Partage d'évangile quotidien
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Le coup du filet

Jeu. 1 Août 2013

Matthieu 13, 47-53 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Encore : le royaume des cieux est semblable à une senne jetée dans la mer ; elle en rassemble de toute race. Quand elle est remplie, ils la remontent sur le rivage, ils s'assoient et ramassent les beaux dans des casiers. Les pourris, au-dehors ils les jettent. 

« Ainsi en sera-t-il à l'achèvement de l'ère. Les anges sortiront : ils sépareront les mauvais du milieu des justes. Ils les jetteront dans la fournaise du feu : là sera le pleur, le grincement des dents. 

« Avez-vous compris tout cela ? » Ils lui disent : « Oui. »  Il leur dit : « Aussi tout scribe devenu disciple du royaume des cieux est semblable à un homme, un maître de maison qui extrait de son trésor choses neuves et choses vieilles. » 

Or, quand Jésus achève ces paraboles, il s'éloigne de là. 

 

 

L'appel des disciples, par He-Qi

 

 

voir aussi : Fin du cycle, Une dernière pour la route, Scribe converti

Voici donc cette dernière parabole de la série de sept assemblées par Matthieu. Comme nous disions hier, il est vraisemblable qu'elle est l'œuvre de Matthieu, à partir de celle qu'on trouve dans Thomas, logion 8 (un pêcheur ramène son filet, parmi les poissons il s'en trouve un de très gros, il garde celui-ci et rejette les autres à la mer). Le thème du jugement dernier est une marotte de Matthieu. Il est le seul à le décrire dans une longue scène (Matthieu 25, 31-46) célèbre, et d'ailleurs intéressante puisque le critère du jugement y est exclusivement l'amour manifesté au prochain, l'investissement dans les pratiques cultuelles n'étant aucunement pris en compte. Mais, outre cette scène, Matthieu rappelle aussi régulièrement cette échéance, qui semble vraiment constituer pour lui un horizon indépassable de la vie du croyant. Rien que dans ce chapitre consacré aux paraboles, il nous l'a sortie à propos de l'explication de la parabole des ivraies, et maintenant ici.

Matthieu n'est quand même pas le seul à proposer ce thème, mais il le fait bien plus que Marc et Luc. C'est que ce thème ne s'est pas développé tout de suite dans l'histoire des premiers chrétiens. Dans un premier temps, après la résurrection et la venue de l'Esprit, ils pensaient effectivement qu'ils étaient dans le Royaume. Non pas que le temps et l'histoire étaient arrivés à leur terme, mais que c'était en marche et que ça ne pouvait que continuer et progresser. Bref, ils étaient dans le même état d'esprit que le Jésus de la première époque, le Jésus du printemps galiléen. Dans cette période-là, donc, on ne parle pas de retour de Jésus à la fin des temps : Jésus est là, avec eux. On ne parle pas de dernier jour, on ne parle pas de jugement, on est dans les derniers jours, et on est optimiste, tout le monde finira bien par se convertir, il n'y aura personne à juger ! L'évangile de Marc nous transmet beaucoup de l'état d'esprit de cette période.

Et puis vient ensuite le désenchantement, le réveil. La destruction de Jérusalem, l'exclusion prononcée par la synagogue : le monde résiste, Jésus n'est plus là. Se développent donc les thèmes du retour de Jésus et de la fin des temps. Le monde résiste et on ne croit plus qu'il se laissera convertir en totalité : le jugement devient la seule solution pour ne pas désespérer, pour se donner le courage de persévérer. Les hommes projettent sur Dieu leurs limites, leurs ressentiments et leurs rancunes, les chrétiens inventent l'enfer, la con-damnation éternelle. Là ou la bible parle du "chemin des méchants qui se perdra", d'un oubli de leur nom dans la mémoire de Dieu, bref d'un retour au néant d'où ils avaient été tirés, les chrétiens, quant à eux, leur promettent une éternité de supplices : le feu qui ne s'éteint jamais. Ils ne l'ont pas inventée, cette géhenne, ce lieu de tourments, mais ils l'ont transformée, d'épreuve passagère de purification, en destination finale et sans rémission.

L'évolution qu'a suivie la pensée chrétienne sur ce sujet des fins dernières est assez similaire et concomitante à celle suivie sur la notion de péché. Là où le péché, dans la pensée juive, n'est essentiellement qu'une erreur de jugement, une imperfection de la conscience, dont Dieu ne se désole que pour le bien des hommes, les chrétiens ont développé la notion de rébellion contre Dieu et d'offense dont il exigerait réparation. C'est la même projection sur Dieu de nos limites à aimer. Nous ne savons pas pardonner complètement et en toutes occasions, alors nous nous inventons un dieu comme nous, incapable d'oublier la moindre de nos peccadilles, réclamant que nous remboursions nos dettes jusqu'au dernier centime avec les intérêts en plus, et nous le faisant payer pour l'éternité si nous ne nous soumettons pas.

Heureusement que nous avons suffisamment de témoignages par ailleurs que telle n'était pas la pensée de Jésus, pour que nous puissions sans hésitation rayer de son héritage de tels propos.

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