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Evangile de Jean - Traduction et Notes - Claude Tresmontant - Chapitre 14

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14.  1 qu'il ne soit pas dans l'effroi votre cœur
soyez certains de la vérité [qui est] en dieu
et soyez certains de la vérité [qui est] en moi
 

Qu'il ne soit pas dans l'effroi... Le verbe grec tarassein qui traduit plusieurs verbes hébreux, nous l'avons vu précédemment, et qui ont tous un sens très fort. Se troubler est trop faible.

Soyez certains de la vérité... Genèse 15, 1 : Après ces choses-là, elle fut, la parole de YHWH, adressée à Abram (qui ne s'appelait pas encore Abraham) dans une vision pour dire : N'aie pas peur, Abram ! Moi un bouclier [je suis] pour toi ! Ton salaire sera multiplié beaucoup !... Et voici que la parole de YHWH lui fut adressée pour dire... Et il le fit sortir dehors et il lui dit : Regarde vers les cieux, et compte donc les étoiles, si tu es capable de les compter ! Et il lui dit : Ainsi elle sera, ta semence ! Et il a été certain de la vérité [qui est] dans YHWH... We-heemin ba-YHWH... C'est cette expression qui a été traduite en grec par le verbe pisteuein, suivi soit d'un datif, comme c'est le cas ici, soit de en suivi du datif. Psaume 78, 22 : Car ils n'ont pas été certains de la vérité qui est en Dieu ; Psaume 78, 32 : Ils n'ont pas été certains de la vérité qui est dans ses merveilles. Psaume 106, 12 : Ils ont été certains de la vérité qui est dans ses paroles, grec kai episteusan en tois logois autou. Psaume 106, 24 : Ils n'ont pas été certains de la vérité qui est dans sa parole, grec ouk episteusan tô logô autou, datif sans en. Psaume 119, 66 : Car dans tes commandements j'ai été certain [de la vérité qui est en eux], traduction grecque datif sans en. C'est cette vieille expression hébraïque heemin be... que nous lisons depuis Genèse 15, 6, c'est cette vieille expression qui sera reprise en traduction grecque, puis en traduction latine, par les plus anciens symboles de l'antique Église de Rome, puis de toutes les Églises d'Occident et d'Orient : pisteuô eis theon... pisteuô eis hena theon... Credo in deum... C'est cette expression qui sera reprise par les Pères du Concile de Nicée en 325 : pisteuomen eis hena theon..., puis par les conciles ultérieurs. Elle ne signifie pas, bien entendu : je crois qu'il existe un seul Dieu... Mais elle signifie : je suis certain de la vérité qui est en Dieu, tout comme Abraham a été certain de la vérité qui était en Dieu, lorsque Dieu lui a annoncé que sa semence serait aussi nombreuse que les étoiles des cieux. La certitude de la vérité porte sur la vérité de la parole de Dieu. L'assentiment certain, qu'en théologie classique on appelait la foi, porte sur la vérité de la parole de Dieu.

 
14.  2 dans la maison de mon père
il y a de nombreuses demeures
s'il n'en était pas ainsi
est-ce que je vous aurais dit
 
voici que moi je m'en vais
pour préparer une place pour vous
 

S'il n'en était pas ainsi... Il y a un doute concernant la construction de cette phrase, selon qu'avec certains manuscrits on conserve le hoti, ou que selon d'autres manuscrits on l'élimine. Dans la maison de mon père il y a plusieurs demeures. Première interprétation : S'il n'en était pas ainsi, est-ce que je vous aurais dit : je m'en vais préparer une place pour vous ? Deuxième interprétation : S'il n'en était pas ainsi, je vous l'aurais dit. Je m'en vais préparer une place pour vous. Du point de vue théologique et ontologique qui nous intéresse, il reste deux propositions certaines :

1. Dans la maison de mon père il y a plusieurs demeures. 2. Je m'en vais préparer une place pour vous. Nous n'oublions pas que dans les anciens manuscrits hébreux et grecs, il n'y avait pas de signes de ponctuation, ni bien entendu de points d'interrogation.

 
14.  3 et si je m'en vais
et si je prépare une place pour vous
revenir je reviendrai
et je vous prendrai auprès de moi
afin que là où je serai moi
vous y soyez vous aussi
 

Revenir je reviendrai : c'est la tournure hébraïque constante en cas d'affirmation solennelle, ici schôb aschoub.

