Partage d'évangile quotidien
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Âge ingrat ?

Mer. 12 Mars 2014

Luc 11, 29-32 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Comme les foules se regroupent, il commence à dire : « Cet âge est un âge mauvais. Il cherche un signe, et de signe il ne lui sera pas donné, sinon le signe de Jonas : Comme Jonas est devenu signe pour les gens de Ninive, de même sera le fils de l'homme pour cet âge-ci. 

« La reine du midi s'éveillera au jugement avec les hommes de cet âge et les condamnera, parce qu'elle est venue des confins de la terre entendre la sagesse de Salomon. Et voici : plus que Salomon ici ! Les hommes de Ninive se lèveront au jugement avec cet âge et le condamneront, parce qu'ils se sont convertis au kérygme de Jonas. Et voici : plus que Jonas ici ! » 

 

 

Jonas et la baleine, par He-Qi

 

 

voir aussi : Queue de poisson, Ici et maintenant, Signes des temps, Témoins à charge, Génération perdue, Lumières des nations, Signal lumineux, Génération condamnée, Le signe

Qu'est-ce donc que le "signe de Jonas" ? Dans quel contexte, d'abord, en est-il question ? Ce n'est pas très clair, ici, chez Luc, mais dans la version parallèle de Matthieu (12, 38-42), Jésus répond à une demande de "scribes et pharisiens" de leur "donner un signe". Il y a un autre passage, très similaires à celui-ci, et cette fois communs à Marc (8, 11-13) et Matthieu (16, 1-4) qui fait suite lui aussi à une demande de donner un signe. C'est chez Marc que la réponse est la plus lapidaire : "il n'y aura pas de signe". Dans les trois autres versions (deux de Matthieu et celle de Luc), il est donc ajouté ce "sinon le signe de Jonas". Enfin, dans notre passage d'aujourd'hui, et dans son parallèle de Matthieu, suit alors le développement sur les habitants de Ninive et la reine de Saba qui condamneront cette génération qui demande des signes. Et, en tout dernier, chez Matthieu seul, on trouve une longue extrapolation qui est censée expliciter ce qu'est le signe de Jonas, avec un parallèle entre les trois jours passés par ce dernier dans le ventre de la baleine, et les, théoriquement trois jours, passés par Jésus dans le ventre de la mort.

Voilà pour les éléments. Alors, évidemment, nous avons tendance à être influencés par des siècles de théologie qui ont brodé à n'en plus finir sur le parallèle initié par Matthieu. Pourtant les faits sont là : chez Marc, considéré comme l'évangile le plus ancien, juste la réponse qu'il n'y aura plus de signes. Puis chez Matthieu et Luc, une allusion à Jonas, dont on retiendra d'abord qu'il est mis en parallèle avec Salomon (nous allons y revenir). Enfin, chez Matthieu seul, ce qui est devenu depuis l'interprétation officielle. Ce n'est pas que nous soyons à priori et systématiquement opposés à la tradition développée, déjà par les évangélistes, puis par les générations de théologiens venus par la suite. Mais, sur ce blog, on cherche quand même à interroger le substrat initial des témoignages sur Jésus par rapport aux développements qui ont suivi, avec l'idée de faire le tri entre ce qui pourrait être abusif dans ces derniers.

Or, c'est le cas ici, et pour le comprendre, c'est le moment de revenir à ce parallèle entre Salomon et Jonas. Car qui imaginerait un instant que, si la reine de Saba a été séduite par Salomon, ce pourrait être à cause d'un signe qu'il aurait produit ? S'il y a une chose pour laquelle Salomon est célèbre dans le monde entier, c'est bien pour sa sagesse, certainement pas en qualité de faiseur de signes. C'est donc bien parce qu'elle a su entendre ce que disait Salomon, que la reine de Saba sera habilitée à "condamner cette génération". Eh bien, il en va de même pour les habitants de Ninive. Ce n'est pas parce que Jonas a passé trois jours dans le ventre de la baleine qu'ils se sont convertis, mais c'est parce qu'ils ont su entendre le message qu'il leur transmettait de la part de Dieu. Ces deux images parallèles nous disent la même chose, et, si c'est bien Jésus qui les a utilisées, c'était certainement dans ce sens. Quand on nous dit "signe de Jonas", c'est une litote, c'est bien pour appuyer ce que Marc nous dit sans fioritures : il n'y aura plus de signes, point à la ligne. C'est le contrepied absolu de l'évangile de Jean (14, 11), quand il fait dire à Jésus : "si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres".

Le problème, donc, avec le développement initié par Matthieu sur le parallèle entre Jonas et Jésus, c'est qu'il transforme un texte destiné à dire qu'il y a danger à courir après les signes, en une idée selon laquelle notre foi ne tiendrait pas sans eux ! C'est quand même un peu fort de café... Chassez le naturel, il revient au galop. Jésus a bien compris, au tournant de son ministère qui a suivi la multiplication des pains, que les signes les menaient, lui et ceux qui le suivaient, droit dans une impasse. Il a réagi énergiquement contre cette dérive, qu'il n'avait certainement pas vue venir, ou sans doute un peu tard. Mais, las ! c'était sûrement trop demander aux disciples. Ils ne l'ont pas compris, ils n'ont pas compris pourquoi il ne voulait plus que les signes se produisent, pourquoi surtout il ne voulait pas s'en servir pour prendre le pouvoir à Jérusalem. La disparition du corps, suivie des apparitions, étaient alors bien trop tentantes. Il a fallu que Matthieu s'en serve, justement pour subvertir ce texte qui disait le contraire...

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