 

voir aussi : L'affaire des péchés, Pouvoirs controversés, Hommes de pouvoir, Chacun chez soi, Trop facile

Pour son sixième miracle sur dix, Matthieu a repris celui-ci que Marc (2, 3-12) et Luc (5, 18-26) relatent comme étant le deuxième du ministère public de Jésus, juste après la guérison du lépreux. Matthieu n'a cependant pas voulu rapporter ce qui fait pourtant le charme de cette histoire, ce qui fait que beaucoup s'en rappellent même s'ils ont depuis longtemps jeté leur religion aux orties, à savoir la descente du paralytique, à travers une ouverture pratiquée dans le toit par ses brancardiers, et son arrivée ainsi impromptue aux pieds de Jésus et au milieu de l'assistance de ses "disciples". Du coup, on ne comprend pas très bien pourquoi on nous dit, ici, chez Matthieu, que "Jésus voit leur foi". Chez Marc et Luc, c'est l'obstination et l'ingéniosité déployées pour faire arriver le paralytique devant un Jésus inabordable à cause de la foule, qui suscite son admiration : oui, il fallait qu'ils y croient vraiment, pour inventer ce stratagème. Ici, nous avons affaire à un parmi des milliers d'infirmes qui ont pu être amenés devant Jésus au cours de son ministère, et on ne voit pas bien ce que la foi de ceux-ci aurait de remarquable par rapport à celle de tous les autres...

Mais, ce qui intéresse donc le plus Matthieu dans cette histoire, c'est le lien fait entre la guérison de l'infirme et le thème du pardon des péchés. D'une part, il était considéré que les différents malheurs qui pouvaient accabler une personne — dans le domaine de la santé comme dans celui des avoirs — étaient dus à des péchés. C'est bien sûr une conception très simpliste, et le livre de Job témoigne par exemple d'un effort accompli pour tenter de la dépasser, mais elle restait quand même très prégnante dans les mentalités. Si les malheurs sont la conséquence de péchés, l'absence de malheur ne signifie pas pour autant qu'on n'est pas pécheur ! la guérison du paralytique ne prouve pas, en elle-même, que son péché — supposé — est pardonné. Par contre, si ses péchés ont effectivement été pardonnés, alors sa guérison devrait s'en suivre automatiquement. C'est dans ce sens-là, que la question se pose. Avant tout, avant même de savoir qui a le droit de pardonner les péchés, la prétention de Jésus tombe d'elle-même si le paralytique reste paralytique.

Lorsque nous voyons régulièrement, à l'occasion des diverses guérisons opérées, Jésus dire "ta foi t'a sauvé", c'est de cela qu'il s'agit : la foi de la personne lui a obtenu le pardon de ses péchés, et c'est pourquoi sa guérison en a découlé. Mais c'est bien sûr à chaque fois plutôt implicite, et c'est sans doute la raison d'être de cet épisode du paralytique, placé par Marc comme par Luc en tête des guérisons, que de bien expliciter de quoi il ressort à ce sujet quand c'est Jésus qui opère. Car, les guérisseurs, les faiseurs de miracles, il y en avait ! à cette époque. Mais, une guérison, un miracle, ne signifient donc rien en eux-mêmes. Nous l'avions vu, vers la fin du sermon sur la montagne (au jour du jugement certains se réclameront de miracles accomplis au nom de Jésus et seront pourtant condamnés), nous verrons un peu plus loin Jésus être accusé d'opérer ses guérisons par le pouvoir de Béelzeboul : aussi difficile que cela puisse être pour nous de le comprendre (ne serait-ce que parce que deux millénaires de christianisme se sont bâtis en très grande partie sur le merveilleux de ces miracles de Jésus...), pour les gens de l'époque — du moins pour ceux qui ont de l'instruction —, le merveilleux ne signifie rien à lui seul.

À ce sujet, il est certain que le raisonnement tenu par cet épisode ne change en fait rien à la donne : que Jésus ait guéri le paralytique après avoir prétendu que ses péchés lui étaient pardonnés n'a certainement pas convaincu les scribes, et ils ont raison. Il n'y a, de fait, aucun moyen de savoir si la prétention de Jésus est vraie ou non. L'épisode fonctionne comme une déclaration d'intentions, improuvables par elles-mêmes. Il faut noter que Matthieu, contrairement à Marc et Luc, évite soigneusement de parler de Jésus comme étant l'auteur du pardon : Jésus témoigne seulement de ce pardon ; il ne dit pas "je te pardonne tes péchés", mais il constate seulement que ces péchés ont été remis. Mais même ce seul fait, être capable de savoir si des péchés ont été pardonnés ou pas, ne peut évidemment pas être établi, par aucune démonstration que ce soit. C'est à chacun d'y croire ou pas, si les guérisons opérées par l'intermédiaire de Jésus étaient la conséquence du pardon des péchés de ceux qui en ont bénéficié, ou si ces guérisons étaient sans réelle signification, voire pire, des miroirs aux alouettes, des pièges tendus par "l'adversaire", le satan, pour reprendre l'accusation qui sera bientôt portée contre lui.

Commenter cet évangile