 
14.  4 et là où moi je vais
vous le savez
et la route
vous la connaissez
 

Et la route, vous la connaissez... En grec odos, hébreu derek, la route, le chemin, la voie, au sens physique du terme, et au sens spirituel. Genèse 6, 12 : Et il a regardé, Dieu, la terre, et voici qu'elle était corrompue, car elle avait corrompu, toute chair, sa voie, sur la terre. Genèse 18, 19 : Car je l'ai connu afin qu'il ordonne à ses fils et à sa maison après lui et qu'ils gardent la voie, derek, de YHWH, pour faire la justice et le jugement... Genèse 24, 21 : Et l'homme la considérait en silence pour savoir si il a fait réussir, YHWH, sa route, ou non. 1 Rois 2, 1 : Et ils s'étaient approchés, les jours de David, de mourir et il donna cet ordre à Salomon son fils en disant : Moi je m'en vais par le chemin de toute la terre... Anôki hôlek be-derek kôl ha-aretz. Tu garderas, tu observeras l'observance de YHWH ton Dieu, pour marcher dans ses chemins, pour garder ses commandements, ses normes et ses jugements et ses attestations, comme il est écrit dans la Torah de Môscheh. 1 Rois 2, 4 : Afin qu'il réalise, qu'il mette debout, YHWH, sa parole qu'il a dite sur moi en disant : S'ils gardent, tes fils, leurs voies... 1 Rois 3, 14 : Et si tu marches dans ma voie pour garder mes commandements et mes normes... 1 Rois 8, 25 : S'ils gardent tes fils leur voie, pour marcher devant ma face comme toi tu as marché devant ma face... 1 Rois 8, 36 : Et toi tu leur enseigneras la voie qui est bonne, celle dans laquelle ils marcheront... 1 Rois 8, 39 : Et toi tu donneras à un homme (à chacun) selon sa voie... Psaume 1,1: Heureux l'homme... qui ne se tient pas sur la route des criminels... Car il connaît, YHWH, la voie des justes et la voie des méchants, elle va à sa perte. Psaume 18, 22 : Car j'ai gardé tes voies, YHWH... Psaume 25, 4 : Tes voies, YHWH, fais-les-moi connaître... 25, 9 : Il enseigne aux pauvres sa voie... Psaume 55, 6 : Qu'elle soit, leur voie, ténèbre... Psaume 51, 15 : J'enseignerai aux criminels tes voies... Psaume 81, 14 : Ah si mon peuple m'écoutait, si Israël marchait dans mes voies... Psaume 86, 11 : Enseigne-moi, YHWH, tes voies... Psaume 103, 7 : Il a fait connaître ses voies à Môscheh... Psaume 119,29 : La voie du mensonge, écarte-la loin de toi... 119, 30 : La voie de la vérité, je l'ai choisie... 119, 32 : La voie de tes commandements, c'est là que je cours... 119, 33 : Instruis-moi, YHWH, de la voie de tes préceptes... 119, 37 : Sur la route qui est la tienne, fais-moi vivre..., etc. Même emploi du mot grec odos, qui traduit l'hébreu derek, Matthieu, 21, 32 : Il est venu, Iohanan, vers vous, dans la voie de la justice... Matthieu 22,16 : La voie de Dieu, tu l'enseignes dans la vérité... Le mot hébreu derek a fini par signifier : la doctrine, la voie suivie par un groupe, une secte : Actes 9, 2 : Schaoul... alla voir le grand prêtre et lui demanda des lettres destinées à Damas, pour les synagogues, afin que s'il trouve quelqu'un qui fasse partie de cette voie, de cette secte... Actes 19, 9 : Ils dirent du mal de la voie, c'est-à-dire la doctrine chrétienne. Actes 22, 4 : Moi qui ai persécuté cette voie (l'Église)... Actes 24,14 : Je reconnais ceci, selon la voie qu'ils appellent une secte, c'est ainsi que je sers le Dieu de mes pères... Une fois de plus nous constatons qu'un même et unique mot hébreu a deux sens : un sens physique et empirique, et un sens que nous appelons par convention spirituel. Nous l'avons observé pour des termes comme ruah, qui signifie à la fois le vent et l'esprit ; la mort, qui a au moins deux sens : la mort physique, empirique, et la mort au sens spirituel du terme ; le verbe se coucher qui signifie se coucher dans son lit, et aussi mourir, etc.

 
14.  5 alors il lui a dit tôma
 
seigneur nous ne savons pas où tu vas
comment donc est-ce que nous pourrions
connaître la route
 
14.  6 alors il lui a dit ieschoua
 
c'est moi qui suis la route et la vérité et la vie
personne ne vient vers le père
si ce n'est en passant par moi
 

C'est moi qui suis la route... En hébreu sans le verbe être : anôki ha-derek we-ha-emet we-ha-haiim.

Personne ne vient vers le père... Ou : vers mon père, si l'hébreu portait : abi.

