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Les racines du mal

Ven. 22 Février 2013

Matthieu 5, 20-26 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

« Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. 

« Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu'un commet un meurtre, il en répondra au tribunal. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Si quelqu'un insulte son frère, il en répondra au grand conseil. Si quelqu'un maudit son frère, il sera passible de la géhenne de feu. 

« Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. 

« Accorde-toi vite avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n'en sortiras pas avant d'avoir payé jusqu'au dernier sou. » 

 

 

David et Saül, par He-Qi

 

 

voir aussi : Qui vole un œuf, Frères avant tout, Education sentimentale, Frères ennemis, Conversion

Le mot 'justice' tel qu'il est employé ici n'a pas tout-fait le sens qu'on lui donne habituellement. Nous parlons généralement de justice quand il y a un conflit entre deux personnes ou deux parties et qu'une tierce personne est chargée d'arbitrer entre elles. Mais ce n'est pas à ce genre de tribunal qu'il est fait ici allusion, mais au tribunal de Dieu. Notre 'justice' : nous dirions plutôt de nos jours notre 'justesse', notre 'droiture', bref, le fait que nous nous comportions ou non correctement dans notre vie. Et si Matthieu dit que ce comportement doit dépasser celui des scribes et des pharisiens, c'est parce qu'il vient de faire dire à Jésus qu'il "n'est pas venu abolir la Loi mais l'accomplir", que "pas un iota" de cette Loi ne peut être négligé.

Les scribes sont les spécialistes de cette Loi, et les pharisiens se considèrent comme les champions de sa mise en application. Aussi allons-nous avoir, à la suite de cette déclaration d'intention de dépasser les uns et les autres, six exemples de comment on peut aller plus loin que cette Loi, comment on peut passer au-delà de sa lettre pour en trouver l'esprit. C'est le premier de ces exemples que nous voyons aujourd'hui, à propos du commandement "Tu ne tueras pas". Suivront ensuite l'interdiction de l'adultère, le divorce, les serments, la vengeance, et pour finir l'amour du prochain. À chaque fois, il nous est rappelé ce qui est écrit dans la Loi, ou ce qui est communément admis, puis ce que Jésus recommande, et qui va effectivement beaucoup plus loin.

Ainsi aujourd'hui, au sujet de l'interdiction du meurtre. On ne parle évidemment pas ici des cas de malveillance gratuite qui ressortent d'un autre domaine, celui du dérangement mental. On parle des cas les plus ordinaires, si on peut dire. Du désaccord, du ressentiment, qui peuvent surgir entre deux personnes, et qui, si les choses s'enveniment, peuvent aboutir à cette 'solution' extrême. Et c'est finalement le simple bon sens, que pour éviter d'en arriver à l'irréparable, il vaut mieux s'efforcer d'éviter les commencements. C'est ce qui nous est décrit : s'interdire tout mouvement de colère, toute insulte, tout maugrément. Mais la traduction "si quelqu'un insulte, si quelqu'un maudit" est trop éloignée, trop extrapolée. Le texte original dit : "si quelqu'un dit ῥακά (rhaka), si quelqu'un dit μωρέ (móre), à son frère", ce que l'on pourrait traduire par 'vaurien' et 'idiot'. Et on s'aperçoit alors qu'il y a une décroissance de l'animosité quand on part de la colère, pour passer à l'insulte 'vaurien' et finir par la condescendance 'idiot' (simplet, il n'a pas inventé la poudre...). Et parallèlement, les risques encourus, eux, deviennent de plus en plus graves : le tribunal (ordinaire), le grand conseil (le tribunal suprême des instances juives), et pour finir, la géhenne (le tribunal divin).

Cette disproportion croissante entre la gravité des faits et les peines encourues est bien évidemment voulue. C'est un procédé pédagogique qui vise à attirer l'attention, à bien pointer sur les racines de tout ça : oui, le meurtre commence avec le simple mépris, le simple fait de manquer de considération pour l'autre. C'est une démarche qui rejoint de nombreuses autres spiritualités, et sans doute particulièrement une fois de plus le bouddhisme. C'est une démarche que la science moderne de la psychologie a redécouverte aussi, et peut-être mieux expliquée. C'est une question de simple bon sens, encore. Mais le texte ne s'en arrête pas là, en fait.

Ce n'est pas évident au premier coup d'œil, mais le texte nous invite effectivement à aller encore plus loin, encore plus loin que de s'abstenir de tout mouvement de notre âme qui irait à l'encontre d'un de nos frères. On nous parle de quelqu'un qui s'apprête à aller au Temple mais qui a bien du souci parce qu'un de ses voisins – ou membre de sa famille, ou collègue de travail – n'arrête pas de lui chercher des noises. Il faut le remarquer, ce n'est pas celui qui va au Temple qui est dit avoir quelque chose contre son 'frère', mais c'est bien "un de ses frères' qui a quelque chose contre lui. Lui, au départ, n'a rien à reprocher à l'autre. Mais à force, ça pourrait venir... Alors, nous dit le texte, c'est un pas de plus que nous avons tout intérêt à franchir : prendre les devants. Sinon, effectivement, nous allons entrer dans la spirale infernale : combien de temps tiendrons-nous sans avoir envie de maudire intérieurement l'autre, combien de temps avant d'en passer aux insultes, combien de temps avant de nous mettre en colère, combien de temps avant de commettre l'irréparable ?

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