Partage d'évangile quotidien
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Le pour et le contre

Ven. 9 Octobre 2015

Luc 11, 14-26 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Il jetait dehors un démon, et celui-ci était muet. Or, le démon sorti, le muet parle ! Et les foules s'étonnent. 

Mais certains d'entre eux disent : « C'est par Béelzeboul, le chef des démons, qu'il jette dehors les démons ! » D'autres, pour l'éprouver, cherchaient de lui un signe du ciel.  Lui, sait leurs pensées et leur dit : « Tout royaume divisé en lui-même devient un désert, et maison sur maison tombe. De même : si le satan est divisé en lui-même, comment tiendra son royaume ? – puisque vous dites que c'est par Béelzeboul que je jette dehors les démons ! 

« Si moi, c'est par Béelzeboul que je jette dehors les démons, vos fils, par qui les jettent-ils dehors ? Aussi eux-mêmes seront vos juges. Mais si c'est par le doigt de Dieu que moi, je jette dehors les démons, alors il est venu sur vous, le royaume de Dieu ! Quand le fort bien armé garde sa cour, ses biens sont en paix. Qu'un plus fort que lui survienne et le vainque, il lui enlève son armure en quoi il se confiait, et distribue ses dépouilles. 

« Qui n'est pas avec moi est contre moi. Qui ne rassemble pas avec moi disperse ! 

« Quand l'esprit impur est sorti de l'homme, il erre dans des lieux sans eau pour chercher du repos. Ne trouvant pas, il dit : "Je reviendrai dans mon logis d'où je suis sorti." Il vient, le trouve balayé et orné. Alors il va prendre d'autres esprits plus mauvais que lui, sept ! Ils entrent habiter là. Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier. » 

 

 

Les mages, par He-Qi

 

 

voir aussi : Plus fort que fort, L'arbre du mal, La tentation des démons, Traité de démonologie, Tentative de diversion, Le démon pour les nuls, L'union sacrée, Un muet qui fait parler !, Choisir son camp, Rassemblement contre division, Champions de la division, Un royaume sans couture

On peut tourner l'affaire dans le sens qu'on veut, il y a contradiction entre la défense qui est ici prêtée à Jésus et ce qui nous a été affirmé ailleurs. Contre le soupçon que les exorcismes pratiqués pas Jésus pourraient ne pas signifier automatiquement qu'il agit "par le doigt de Dieu", aucun argument sérieux ne nous est proposé. Dans le sermon sur la montagne, Matthieu parle de gens qui se réclameront d'avoir chassé des démons, et que Jésus reniera, traitant leurs œuvres d'iniquité. Les "signes" ne signifient rien en eux-mêmes. Pour utiliser le langage imagé qui nous est proposé, il est effectivement parfaitement possible à Béelzeboul d'en produire, si le résultat lui permet d'égarer les esprits. On peut se poser des questions, à ce sujet, sur le mouvement charismatique et ses "prodiges", quand on voit à côté quels fruits détestables il a pu aussi générer. Aussi n'est-il pas surprenant que la clé de voûte du raisonnement qui nous est proposé aujourd'hui réside dans ce "qui n'est pas avec moi est contre moi" !

Un sommet dans le vide sidéral de l'argumentation. Jésus n'aurait aucun besoin de se justifier, c'est comme ça, c'est un axiome, et tous ceux qui le contestent agissent sous l'emprise de Béelzeboul (ils "dispersent", divisent, séparent : des actions typiquement "diaboliques"). Il n'y a pas si longtemps, nous avions pourtant eu un "qui n'est pas contre nous est pour nous" autrement plus nuancé. Si ce passage d'aujourd'hui remonte effectivement à Jésus, nous devons bien sûr alors le situer tôt dans la première période de son ministère (c'est de fait le cas dans la chronologie de Marc, en 3, 22-27), quand Jésus pense encore que les miracles signifient purement et simplement que le Royaume est là, avant qu'il ne prenne conscience de leur ambiguïté. À cette époque-là, effectivement, il pouvait penser que c'était forcément "le doigt de Dieu" qui les produisait, et que ne pas le reconnaître signifiait automatiquement s'opposer à ses plans, tandis que les expressions plus mesurées proviennent d'une période plus avancée.

Alors vient la question : n'est-ce pas le contraire ? peut-il sortir quelque chose de bon des signes, et ne faut-il donc pas plutôt les considérer comme provenant, en réalité, toujours, du "malin" (pour utiliser encore ce langage binaire qui nous est proposé) ? Entendons-nous : il n'y a rien de mal en soi à ce que des personnes se trouvent mystérieusement guéries, il n'y a rien de mal à ce qu'il puisse se produire parfois des événements plus ou moins hors du commun, mais il y a tout à examiner de ce que nous faisons dans de tels cas, des conclusions que nous croyons pouvoir en tirer. Or, et c'est ce qui s'est produit pour Jésus, être témoins de telles choses nous renforce automatiquement dans l'attitude infantile qui consiste à tout attendre de l'extérieur, à démissionner de toute responsabilité, puisqu'il suffirait d'ouvrir le bec pour qu'il soit rempli... "Vous ne me cherchez que parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été gavés" (Jean 6, 26). Les signes, de par leur nature même, ne peuvent que nous égarer.

Une précisions importante, cependant, s'il en était besoin : ceci ne vaut que pour les signes extérieurs. Les signes extérieurs sont des obstacles sur le chemin spirituel, des pierres qui font trébucher et ceux par qui ils peuvent se produire et ceux qui en sont témoins. La question de ce qu'on peut appeler les signes intérieurs — c'est-à-dire ces expériences de l'âme qui ne nous laissent pas de doute sur leur authenticité, qui nous révèlent une part de nous-mêmes que nous ignorions totalement jusque là, mais qui produisent en nous un sentiment de réconciliation et avec nous-mêmes et avec le monde, nous introduisant à une paix et une joie qu'on peut à juste titre qualifier de surnaturelles — est très différente. Ces signes-là, oui, contrairement aux autres, nous rendent à nous-mêmes, nous rétablissent dans notre intégrité, nous font tenir debout dans le monde et devant Dieu.

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