 
14.  7 si vous m'avez connu
alors vous avez connu aussi mon père
et dès maintenant vous l'avez connu
et vous l'avez vu
 

Si vous m'avez connu... Nombreuses variantes dans les manuscrits, portant sur la conjugaison du verbe grec gignôskô, qui traduit l'hébreu iada. Ces hésitations sont compréhensibles puisqu'il n'y a pas correspondance entre le système de conjugaison de l'hébreu et celui du grec. La forme dite accomplie de l'hébreu, peut se traduire par un parfait, un présent ou un futur en grec comme en français. La forme dite de l'inaccompli ou de l'inachevé, qui marque la durée, peut se traduire en grec comme en français, par un imparfait, un présent ou un futur. Cela dépend du contexte.

 
14.  8 alors il lui a dit philippos
 
seigneur montre-nous le père
et cela nous suffira
 
14.  9 alors il lui a dit ieschoua
 
voilà un si long temps
qu'avec vous moi je suis
et tu ne m'as pas encore connu philippos
 
celui qui m'a vu
il a vu le père
 
comment donc peux-tu dire
montre-nous le père
 
14.  10 est-ce que tu n'es pas certain qu'il est vrai
que moi [je suis] dans le père
et que le père il est en moi
 
les paroles que moi je parle [en m'adressant] à vous
ce n'est pas de mon propre cœur que je les parle
 
le père qui demeure en moi
c'est lui qui agit ses propres actions
 

Est-ce que tu n'es pas certain qu'il est vrai que moi [je suis] dans le père et que le père il est en moi : c'est la formule la plus simple, la plus claire, de la christologie orthodoxe. L'immanence réciproque de Dieu incréé et de l'Homme nouveau créé qui lui est uni. Paul, Colossiens 2, 9 : le Christ, parce qu'en lui habite toute la plénitude de la divinité, corporellement. Damase, Lettre aux évêques d'Orient, vers 374 : Nos autem... secundum catholicae ecclesiae professionem perfectum Deum perfectum suscepisse hominem profitemur. Léon, Lettre à Julien évêque de Cos, 13 juin 449 : Verus homo vero unitus estDeo.

Les paroles que moi je parle... Hébreu : ha-debarim ascher anôki iôber... Le mot hébreu dabar, la parole, le dire, est de la même racine que le verbe dabar, participe présent dôber, parler, dire. Nous aurions pu aussi traduire : les dires que moi je vous dis... Le texte grec, ta rèmata ha egô lalô, ne permet pas de discerner cette communauté de la racine. De mon propre cœur, hébreu mi-libbi comme précédemment. De nouveau le Seigneur enseigne que l'information qu'il communique provient de la source et origine première de toute information, Dieu unique et incréé.

Le père qui demeure en moi, c'est lui qui agit ses propres actions : de nouveau la communauté de racine dans l'original hébreu : hou seh et ha-maasim, ou bien : hou pôel et-peoulôt. La communauté de racine entre le verbe asah, faire, agir, et le substantif maaseh, action, n'est pas discernable dans la traduction grecque poiein et ta erga. Le Seigneur enseigne ici l'immanence de l'action créatrice de Dieu, dans l'Homme véritable qui lui est uni. C'est cette même immanence de l'action créatrice de Dieu que Paul va enseigner dans ses lettres. Galates 2, 20 : Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. 1 Corinthiens 12, 6 : Il y a une diversité d'opérations, mais un seul Dieu, le même, qui opère tout en tous... Galates 3, 5 : Celui qui opère des actes de puissance en vous... Éphésiens 3, 20 : Celui qui est agissant pour faire plus que tout, pour surabonder au-delà de ce que nous demandons, ou de ce que nous pouvons penser, selon la puissance qui opère en nous... Philippiens 2, 3 : Car c'est Dieu qui opère en vous et le vouloir et l'agir...

 
14.  11 soyez certains de la vérité de ce que je vous dis
moi [je suis] dans le père
et le père [est] en moi
et sinon [si vous n'êtes pas certains
de la vérité de ce que je vous dis
parce que c'est moi qui vous le dis]
soyez certains de la vérité [de ce que je vous dis]
à cause des actions elles-mêmes
 

Moi [je suis] dans le père... Nous avons ajouté le verbe être, qui, ici, n'est pas dans le texte grec, lequel, ici, a suivi fidèlement le texte hébreu, qui n'a pas le verbe être.

Et sinon... Hébreu : we-im lô... Nous avons mis entre crochets ce qui est sous-entendu pour que la proposition soit intelligible.

 
14.  12 amèn amèn je vous [le] dis
celui qui est certain de la vérité [qui est] en moi
les actions que moi j'agis
lui aussi il agira
et même des actions
encore plus grandes que celles-ci il agira
parce que moi je m'en vais vers le père
 

Les actions que moi j'opère... De nouveau dans l'original hébreu la communauté de la racine du verbe asah, agir, faire, ou du verbe paal, et du substantif qui en est dérivé, dans chaque cas. Le verbe grec ne laisse pas apercevoir cette communauté de racine évidente en hébreu.

