Partage d'évangile quotidien
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Mauvais âge

Lun. 12 Octobre 2015

Luc 11, 29-32 traduction : Comparer plusieurs traductions sur le site 4evangiles.fr Lire le texte grec et sa traduction (anglaise) mot-à-mot sur le site interlinearbible.org

Comme les foules se regroupent, il commence à dire : « Cet âge est un âge mauvais. Il cherche un signe, et de signe il ne lui sera pas donné, sinon le signe de Jonas : Comme Jonas est devenu signe pour les gens de Ninive, de même sera le fils de l'homme pour cet âge-ci. 

« La reine du midi s'éveillera au jugement avec les hommes de cet âge et les condamnera, parce qu'elle est venue des confins de la terre entendre la sagesse de Salomon. Et voici : plus que Salomon ici ! Les hommes de Ninive se lèveront au jugement avec cet âge et le condamneront, parce qu'ils se sont convertis au kérygme de Jonas. Et voici : plus que Jonas ici ! » 

 

 

Jonas et la baleine, par He-Qi

 

 

voir aussi : Des confins de la terre, Langage des signes, Âge ingrat ?, Queue de poisson, Ici et maintenant, Signes des temps, Témoins à charge, Génération perdue, Lumières des nations, Signal lumineux, Génération condamnée, Le signe

Nous n'y avions pas fait très attention, mais le texte que nous avions vendredi comportait en introduction une double problématique : il y en a certains qui disent que c'est par le pouvoir de Béelzeboul que Jésus exorcise, et il y en a d'autres qui réclament de lui un signe (Luc 11, 15-16). À la question de la possession éventuelle de Jésus par un esprit impur ont été consacrés les texte de vendredi et samedi, nous arrivons maintenant à la seconde question : ceux qui veulent des signes. On peut se demander pourquoi Luc a procédé de cette façon, regroupant d'abord l'annonce des deux problématiques, avant de les développer l'une après l'autre, au risque qu'en abordant la seconde on ne se demande un peu ce qu'elle vient faire là. Matthieu, dans son passage parallèle, les présente l'une après l'autre, ce qui est beaucoup plus clair. Est-ce que Luc voudrait attirer notre attention sur le fait que ces deux attitudes se répondent l'une l'autre, sont complémentaires, comme deux écueils entre lesquels il serait judicieux que nous apprenions à naviguer ?

Car on peut quand même difficilement imaginer que ce soient les mêmes personnes qui se situent dans les deux camps. Ceux qui accusent les exorcismes de Jésus de faire le jeu de Béelzeboul ne peuvent pas être les mêmes qui lui réclament des signes... Nous sommes ainsi introduits de manière assez juste dans cette problématique des signes, qui se révèlent finalement être des obstacles, tant pour ceux qui les rejettent que pour ceux qui, au contraire, les acceptent mais vont se mettre alors à en réclamer encore et encore. Eh oui, donnez-leur un doigt ils vous réclament le coude, mais on ne peut pas vraiment les en blâmer non plus. Si vous les guérissez, si vous leur donnez à manger, au nom de quoi allez-vous refuser de leur donner aussi la vie éternelle, comme ça, en claquant du doigt ? Ce passage est un des plus clairs, qui nous montre un Jésus qui a fini par comprendre le danger de ces signes qui se sont produits lors de la première période de son ministère, et il semble que Luc l'avait, lui aussi, bien compris.

Il est révélateur, à ce sujet, d'examiner de plus près le traitement qu'a fait Luc de ce fameux "signe de Jonas". Matthieu explique en toutes lettres ce qu'il signifie pour lui : "Comme Jonas a été, dans le ventre du cétacé, trois jours et trois nuits, de même le fils de l'homme sera dans le cœur de la terre trois jours et trois nuits". Difficile de ne pas comprendre que Matthieu considère la résurrection de Jésus comme le signe par excellence. Chassez les signes par la porte, ils reviennent par la fenêtre... il n'y aura pas de signes, mais il y en aura quand même un, "hénaurme". Tel est donc le sens de cette péricope chez Matthieu. Et comme ce sens-là du signe de Jonas a été repris par la suite à l'envi par les pères de l'Église, nous aurions tendance en lisant Luc à supposer que lui aussi veut parler de ça. Mais pourtant, regardons (nous avons le texte sous les yeux) : pas trace d'une allusion au poisson, pas plus que de l'histoire des trois jours !

Que signifie cette absence chez Luc ? Rappelons-nous que le public de Luc ne connaît pas les autres évangiles : si Luc ne mentionne pas le poisson et les trois jours, ce public n'est pas censé savoir que Matthieu a donné ce sens-là à l'histoire dans son propre évangile. Rappelons-nous de plus que ce public de Luc est d'origine païenne, qu'il n'a majoritairement pas une grande connaissance de la bible juive : là non plus il ne peut pas combler tout seul les trous. Non, si Luc ne parle pas du poisson, c'est que réellement, pour lui, le signe de Jonas, ce n'est pas la résurrection. Mais de quel signe parle Luc, nous demandons-nous alors... eh bien ce signe c'est la conversion elle-même des gens de Ninive. Ninive était une ville païenne, et c'est même la seule ville païenne vers laquelle ait été envoyé un prophète d'Israël (ce qui est d'ailleurs la raison pour laquelle Jonas avait tout fait pour refuser d'obéir à Dieu). Luc veut dire que la conversion des païens de Ninive est une prophétie de la conversion des païens de ses communautés sous la prédication de Paul, laquelle conversion devrait interpeller les juifs qui refusent la messianité de Jésus.

On peut s'interroger sur cette logique de Luc : est-ce qu'un juif va être impressionné parce qu'un païen croit que Jésus est le Messie ? C'était en tout cas le déchirement de Paul, qu'il a exprimé à plusieurs reprises dans ses écrits : il espérait que, d'une certaine manière, la conversion des nations à Christ finirait par faire tomber les barrières de ceux dont il se considérait faire partie à cent pour cent. Et en tout cas aussi, il apparaît donc clairement que, pour Luc, le "signe" de Jonas n'a plus aucun rapport avec ce genre de signes que certains demandaient à Jésus. Chez Luc, contrairement à Matthieu, cette péricope nous demande réellement de sortir de cette attente de signes miraculeux, surnaturels.

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