Vers le père, ou vers mon père.

 
14.  13 et tout ce que vous demanderez en mon nom
cela je le ferai
afin qu'il soit glorifié le père dans le fils
 

Dans le fils : ici comme dans tous les textes de cette bibliothèque qui est celle de la nouvelle alliance, le terme de fils désigne directement le verus homo, l'homme véritable, qui est uni à Dieu véritable, celui qui s'appelle lui-même le fils de l'homme, celui qui dit : je, moi, et non pas le logos, ou le dire ou le parler de Dieu.

 
14.  14 et si vous [me] demandez quelque chose
en mon nom
moi je le ferai
 

Si vous me demandez quelque chose... Variantes dans les manuscrits : Si vous demandez quelque chose en mon nom... Si vous demandez quelque chose au père en mon nom... Texte reçu incertain.

 
14.  15 si vous m'aimez
mes commandements vous les garderez
 

Si vous m'aimez, mes commandements vous garderez... Garder, en hébreu schamar ou natzar. Ieschoua a été appelé ha-nôtzeri, et les premiers chrétiens, nôtzerim.

 
14.  16 et moi je demanderai au père
et un autre avocat de la défense
il vous donnera à vous
afin qu'il soit avec vous
pour toute la durée qui vient
 

Et moi je demanderai au père... Ou : à mon père... Un autre avocat de la défense... grec allon paraklèton. Pirqé Abot, IV, 13 : Rabbi Eliezer ben Iaaqôb disait : Celui qui fait un commandement, un seul, il acquiert pour lui-même un peraqelit, un avocat de la défense. Et celui qui transgresse une seule transgression, il acquiert pour lui-même un qategôr, un accusateur. L'hébreu du premier siècle a adopté et assimilé, entre beaucoup d'autres mots grecs et latins, ces deux mots grecs : paraklètos et katègoros. Première lettre de Jean 2, 1 : Mes enfants, cela je vous l'écris, afin que vous ne commettiez pas de faute, et si quelqu'un commet une faute, nous avons un avocat de la défense, paraklèton, devant la face du père : Ieschoua le meschiah le juste. Dans cette lettre de Jean, c'est donc le Seigneur lui-même qui est appelé paraklètos. Latin advocatus. Afin qu'il soit avec vous pour toute la durée qui vient, grec eis ton aiôna, hébreu le-ôlam, Genèse 3, 22 ; Genèse 6, 3 ; ou ad-ôlam, Exode 14,13 ; le-ôlam, Exode 15,18 ; 21, 6 ; Juges 2, 1 ; 2 Samuel 7, 29 ; 1 Rois 1,31; ad-ôlam, 1 Rois 9, 3 ; le-ôlam, 1 Rois 9, 5 ; 2 Rois 5,27 ; 2 Rois 21, 7 ; ad-ôlam Néhémie 4, 7 ; le-ôlam Qohélet (l'Ecclésiaste) 1, 4 ; 2, 16 ; 3, 14 ; 9, 6 ; Psaume 104, 31 ; Psaume 106, 1 ; Psaume 107, 1 ; Psaume 117, 2 ; Psaume 118, 1 ; Psaume 119, 44 ; 119,89 ; 119, 142 ; Psaume 145,1 et 2 ; 145,21 ; Psaume 148, 6 ; etc.

L'esprit de vérité... avec vous il demeure, en vous il est. Paul, Romains 5, 5 : l'amour de Dieu a été versé dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous a été donné... Romains 8, 9 : Si toutefois l'esprit de Dieu habite en vous... 8, 11 : Si l'esprit qui a relevé Ieschoua d'entre les morts habite en vous... 8, 15 : Car vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour de nouveau être des hommes de la peur, mais vous avez reçu un esprit d'adoption filiale, dans lequel nous crions : Abba, ce qui signifie : père ! Car l'esprit lui-même atteste à notre esprit qu'il est vrai que nous sommes [maintenant] fils de Dieu... 1 Corinthiens 2, 12 : Quant à nous, nous n'avons pas reçu l’esprit du monde de la durée présente, mais l'esprit qui vient de Dieu... 3, 16 : Est-ce que vous ne savez pas que vous êtes le Temple (grec naos) de Dieu et que l'esprit de Dieu habite en vous ? Etc.

Recevoir ; peut-être le verbe hébreu qabal, piel qibbel, que nous avons déjà rencontré et qui a donné l'hébreu qabbalah, ce qui est reçu par la tradition, la connaissance ou la science reçue des anciens, transmise jusqu'à nous.

 
14.  17 l'esprit de la vérité
que le monde de la durée présente
ne peut pas recevoir
parce qu'il ne le voit pas et il ne le connaît pas
mais vous
vous le connaissez
parce qu'avec vous il demeure et en vous il est
 
14.  18 je ne vous laisserai pas orphelins
je reviendrai vers vous
 

Je reviendrai vers vous... Apocalypse 22, 20 : Oui, je viens très vite. Amèn, viens seigneur Ieschoua ! 1 Corinthiens 16,22 : marana tha, araméen, seigneur, viens !

 
14.  19 encore un peu [de temps]
et le monde de la durée présente ne me verra plus
mais vous
vous me verrez
parce que moi je suis vivant
et vous aussi vous serez vivants
 
14.  20 en ce jour-là vous connaîtrez vous
que moi [je suis] dans mon père
et que vous [vous êtes] en moi
et moi en vous
 

Vous connaîtrez, vous, que moi [je suis] dans mon père et que vous, vous êtes en moi, et moi en vous... Paul, Galates 2, 20 : Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi... L'immanence réciproque entre Dieu, l'unique incréé, et l'Homme nouveau créé qui lui est uni, cette immanence réciproque se continue, puisque désormais l'Homme nouveau et véritable uni à Dieu, habite dans l'homme qui est créé nouveau lui aussi, et qui le reçoit librement, en sorte que, selon l'expression de Paul, Colossiens 3, 11, le Christ est tout en tous ; Galates 3, 28 : Car vous tous vous êtes un dans le Christ Jésus. C'est cela que Paul appelle to plèrôma, c'est-à-dire la plénitude ou l'achèvement de la création, la finalité ultime de la création voulue par Dieu l'unique créateur depuis l'origine, et qui se réalise enfin dans le Christ. Cette immanence réciproque de Dieu incréé et de l'Homme nouveau créé, cette immanence de l'Homme nouveau créé et uni à Dieu, dans la nouvelle humanité, c'est l'Église, qui est le Corps du Christ, la plénitude, to plèrôma, Éphésiens 1, 23. Ainsi l'Église dans laquelle se réalise l'immanence réciproque de Dieu incréé et de la nouvelle humanité créée, est-elle la finalité de la création, l'achèvement de la création. C'est ce qui restera de la création lorsque l'Univers physique qui vieillit et qui s'use comme un manteau, Psaume 102, 27, se dissipera.

 
14.  21 celui à qui sont mes commandements
et qui les garde
c'est celui-là qui m'aime
et celui qui m'aime il sera aimé par mon père
et moi aussi je l'aimerai
et à lui je me ferai connaître moi-même
 

Celui qui tient mes commandements et qui les garde... De nouveau en hébreu le verbe schamar ou le verbe natzar.

Et à lui je me ferai connaître moi-même... kai emphanisô auto emauton. Exode 33, 11 : Et il parlait, YHWH, à Môscheh, face à face, panim el-panim, comme il parle, un homme, à son camarade... Et il dit, Môscheh, à YHWH... Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, fais-moi donc connaître ta voie et je te connaîtrai, afin que je trouve grâce à tes yeux... Là où nous lisons dans le texte hébreu tel qu'il est édité aujourd'hui, d'après les manuscrits dont nous disposons : Fais-moi connaître ta voie, ta route, hébreu derek, les traducteurs en langue grecque que nous appelons les Septante ont lu : fais-toi connaître, manifeste-toi toi-même à moi, emphanison moi seauton. Ils disposaient donc peut-être, ou sans doute, d'un texte hébreu différent du nôtre, et évidemment plus ancien. C'est peut-être à ce texte hébreu que fait allusion le Seigneur dans le propos que nous lisons Jean 14, 21. Exode 33, 18 : Et il dit : Fais-moi donc voir ta gloire ! Certain manuscrits grecs de la Septante traduisent : deixon moi tèn seautou doxan. Mais d'autres manuscrits donnent : emphanison moi seauton, manifeste-toi à moi ! Exode 2, 14 : Certes l'affaire est connue, hébreu le verbe iada, traduction grecque emphanes.

 
14.  22 alors il lui a dit iehoudah
non pas l'homme de qeriôt
 
seigneur et comment se fait-il
qu'à nous tu vas te faire connaître
mais non pas au monde de la durée présente
 

Iehouda, non pas l'homme de Qeriôt... De nouveau de nombreuses variantes dans les manuscrits qui attestent les hésitations : Non pas celui qui vient de Qeriôt... Iehouda ho kananitès, variante très intéressante, parce qu'elle soulève la question de savoir si Iehouda n'aurait pas été un membre du front de libération de la Judée, zèlôtès, qui traduit l'hébreu qana. Le verbe hébreu qana signifie être jaloux de... Qineah, la jalousie. Régulièrement le verbe hébreu qana est traduit par le verbe grec zèloun, qineah est traduit par zèlos, et qana est traduit par zèlôtès, que les traducteurs en langue française rendent par zélote  ! Matthieu 10, 4 : Schiméon ho kananaiôs, Schiméon le zélote ? et Iehouda ho iskariôtès, nombreuses variantes de nouveau. Iehouda est mis ici à côté de, et à la suite de Schiméon qui était peut-être un zélote, comme disent nos traducteurs en langue française. Marc 3, 18 : Schiméon ton kananaion, même question, et Iehouda iskariôth, nombreuses variantes. Certains savants se sont demandé si le grec iskariôtès ne serait pas la transcription en grec (après passage par l'hébreu ?) du latin sicarius, celui qui porte la sica, c'est-à-dire le poignard. Le sicarius, c'est celui que, dans notre langage moderne, nous appelons le terroriste.

Et alors comment se fait-il... Grec : kai ti gegonen hoti... Genèse 6, 9 : Mais c'est ta femme ! Et alors comment as-tu pu me dire : c'est ma sœur ! Hébreu : we-eik amarta... Grec : ti hoti eipas... 2 Lois 1,5 : Et ils sont retournés, les messagers, vers lui et il leur a dit : comment se fait-il que vous soyez revenus ? Hébreu ma-zeh scha-getem, littéralement : quoi, cela, que vous soyez revenus ? Grec : ti hoti... Deux constructions hébraïques sont donc possibles sous le ti... hoti de Jean 14,22.

 
14.  23 alors il lui a répondu ieschoua et il lui a dit
 
si quelqu'un m'aime
ma parole il gardera
et mon père l'aimera
et à lui nous viendrons
et notre demeure chez lui nous ferons
 

Ma parole il gardera... On voit l'importance dans l'Évangile de Jean de l'acte de garder les commandements et la parole du Seigneur, 8, 51 ; 14,15 ; 14,21 ; 15,10. Première lettre de Jean, 2, 3 ; 2, 4 ; 2, 5 ; 3, 22.

 
14.  24 celui qui ne m'aime pas
mes paroles il ne les garde pas
et la parole que vous avez entendue
elle n'est pas de moi
mais [elle est] de celui qui m'a envoyé
mon père
 
14.  25 toutes ces paroles je vous les ai dites
tandis que je demeure auprès de vous
 
14.  26 l'avocat de la défense
l'esprit saint
qu'il enverra mon père en mon nom
lui il vous enseignera toutes choses
et il vous fera ressouvenir toutes les paroles
que je vous ai dites moi
 

Et il vous fera ressouvenir... Hébreu zakar se souvenir de..., hiphil hizekir, faire se souvenir, conduire quelqu'un à se souvenir de... Mazekir, celui qui est chargé de la mémoire du peuple et de la nation, l'archiviste, le secrétaire, le mémorialiste, l'historien de la royauté. Zikarôn, le souvenir. Luc 22, 19 : Faites ceci pour vous ressouvenir de moi... Le rôle et la fonction de l'Esprit saint, qui est l'esprit même de Dieu, qui est Dieu qui est esprit, c'est donc d'enseigner et de rappeler à la mémoire de l'Église les paroles et les enseignements de son Seigneur.

 
14.  27 la paix je vous la laisse
ma paix je vous la donne
ce n'est pas
comme le monde de la durée présente donne
ce n'est pas ainsi que je vous donne
 
qu'il ne s'affole pas votre cœur
et qu'il ne soit pas terrifié
 

La paix... Nous avons de nouveau ici une série de propos et d'enseignements donnés par le Seigneur dans cette dernière nuit, qui ont été notés par Jean, qui était étendu à la droite du Seigneur, puisqu'il était le maître de maison, et qui sont ici rapportés, tassés dans nos manuscrits les uns à la suite des autres, pour raison d'économie de papyrus ou de parchemin. Mais nous ne pouvons pas supposer que ces propos, qui ont été notés et rapportés ici, constituent l’intégralité ou la totalité de ce que le Seigneur a enseigné lors de cette dernière nuit. Nous avons donc desserré ces propos qui sont transmis tassés dans les anciens manuscrits, et nous avons intercalé des blancs, afin que le lecteur perçoive immédiatement qu'il s'agit de propos disjoints les uns des autres, de notes qui ne sont pas complètes, qui ne fournissent pas l'intégralité de l'enseignement donné par le Seigneur. Nous notons aussi que Matthieu, Luc et Marc ne nous rapportent pas cet enseignement donné par le Seigneur lors de la dernière nuit. L’Évangile de Jean est donc ici la source la plus riche, le document le plus près de l'événement, puisqu'il est la reportation, par un témoin oculaire, de ce qui a été dit par le Seigneur lors de cette dernière nuit, ceux qui racontent, depuis plus d'un siècle, que le quatrième Évangile est une composition tardive, du second siècle de notre ère, ou de la fin du premier, sont obligés de supposer — et d'ailleurs ils le supposaient dès l'abord — que tout cet enseignement ici rapporté est une composition plus ou moins fictive, l'œuvre de l'inconnu ou des inconnus qui, par étapes et couches successives, ont composé le quatrième Évangile. Ceux qui font appel à la tradition orale, ou aux traditions orales, pour expliquer et justifier ce long enseignement de la dernière nuit, veulent sans doute plaisanter. Les traditions orales peuvent expliquer, dans des milieux ethniques très archaïques, la transmission, de génération en génération, de légendes, d'histoires mythologiques. Mais les transmissions par la voie orale ne transmettent pas des dialogues, tels que ceux que nous lisons constamment dans le quatrième Évangile. Demander à la tradition orale de transmettre des dialogues, tels que ceux que nous lisons dans notre Évangile de Jean, c'est demander à un nuage de transmettre le traité d'Albert Einstein sur la Relativité restreinte, ou la thèse du prince Louis de Broglie sur la Mécanique ondulatoire. C'est proprement absurde. De plus, les tenants de la vieille mythologie germanique selon laquelle les quatre Évangiles auraient été mis par écrit après une longue, après au moins quatre longues traditions, ou séries de traditions orales, les tenants de cette vieille mythologie prussienne doivent nous expliquer comment il se fait qu'une tradition orale transmette et véhicule des dialogues qui semblent pris sur le vif, dans le cas de l'Évangile de Jean, et des dialogues dans lesquels les personnages, les interlocuteurs parlent une langue qui est constamment de l'hébreu décalqué en grec ! Car enfin, cette tradition orale supposée, qui transmet dans ses nuées des dialogues pris sur le vif, est supposée une tradition orale en langue grecque, qui aboutit à des Évangiles écrits, nous assure-t-on, directement en langue grecque. Voilà donc des traditions orales qui transmettent en grec des dialogues, et des dialogues dans lesquels les interlocuteurs pensent et s'expriment en hébreu, à chaque instant ! Pour quelle raison Matthieu, Luc et Marc ne nous ont-ils pas transmis et communiqué à leur tour ces enseignements du Seigneur lors de la dernière nuit ? Tout simplement parce que les traducteurs en langue grecque, des documents hébreux écrits, qui ont abouti à nos Évangiles de Matthieu, de Luc et de Marc, ne disposaient pas, dans les documents hébreux écrits qu'ils avaient sous les yeux, de la reportation écrite de cet ultime entretien, de cet ultime enseignement du Seigneur. Iohanan lui, qui savait lire et écrire, qui était savant, qui était un homme du Livre, un lettré, il a fait la reportation, et c'est sur cette reportation écrite en hébreu, que notre traducteur inconnu a fait la traduction que nous lisons, et que nous nous efforçons à notre tour de traduire dans la langue française de la fin du xxe siècle.

Qu'il ne s'affole pas votre cœur... De nouveau le verbe grec tarassô, tarassein, dont nous avons noté précédemment qu'il recouvre et traduit un grand nombre de verbes hébreux, mais toujours avec un sens très fort. Se troubler est beaucoup trop faible.

 
14.  28 vous avez entendu que moi je vous ai dit
 
je m'en vais et je reviendrai vers vous
 
si vous m'aimez vous vous réjouirez
parce que je m'en vais vers le père
car le père est plus grand que moi
 

Je m'en vais vers le père... Ou : vers mon père. Le père est plus grand que moi... Ou : Mon père est plus grand que moi... Cette proposition ne fait aucunement difficulté à l'intérieur de la christologie orthodoxe, c'est-à-dire celle de l'Évangile de Jean, des trois autres Évangiles, des lettres de Paul, de tous les documents qui constituent la Bibliothèque de la nouvelle alliance, et celle des papes Damase, Léon, et des grands conciles christologiques, puisque celui qui parle ici, celui qui dit « Je » et « moi », c'est le perfectus homo, le verus homo des lettres du pape Damase et du pape Léon, c'est l’homme véritable uni à Dieu véritable. La proposition devient métaphysiquement et théologiquement absurde, dès lors que l'on suppose, ce qui est totalement étranger au système logique constant des livres du Nouveau Testament, que le fils de Dieu, c'est le logos de Dieu, envisagé avant son incarnation, indépendamment de l'incarnation. Dans ce cas on descend inévitablement la pente qui conduit à l'hérésie d’Arius d'Alexandrie. Si c'est le propre logos de Dieu, appelé « fils » de Dieu par Origène d'Alexandrie et par l'inconnu qui a composé l’Elenchos contre toutes les hérésies, publié sous le nom d'Hippolyte de Rome, qui dit de lui-même : mon père est plus grand que moi, alors oui, nous sombrons dans l’arianisme.

 
14.  29 et maintenant voici que je vous l'ai dit
avant que cela n'arrive
afin que lorsque cela sera arrivé
vous soyez certains que c'est vrai
 

Et maintenant je vous l'ai dit, avant que cela n'arrive... Isaïe 43, 9 et sq. L'argument développé par le prophète inconnu du temps de la déportation, vie siècle avant notre ère, dont les oracles ont été recueillis à la suite de ceux d'Isaïe, c'est celui-ci : Le prophète annonce à l'avance l'événement, instruit par Dieu lui-même. L'événement vient confirmer la vérité de la prophétie antérieure, et donc confirmer la véracité du prophète. Dieu seul peut savoir et annoncer à l'avance ce qu'il va faire. Seul le prophète instruit par Dieu peut faire connaître l'avenir qui est essentiellement imprévisible. Lorsque l'événement vient confirmer la prophétie antérieure, la preuve est faite que c'est bien Dieu qui a instruit le prophète, puisque c'est Dieu qui conduit l'histoire, qui est sa création. Par la prophétie, Dieu fait connaître que c'est lui qui dirige l'histoire, et l'histoire que nous constatons par les faits, vérifie l'authenticité de la prophétie. C'est ce même argument que le Seigneur reprend ici. Il annonce à l'avance ce qui va se passer, afin que ses disciples soient certains de la vérité qu'il a dite, lorsque ces événements vont se réaliser.

 
14.  30 je ne parlerai plus beaucoup [de paroles] avec vous
car il vient le prince du monde de la durée présente
et en moi il n'y a rien qui soit à lui
 

Il vient le prince du monde de la durée présente... Le régisseur du monde de la durée présente, celui qui commande au système de valeurs du monde de la durée présente. Nous avons déjà noté que le grec archôn ici utilisé peut traduire l'hébreu sar. Nous aurions alors la formule sar ha-ôlam ha-zeh. Le mot grec archôn traduit aussi l'hébreu nasi, le prince ; rôsch, la tête, celui qui est à la tête de... Le monde de la durée présente, c'est-à-dire de l'histoire humaine, est régi par un système de valeurs qui est foncièrement criminel, ce que nous voyons de mieux en mieux au xxe siècle. La question est de savoir si ce système de valeurs est régi par quelqu'un.

Et en moi il n'y a rien qui soit à lui... L'hébreu n'a pas le verbe avoir. Nous restaurons donc la construction hébraïque.

 
14.  31 mais c'est afin qu'il connaisse
le monde de la durée présente
que j'aime mon père
et comme il m'a commandé de faire
mon père
c'est ainsi que je fais
 
levez-vous
partons d'ici
 

Mais c'est afin qu'il connaisse le monde de la durée présente... La logique des propositions est très difficile à reconstituer pour nous, précisément parce que ce sont des notes, et que toutes les propositions n'ont pas été notées, parce que c'était impossible. Il nous manque des propositions intermédiaires pour comprendre la logique de la suite des propositions. La construction de la phrase est hébraïque. Genèse 6,22 : Et il fit, Nôah, comme tout ce qu'il lui avait commandé, Dieu. Ainsi il fit. Grec : kai epoièsen Nôe panta hosa eneteilato auto kurios ho theos outôs epoièsen. Ce sont les mêmes mots grecs utilisés pour traduire une phrase de même structure et de même signification.

Levez-vous et allons-nous-en d'ici... Il est évident que ces mots donnent le signal du départ et qu'en conséquence les chapitres suivants doivent être placés avant ce signal du départ. Il n'est pas évident ni certain que le chapitre xv soit la reportation d'un enseignement donné dans cette même et dernière nuit. Il peut être la reportation d'un enseignement donné antérieurement. Il existe donc ici un problème littéraire de composition. Le chapitre xv semble ajouté après coup. Le fait que les mots : Levez-vous, allons-nous-en d'ici... aient subsisté dans les manuscrits, suivis du chapitre xv qui ne semble pas à sa place, prouve que nous sommes bien en présence de documents écrits, arrangés et combinés, et non pas d'une longue tradition orale qui se serait déposée par écrit au iie siècle de notre ère, ni d'une rédaction tardive : car s'il s'agissait d'une rédaction tardive, pourquoi cette imperfection manifeste dans la composition ? On voit très bien ici la couture de plusieurs documents écrits qui ont été cousus l'un à l'autre. La question reste donc ouverte de savoir quand a été donné l'enseignement qui se trouve noté et rapporté au chapitre xv.

 
 
 
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